n°137

chaos identitaires et Relation

Ecrire en Relation, le discours de Parme.

par Patrick Chamoiseau

En 1997 Patrick Chamoiseau publie Ecrire en pays dominé (ed. Gallimard). Dans cet ouvrage, Patrick Chamoiseau dresse l’inventaire des dominations esclavagistes et coloniales dans les Antilles mais également "des dominations silencieuses" du néo-libéralisme contemporain. Dans ce livre il se déclare "Guerrier de l’imaginaire". Le livre se termine par une interrogation du vieux guerrier dans l’inventaire d’une mélancolie : le monde a-t-il une intention ? La réponse de Patrick Chamoiseau, déjà esquissée lors d’une rencontre dans une librairie bordelaise : si le monde a une intention, c’est dans la Relation. Vingt-quatre ans plus tard, reçu docteur Honoris causa de l’université de Parme, Patric Chamoiseau écrit pour cette réception Ecrire en Relation. Un écho à son admirable livre de 1997. Nous le remercions de nous avoir autorisé la reproduction de son texte.

Vers l’âge de douze ans, j’ai commencé à écrire des poèmes. A cette époque, j’étais animé par les affres d’une conscience juvénile anticolonialiste et par une célébration orgueilleuse de ma peau noire que nourrissait l’esthétique rebelle du mouvement poétique de la Négritude. Mon écriture avait d’abord été émue par les classiques scolaires européens, puis elle avait voulu s’en écarter. Pour ce faire, elle s’était installée, même embourbée, dans le sillon de la rhétorique du poète Aimé Césaire. Dans mes premiers poèmes, tout comme dans les petites histoires que je griffonnais sur des bouts de papier, gisaient deux grands absents : la langue créole et son imaginaire. Ces absents (dont l’origine se situait dans les plantations esclavagistes mises en œuvre dès le XVIIème siècle dans les Amériques) étaient la langue et l’imaginaire de la culture populaire de mon pays, la Martinique. Ils constituaient donc une partie fondatrice de moi-même. A l’intérieur de mon « moi littéraire », de ce que je pensais être véritablement « moi », la langue créole s’était vue refoulée. Elle avait fini par demeurer muette dans tout ce que pouvaient élaborer mes imaginations. Dans la société coloniale où je vivais, cette langue se voyait dominée, dévalorisée, menacée dans son existence même. C’est donc plus par une insidieuse aliénation que par un acte de conscience ou de volonté, que, de ce côté-ci de la domination occidentale, je m’étais agrippé à l’autre langue de mon univers, celle qui m’était assénée par l’école, langue solaire, impériale, dominante, et qui était la langue française. Avant d’être celle de Racine ou de Molière, c’était la langue des découvreurs, des colons, des maîtres esclavagistes, de ceux qui faisaient l’Histoire, qui établissaient les modalités de la connaissance, fixaient les normes du vrai et du beau, et racontaient le monde depuis les cimes de leur agressive solitude. Elle resplendissait des absolus protéiformes de la conquête et de la domination coloniales.

Écrire n’est déjà pas facile pour un jeune écrivant. Écrire dans une langue dominante en pays colonial installe le désir d’écriture littéraire dans une tragédie. Même dans un contexte de paix et d’harmonie, une langue n’est jamais innocente, elle transporte un imaginaire, donc une construction fictionnelle qui nous permet d’agir sur la réalité. Dans le contexte colonial archaïque qui était le mien à cette époque, elle devient carrément castratrice, redoutable, à l’instar de ces prédateurs qui l’avaient érigée en étendard de leur supériorité. L’utilisation naïve que j’en faisais n’écartait pas seulement ma langue matricielle, la langue créole, elle contraignait l’ensemble de ma perception de moi-même et du monde. Ma façon mimétiquement césairienne d’aborder l’écriture de cette langue (sans le talent sublimant de Césaire), me fermait non seulement à moi-même mais à la complexité du monde qui, autour de moi, se voyait déstructuré-restructuré par les luttes et victoires apparentes de la décolonisation, mais surtout par les progrès foudroyants et encore invisibles de la globalisation capitaliste. Mon écriture était donc pour ainsi dire « naufragée » dans le lit de la langue française quand je découvris celle de Glissant. Cela se produisit par cette épiphanie que fut pour moi la lecture de son roman Malemort (1975).

