N°139

LA REVUE ECARTS D ’IDENTITE A 30 ANS

Entretien ave Patrick Chamoiseau

Les « revues nous aidaient à penser ce qui nous arrivait et ce qui allait advenir »
Patrick Chamoiseau

Écarts d’identité : Vous parlez souvent, dans vos livres ou dans vos entretiens, du livre, les livres que « Man Ninotte » ramenait à la maison, les livres découverts à la bibliothèque Schœlcher de Fort de France, de vos premiers cahiers d’écriture devenus livres… Cette fois-ci, et puisqu’il s’agit ici de l’anniversaire d’une revue, on aimerait savoir ce que « l’objet » revue représente pour vous. Les revues comptent beaucoup, aussi bien dans le champ de la création poétique que celui des sciences, et notamment celles que l’on dit « humaines ».

Patrick CHAMOISEAU : Mon univers était structuré par les livres, les magazines et les revues. Les plus importants étaient les livres. Venaient ensuite les magazines notamment ceux d’humour et de bandes dessinées comme par exemple « Pilote » de René Goscinny. Et enfin, les revues. Elles interviennent plus tardivement, plutôt au moment où je commence à m’intéresser aux affaires de mon époque et à celles du monde. Les revues pour moi les plus structurantes furent « Tropiques » animée par Aimé Césaire ; « Grif an tè » (Griffes en terre) qui militait pour la langue créole ; la revue de sciences humaines et de littérature intitulée « Carbet » ; la revue « Acoma » montée par Édouard Glissant, etc…

Des revues comme la « NRF » ont été aussi importantes mais de manière plus périphérique… C’était l’époque de la décolonisation, et ces revues nous aidaient à penser ce qui nous arrivait et ce qui allait advenir. Et donc, une revue pour moi est plus symbolique des idées, du militantisme, de la politique et de l’éclairage méthodique d’une société, d’une époque ou du monde... Elles avaient en ce temps-là un véritable impact, et leur audience était à la fois considérable et déterminante. Aujourd’hui, l’impact d’une revue papier n’est plus le même. Un nouvel espace reste à inventer avec l’image, le son, les liens hypertextes, internet, le numérique en général… Une sorte d’expression totale au service de l’action et de la pensée.

E. d’I. : Le nom de la revue Écarts d’identité entre en résonance non seulement avec la poétique que vous avez développée avec et après Édouard Glissant, mais aussi en résonance (et plus que jamais) avec les problématiques qui déchirent toujours ce monde, que ce soit en termes de rapports issus de la Traite négrière ou des colonisations, de la différence des genres ou des religions... On dirait que plus lesdites identités se découvrent en écarts d’elles-mêmes et au sein d’elles-mêmes, ce qui du coup les rend partageables, plus elles réveillent des spectres qui les tentent à devenir « sauvages » (comme disait Khatibi) plutôt qu’intraitables et partageables en même temps. Vous appelez cela, entre autres, « la barbarie nouvelle ». Qu’est-ce qui caractérise cette nouvelle barbarie ?