Ce fut pour ainsi dire un « choc », à la fois générique et génésique, qui allait m’ouvrir à l’œuvre de cet autre grand poète. Je m’installais alors dans ce qui allait devenir « mon esthétique », je veux dire : ma clé de divination de moi-même et du monde. Je considère l’idée de Relation que nous propose Glissant d’une manière centrale comme un très vaste concept — ou plus exactement comme un « poécept », j’entends par-là un mélange de « concept » et d’approche « poétique », donc un lieu de déflagration du rationnel et du sensible. C’est pour moi la base la plus essentielle pour envisager l’imprévisible et dynamique complexité du monde contemporain

Une poétique - En fréquentant assidûment l’œuvre de Glissant, je connus cette misère qu’endurent ceux qui entreprennent de le lire. Jeune anticolonialiste, avide de solutions toutes faites, de formulations concrètes et opérationnelles, je restai longtemps dérouté par son approche du monde, en spirale et sinueuse. D’ouvrage en ouvrage, elle demeurait obscure, complexe, comme cheminant à la lueur errante de très petites lucioles et sans aucun de ces prêts-à-porter manichéens et combatifs, dont raffolent nos consciences militantes. Je dus apprendre à ne pas y chercher de quoi rassurer ma pensée, mais au contraire d’y faire l’apprentissage d’un déséquilibre toujours inquiet et vigilant dans l’amplitude galactique d’une conscience dont la confrontation au réel ne se voulait jamais conquérante ou dominatrice. Je connus bien des colères et frustrations désespérées avant d’enfin comprendre ceci : Glissant avait tiré les leçons du crime que fut la rencontre entre les multiplicités du monde et la part la plus tranchante de l’intelligence occidentale. Il avait transformé le crime en expérience esthétique, et par-là même : en éthique.

Dès lors, on peut comprendre pourquoi l’ambition de Glissant n’a jamais été d’expliciter le terme de « Relation », et donc d’éliminer ce qu’il pouvait contenir d’inépuisable, voire d’impensable. Il l’a abordé par ce mode de connaissance artistique, esthétique, ami du détour, de l’opacité et de l’indéfinition, que constitue une poétique. La poétique est-ce que l’on pourrait appeler la « pensée du poème » ?. Face au monde devenu « Tout-monde » sous la frappe coloniale et les avidités capitalistes, l’approche poétique, la poétique, nous préserve des pensées de système ou des systèmes de pensée. A la « définition », elle substitue ce que l’on pourrait appeler une « indéfinition ». Cela veut dire qu’elle ne dessèche pas son objet sous l’emprise d’une clarification globalisante, définitive. En veillant à ne jamais rien simplifier, elle le sollicite sans fin, dans des répétitions, des spirales, des nappes d’ombre et de lumière, dans des saisies tremblantes et des approches qui consentent à d’irréductibles opacités. Elle manie aussi bien les creusées profondes que les disséminations dans toutes les formes de l’art où peuvent se saisir de nouvelles étendues. La Poétique reste donc attentive à l’insaisissable profondeur du présent et aux imprévisibles étendues des devenirs. C’est donc avec une intention poétique que Glissant s’est attaché à considérer, dans les tourbillons du monde colonial et postcolonial, cette force agissante, structurante et décisive, qu’est « la Relation ». Essayons d’explorer ce que cela veut dire.

Dès le choc des conquêtes occidentales, de la Traite des nègres à travers l’Atlantique, des barbaries colonisatrices et des espérances bréhaignes de la décolonisation, cette force s’est mise à précipiter les uns contre les autres tous les horizons, toutes les partitions, tous les cadres coutumiers, toutes les raideurs du monde, et à jeter dans des effervescences longtemps indéchiffrables les perceptions que nous pouvions avoir de nous-mêmes dans ce monde, de ce monde en nous-mêmes, et cela tant à l’échelle individuelle qu’à celle du collectif. Considérons donc ce que le poète a vu dès les années 50 alors qu’il se débattait dans les actions de résistance à l’ordre colonial.

Quand un ordre s’installe (surtout par les modalités archaïques de la force) cela se fait au détriment du réel dont la complexité reste toujours insaisissable. L’ordre dominant affirme toujours une vérité simplificatrice du réel et du monde, c’est-à-dire : une neutralisation des forces du Divers, du mystère et de l’impensable. Mais dans l’occidentalisation progressive du monde, ce qui se faisait généralement à l’échelle d’un territoire, d’une communauté, d’une mythologie ou d’une genèse particulière, allait brusquement s’imposer aux imaginaires de tous. La frappe coloniale recouvrit le monde d’une fiction relativement simple : cinq continents, dont l’Afrique qui n’était plus qu’un monolithe obscur ; quelques races fantasmatiques réparties sur une grille de valeur ; quelques grandes civilisations élues parmi d’autres considérées comme incertaines ; et toute une gamme de réductions à des absolus identitaires, linguistiques, culturels que les conquêtes allaient exacerber tout en les soumettant à leur hégémonie. L’ordre dominant distribue ses propres cartes de perception et détermine le plus souvent les modalités de la résistance qu’il suscite. La langue, la culture, la race, l’identité, la religion, le drapeau, l’État-nation, l’idée de civilisation, l’idée de frontière… brandis par ce que l’Occident avait de plus agressif, s’érigèrent en des ingrédients que tous les colonisés de la planète mobilisèrent à leur tour pour dessiner leur émancipation dans la configuration planétaire qu’avait installée la puissance dominante. Dominations et contre-dominations, se renouvelant l’une l’autre, se renversant l’une l’autre, entrèrent dans les mêmes étroitesses mimétiques, les mêmes simplifications inextricables, les mêmes exacerbations meurtrières. Ce qui était disséminé dans une diversité infinie d’expériences humaines en devenir allait se concentrer dans les principes et les valeurs d’une entité qui allait se mettre à régenter le monde. Malgré leurs résistances, les vieilles communautés humaines virent se desserrer leurs corsets symboliques et s’amplifier au plus profond d’elles-mêmes ces individuations qu’incarnaient si bien les découvreurs, colons, conquistadores, aventuriers, soudards et autres marchands, que déversaient les caravelles. Autour des verticalités dominantes du « je » et du « nous » occidentaux, le monde se mit à grouiller d’une alchimie problématique de « je » et de « nous » qui se cherchaient de nouveaux équilibres. A ce phénomène allait s’ajouter le démantèlement des économies primordiales (celles qui se trouvaient encore à échelle et vocation humaines), pour l’extension sacrale d’un vaste Marché économique. Dans ce nouveau temple, dans cette nouvelle religion, la belle et si précieuse philosophie libérale allait se transformer en un système mercantile où dominerait la férocité du profit maximal sur les aveuglements d’une croissance continue et d’une hyperconsommation. Rassurés par de tonitruantes proclamations d’indépendance, les ex-peuples colonisés s’installeront sans précautions dans un imaginaire soumis aux seules valeurs économiques libérales. Le vaste Marché mondial qui se mettait en place pouvait parfaitement s’accommoder de ces États-nations antagonistes et souverains qui se superposèrent aux anciennes colonies. Le modèle de référence de ces dernières sera l’absolu du « développement » occidental, enchâssé d’une sorte irrémédiable dans l’absolu économique.

L’absolu occidental (projeté par la part la plus virulente de l’Occident) célèbre un rapport exclusif à un Dieu, à une langue, à des valeurs, à des principes organisant un territoire qui excluait les autres. Les rebelles qui allaient un peu partout s’opposer à lui, se refonder en face de lui, mobiliseront les mêmes principes. Mon Dieu contre ton Dieu. Ma langue contre ta langue. Ma race contre la tienne. Ma frontière qui m’isole de toi. Ma souveraineté qui affirme ma solitude de principe au monde et mes capacités de domination et de conquête. Tous ces absolus imposaient leurs entraves aux hommes, aux femmes et aux enfants, mais laissaient une totale fluidité aux capitaux, aux fermentations financières, aux investissements et marchandises. Le jeune poète qu’était Glissant à cette époque vit le monde postcolonial s’organiser comme cela, dans cette apparence-là, mettant en œuvre une ultime globalisation qui prendra le nom de « mondialisation ».