P. C. : Quand on y réfléchit bien, on s’aperçoit que les colonialistes avaient hiérarchisé les cultures, les civilisations et les phénotypes, propulsant au sommet de leur enfer la civilisation occidentale et ses « valeurs ». Les sacralisations des langues, de l’Histoire avec majuscule, des territoires nationaux, du phénotype, de tous les attributs de ce que l’on peut appeler communément « identité », ont provoqué (chez ceux qui résistaient à leurs frappes) un contre-discours où les langues, l’Histoire, les cultures, les phénotypes, les territoires dominés se sont vus en retour sacralisés de manière identique. Pour se libérer, on inversait les principes et les valeurs du colonisateur. Les principes dominants des cultures machistes et des normes comportementales, sexuelles ou autres, n’étaient même pas problématisés. Les revues les plus déterminantes pour moi s’étaient situées dans cette veine du contre-discours colonialiste. On pourrait dire que la frappe coloniale donnait l’alpha et l’oméga de la pensée du monde. Ceux qui aujourd’hui s’inscrivent dans le « décolonial » ou le « post-colonial » sont un peu dans cette veine qui fait de la colonisation le « soleil noir » de ce que nous avons à penser.
Moi, je pense que laisser la colonisation comme « soleil » de référence de notre vivre-au-monde est une erreur. Ce qui s’est produit à l’insu de la colonisation, c’est la « créolisation » du monde, avec un principe actif qui est celui de la « Relation ». La Relation est à la fois un constat (le monde est devenu un vaste Tout-monde relationnel de cultures, civilisations, individuations) et un projet (sortir de la mise-sous-relation capitaliste et meurtrière pour accéder aux richesses partagées d’une mise-en-Relation). L’idée de Relation ouvre un champ de complexité qui traite du rapport des cultures et des civilisations entre elles ; du rapport à soi-même (notre complexité intime) ; du rapport au Vivant non-humain et aux présences seulement énergétiques ; et enfin, du rapport des équations individuelles (individuations) entre elles – lesquelles sont plus déterminantes que les rapports communautaires dans la matière chaotique du Tout-Monde.
Cette fluidité relationnelle nous sort des rigidités ou des absolus identitaires qui ont triomphé contre le colonialisme mais qui ont laissé en place des verticalités solitaires et beaucoup d’exclusions de toutes sortes. Entrer dans la complexité relationnelle, c’est un peu prendre un « écart » quant aux absolus, aux fixités, aux vérités totalitaires, aux normes racistes et machistes dominantes… C’est abandonner l’idée que le colonialisme – et son métamorphe : le capitalisme – sont au centre de tout, qu’il suffit de s’y opposer pour assainir le monde. Pour moi, le monde du « bien-vivre » ne peut provenir que de la mise-en-Relation. Aller en Relation, pratiquer cet écart, élimine de facto de nos imaginaires tout ce qui pourrait subsister de colonialiste, de capitaliste, ou de néolibéral, ou de sexiste, ou de raciste, etc ... Dans le nom de votre revue, « Écarts d’identité », le plus important c’est la notion « d’écart ». Glissant parlait souvent « d’écart déterminant », il disait se tenir à « l’écart », ce qui signifiait qu’il n’était jamais simplement « contre », mais que son renversement d’imaginaire se tenait résolument ailleurs, hors de la tutelle d’un soleil noir dominateur. Au lieu de « grenouiller » dans le colonialisme et ses persistances, il s’est projeté tout de suite dans la Relation.

E. d’I. : Dans Frères migrants (Seuil, 2017), vous écrivez ceci : « Les migrances font partie de cette mondialité qu’il nous faut mettre en œuvre. Ne pas les organiser, ne pas tout réorganiser avec elles, n’assure aucune protection aux nations. Bien au contraire. C’est ouvrir la voie aux assèchements éthiques. On ne démondialise pas l’humain. On ne saurait l’éjecter de la mondialité !… On ne peut que lui organiser une aisance planétaire multi-trans-culturelle. Le « trans » désarme les frontières, les réenchante ainsi ». Ce qui se passe en Méditerranée semble plutôt répéter la logique du « gouffre », c’est-à-dire de l’auto-suffisance des nations et du mépris des autres qui va avec (ce qu’on appelle les nationalismes). Vous appelez à l’organisation d’une « aisance planétaire multi-trans-culturelle ». Toute organisation passe par ce qu’on appelle des institutions, des droits, des lois, etc. Quelles sont les institutions qui en relèveraient actuellement et surtout quelles seraient celles qu’il faudrait mettre en place ? Ou, peut-être faut-il inverser la question : quels ordres et quelle institution faudrait-il déconstruire pour redonner sur le plan planétaire cette « aisance » à laquelle vous appelez ?

P.C. : L’État-nation est devenu, depuis le colonialisme occidental, la brique élémentale de notre présence au monde. Notre vie collective est « internationale » et jamais « planétaire ». Chaque Nation est pour ainsi dire une entité verticale, égocentrique, qui organise son rapport aux autres Nations avec les vieux principes du colonialisme, à savoir : compétitions tous azimuts, croissance aveugle, primauté des intérêts et privilèges, profits permanents, absolus civilisationnels, religieux, culturels, etc…. Les entités supranationales sont encore des coquilles vides, ou des avortons qui ne disposent pas vraiment d’efficience fonctionnelle. Celles qui fonctionnent le mieux sont au service du capitalisme financier et de sa mondialisation économique.
Un des premiers principes d’un imaginaire de la Relation, et donc de la politique qui en découlerait, serait de passer de l’État-nation égocentrique et vertical, à la Nation-Relation, laquelle aurait le souci du vivant, refonderait les notions de « territoire » et de « frontière », et permettrait à chaque peuple d’être ouvert aux possibilités inouïes que détient l’espèce homo-sapiens en son ensemble. La Nation-Relation ouvrirait de fait à une citoyenneté planétaire inscrite dans le vivant. Ce qui permettrait, entre autres, l’aisance circulatoire que nous réclamons et sans laquelle nous sommes condamnés à devenir des salauds ou des assassins. La Nation-Relation est par essence anticolonialiste, anticapitaliste, respectueuse du vivant et respectueuse des alliances transnationales et multi-trans-culturelles qui naissent de nos individuations. Pour s’organiser entre elles, les Nations-Relation auront besoin d’organismes méta-nationaux disposant de pouvoir réels de régulation à tous les niveaux... Cela paraît utopique dans le mauvais sens du terme, pourtant aucun des grands défis qui se posent à la survie de l’espèce humaine sur cette planète ne peuvent être résolus par les États-nations, ni même par un concert d’États-nations. Il faut donc changer l’imaginaire de base.
Cette lutte pour notre survie (je dirai pour la poursuite de notre « humanisation ») demande une réinstallation dans le vivant non-humain de toutes les vieilles richesses nationales, et la sublimation de celles-ci dans la poétique relationnelle. C’est ce que nous devons aujourd’hui penser. C’est une poétique relationnelle comme matrice d’une politique de la Relation. La regrettée Mireille Delmas Marty avait bien amorcé une poétique relationnelle de l’espace juridique international. Il faut la lire et continuer le travail.
Concernant les détails d’une Politique de la Relation, je n’ai pas toutes les réponses, et c’est mieux comme ça, nous sommes en face d’une complexité telle que « l’impensable » se profile comme horizon, et c’est devant lui, l’impensable, qu’il faut se maintenir debout, rêver encore, créer surtout... Il n’y a que les pensées mortes qui puissent répondre à tout.

E. d’I. : La question des « origines » fracture nos sociétés et paralyse toute réflexion sur la construction de nouveaux imaginaires. Dans votre ouvrage Baudelaire Jazz saluant la modernité de Baudelaire, vous écrivez : « Vos extensions de consciences, vos infinis décidés en toutes choses, ont restauré cette loi première que porte toute création : l’origine n’est pas au commencement, mais elle demeure tout en avant de nous, en source et en ressource ». Comment trouver ici un nouvel imaginaire Relationnel pour « l’Espèce humaine » ? Et comment se déprendre pour cela des imaginaires ataviques ?

P. C. : Toutes les sociétés primordiales de l’homo-sapiens disposaient d’une « cosmovision » : une vision d’elles-mêmes dans la planète, dans le monde, dans le vivant, et le tout inscrit dans la présence tutélaire du cosmos.

À la base de ces cosmovisions, il y avait la pensée animiste qui créait un humanisme encore indécidé mais inscrit de manière horizontale dans le vivant. « Cosmovision » et « animisme » étaient portés par des mystiques ou des spiritualités. Aujourd’hui, nous sommes forcés de revenir à leurs principes fondateurs – non pas avec des religions ou des mysticismes, mais avec « l’esprit de science », et aussi tous les principes qu’implique l’imaginaire de la Relation. S’inspirer aujourd’hui des cosmovisions et des dynamiques animistes en mobilisant tout ce que la science nous a confirmé, est fascinant. C’est en cela que l’origine est d’une certaine manière devant nous.
D’autre part, nous provenons de la vie, du phénomène vivant et des présences énergétiques. Il faut se laisser enseigner par le vivant. Le vivant est, de fait, Relation. Tous les écosystèmes et les biotopes sont des systèmes ouverts qui ne cessent jamais « d’accueillir », de devenir et d’advenir dans un principe relationnel constant. Tout ce qui est vivant relève de la mobilité, de la diversité, du mélange, du hasard, de l’accident, de la nuance infinie, de l’imprévisible, de l’impensable, et donc de la métamorphose et de la créativité… Nous avons là tous les principes actifs de notre « éthique-esthétique » contemporaine. L’origine est devant nous !

E. d’I. : Vous avez été un travailleur social comme on dit aujourd’hui, travaillant notamment auprès des détenus. Vous avez donc une perception intérieure de ce qu’on appelle le travail social. Et l’on sait que les acteurs dans ce secteur (comme d’ailleurs leurs formateurs dans les instituts de formation du travail social) sont de plus en plus tiraillés entre la logique dominante de la gestion et l’éthique première du travail social : accompagner pour ne pas décrocher de la société dans laquelle on vit (ce qui ne dépend pas que des acteurs concernés bien sûr). Beaucoup perdent la « foi » si l’on peut dire, comme dans bien d’autres champs qui font le social ! Les travailleurs sociaux et bien d’autres acteurs associatifs (professionnels ou bénévoles) font partie du lectorat de la revue Écarts d’identité (elle n’est pas la seule évidemment). Ils y trouvent sans doute des liens de compréhension concernant leurs « objets » (d’autres manières de lire les « conditions », la « Relation », « l’aujourd’hui » du monde...). Avec le recul (on pense notamment à Écrire en pays dominé, 1997), quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette question ?

P. C. : La question est très difficile. Là encore, je n’ai pas les réponses. Il nous faut vivre avec. La complexité sociale a rendu nécessaire l’accompagnement humain de cette complexité par le travail social. Cette activité, du fait même de son origine, disposait d’une pesanteur consubstantielle, à savoir : conformer les déviances et déraillements aux normes dominantes d’une société. C’est le militantisme politique qui assumait le travail du renversement des normes et des dominations. Le travailleur social (qui gérait les misères tombées des roues dentées du système capitaliste dominant) était inscrit dans ce système. C’est une contradiction indépassable.
Il faut aider les gens, atténuer les misères, apaiser les douleurs, accompagner les désarrois, donner les moyens de « devenir ». Mais il faut en même temps « penser » le système dans lequel nous nous trouvons. Le problématiser. Or aujourd’hui, ce qu’il y a de déterminant à problématiser, ce n’est plus seulement la mécanique interne de telle ou telle société (petit contexte) ; ce qui est déterminant ce sont les grandes forces en œuvre dans le monde (grand contexte). C’est pourquoi un travailleur social contemporain serait inachevé (et victime pour ainsi dire des apories de son travail) s’il ne cultive pas en lui, à la fois « anticapitalisme » et dynamique d’un « imaginaire de la Relation ». On se souvient de la vieille équation : « donner un poisson ou apprendre à pêcher ». On ne peut pas les séparer. Mais « apprendre à pêcher » demande une ouverture à la notion de Relation, laquelle ouvre à l’Autre, au vivant et au monde. C’est pourquoi, dans la sphère du travail social de base, il faut toujours inscrire une action symbolique, une action culturelle, une action créative... Je me suis battu pour le développement de ce genre d’actions dans les prisons. J’ai beaucoup réfléchi à la nécessité d’une insertion symbolique-culturelle-créative aussi importante que l’accès au travail-logement-formation-accompagnement psy… etc. J’introduisais dans les urgences et les misères, la possibilité d’accès à la lecture, au cinéma, au théâtre, aux arts plastiques, à la prospective, à la discussion libre, à tout ce qui déverrouille les atonies mentales et existentielles...
Le travail social m’a appris que ce qui meurt chez l’humain quand il est victime d’une usure ou d’une domination pour lui indépassable, c’est sa capacité à créer : sa créativité. Revenir à « l’action » (c’est dire : au devenir) et au culturel, c’est aller au monde-en-Relation. L’Art, le symbolique, la culture, le créatif… sont aujourd’hui des » entités-monde ». Notre civilisation contemporaine est une civilisation-monde. Il nous faut penser et agir-monde-en-Relation. C’est « le penser et l’agir-monde-en-Relation » qui fonde le plein-sens de l’action locale, et l’efficience basique du travail social.

E. d’I. :
En 1946, au lendemain de la seconde guerre mondiale, le gouvernement français (avec l’appui et le soutien de quelques Martiniquais éminents) instaure la Loi sur la départementalisation pour donner un statut aux possessions françaises dans les océans lointains, créant ainsi « les départements et territoires d’outre-mer ». Cette création a maintenu ces territoires dans une dépendance aliénant à la métropole et ouvrant le chemin d’un post-colonialisme néo-libéral. Comment imaginer et construire une nouvelle politique, prenant comme principe la Relation qui permettrait de nouveaux rapports de justice et d’égalité entre les différents lieux plutôt qu’entre des territoires, métropolitains ou d’outre-mer ?

P. C. : L’idée de la Relation est simple. Je ne peux m’accomplir en tant que « Personne » que si j’ai le souci et la pratique de « l’Autre ». Mon accomplissement personnel passe par l’accomplissement de l’Autre — « l’Autre » ce n’est plus seulement « l’étranger », mais c’est l’humain, le non-humain, le vivant, la présence énergétique… Quand on a l’esprit de Relation, on n’a plus besoin de « valeurs ». Des valeurs comme celle de « fraternité » ou « égalité », ou je ne sais quoi, peuvent devenir des mécaniques meurtrières. Les capitalistes ont pris la valeur « liberté » et ils en ont fait une horreur économique. Le principe colonial et son extension capitaliste sont par essence anti-relationnels. L’Autre n’existe pas, au mieux il est réifié. Ce qui domine dans l’anti-relationnel, c’est ma verticalité, ma puissance, mon seul devenir égocentrique et destructeur. On voit ce que le capitalisme fait du vivant et de la planète.
Le colonialisme violent et barbare s’est transformé chez nous, avec la loi de 1946, en colonialisme paternaliste, ou comme disait Césaire en « fraternalisme » stérilisant. La notion « outremer » est une notion coloniale qui suppose l’existence d’une « métropole », donc d’une hiérarchie et d’un centre déterminant. On ne peut plus organiser une présence au monde avec de tels principes. Aucun français ne devrait accepter cette notion « outre-mer ». Ce terme négateur désigne en fait des peuples, des nations, qui doivent – dans la Relation, avec tout ce que la rencontre des histoires du monde leur a donné (à commencer par leur rapport à la France) – organiser eux-mêmes leurs « devenirs » multiples dans les flux relationnels du monde. Celui qui accepte, ou qui maintient dans son esprit, cette notion d’outre-mer est un colonialiste, c’est-à-dire un anti relationnel.
Le colonialisme a cristallisé l’État-nation et créé des « Territoires ». Le « Territoire » exclut le rapport à l’Autre. La Relation va nous permettre d’accéder à des « Lieux ». Le « Lieu » est (par principe et devenir) multi-trans-culturel, multi-trans-national, multi-trans-linguistique, horizontal dans le vivant, ouvert sans fin à tous les « Lieux » du monde. Le « Lieu » est la base virtuelle et géographique de nos devenirs-monde.

E. d’I. : La problématique de la violence, des différentes violences, est redevenue aujourd’hui une interrogation qui nous confronte toutes et tous à la « crise » multiforme que traverse le système démocratique : crise des appareils de représentation, crise des appareils du dialogue et de médiation, crise des migrants, etc. Comment « l’artiste-écrivain » que vous êtes se confronte à cette question qui finalement nous oblige !?

P.C. : La violence est toujours un refus de la complexité, quelque chose de sommaire qui cherche une solution sommaire. Dans les violences sociales, les fanatismes, les terrorismes, les complotismes, l’acceptation fataliste du capitalisme, il y a une sorte de désarroi qui provient largement du fait que le Tout-Monde est illisible, que les forces qui y sont en œuvre sont obscures pour la plupart d’entre nous. Cette incompréhension de la complexité du monde provient aussi du fait que l’imaginaire de la Relation est inexistant chez la plupart d’entre nous. Pour entrer dans les complexités, les nuances, les apories, les utopies refondatrices, les devenirs nouveaux, les solidarités neuves, les initiatives inouïes dont nous avons besoin, il faut fréquenter l’idée de Relation, tenter de faire vivre en soi la splendeur de cet imaginaire. C’est là, sinon le programme, du moins l’intention d’une Politique de la Relation.