Mondialisation, mondialité - Il était difficile dans les années 50, et dans celles qui leur succéderont, de voir ou de revendiquer autre chose que ces absolus identitaires, culturels et civilisationnels, qui organiseraient leurs antagonismes sous les arches proclamées pacifiantes d’un Marché économique global. Cette globalisation économique sous les auspices de l’intention occidentale fera surgir des résistances et des contre-résistances, toute une effervescence de rebelles qui, pour rejeter le projet occidental et ses nouvelles dominations, allaient le plus souvent rejeter l’appartenance au monde elle-même. Les anti-colonialistes, anti-capitalistes, anti-occidentaux aspirèrent dans un premier temps à se fermer au monde en son ensemble, à se reconstituer dans des antériorités territoriales et des fixités fantasmatiques. Chacun se constitua une image référentielle, paradisiaque et nostalgique, de l’avant-colonisation, laquelle constitua le sceau très simplifié, idéalisé et toujours fictionnel, d’une authenticité primordiale qu’il fallait retrouver.

Seulement, Glissant, malgré sa pratique de militant rebelle, n’allait pas s’enfermer dans les ivresses de cette résistance. Dans le chaos de la colonisation (et de sa force antagoniste et solidaire : la décolonisation), il vit se profiler un autre monde : celui d’un fait relationnel majeur. Il vit des expériences humaines innombrables, désormais mises-sous-relation à la part la plus virulente de l’une d’entre elles. Il vit un bouillonnement de circulations individuelles, libérées soudain des vieilles emprises communautaires, et qui se découvraient mutuellement, se mélangeaient de gré ou de force, se transformaient dans des flux chaotiques, des chocs et contre-chocs, des fusions et des contre-fusions. Il vit combien ce fait de mises-sous-relation de la diversité du monde par l’Occident triomphant, accéléré et amplifié par les sciences numériques et les innovations techniques, allait précipiter les individus, les peuples, les cultures, les civilisations, toutes les formes anciennes du vivre-ensemble humain, dans une effervescence inarrêtable, inextricable, de fluidités relationnelles.

Il n’a jamais existé de cultures ou de civilisations qui ne soient nées de rencontres, de contacts ou de chocs. Mais ce qui allait se produire dans les Caraïbes, dans les Amériques, dans l’ensemble du monde, sera un fait relationnel inouï. Glissant l’appellera : la Créolisation. Elle s’effectuera dans une précipitation temporelle de moins de quatre siècles. Comme dans la plupart des événements cosmiques, elle sera une rencontre brutale, massive, accélérée, dans laquelle presque toutes les expériences humaines allaient connaître des éclatements, des diffractions, des circulations intenses et sans fin qu’elles tenteront vainement de compenser par un plus de nationalisme, d’intégrismes ou de fixité identitaire. L’identité individuelle ou collective devint une sorte de radeau de sauvetage qu’il fallait de toute urgence consolider. Ce fait de « mises-sous-relation » qu’est la Créolisation s’effectuera dans différents niveaux de conscience, de refus et d’acceptation du monde. De refus et d’acceptation de sa présence incontournable, désormais irréductible, dans chaque détail de la planète, dans l’imaginaire de chaque individu. De refus et d’acceptation de sa réalité comme désormais la seule échelle déterminante pour tous. Cette émulsion d’individuations mobiles, d’expériences individuelles et collectives se mélangeant sur une trame agissante de refus et d’acceptation, Glissant l’appellera : la mondialité. Il n’était plus nécessaire de rejeter toute existence au monde pour refuser les prédations uniformisantes de la mondialisation économique occidentale. On pouvait désormais se mettre pleinement à exister au monde en se considérant avant tout dans la mondialité.

La mondialité peut « s’indéfinir » comme étant toutes les réalités, toutes les fermentations du monde, qui n’ont pas été prévues, ni soupçonnées, par le projet colonialo-économique occidental. La mondialité peut se percevoir comme étant la perception agissante du monde ; comme le seul espace où pourraient se réaliser et s’accomplir les trajectoires individuelles ; comme le creuset déterminant offert à chacun pour l’élaboration de son architecture singulière de principe et de valeurs. La vieille morale communautaire (qui jusqu’alors s’imposait aux individus avec ses absolus du Bien et du Mal, dans une sorte de prêt-à-porter existentiel), laissait place à un rapport au monde plus personnel, plus sensible, plus ouvert aux vents de la grand-scène du monde, et donc, plus composite, plus incertain, bien plus imprévisible, et qui obligeait chacun à engendrer pour lui-même les principes d’une juste et d’une saine existence en devenir au monde.
La mondialité oblige à une éthique de la rencontre et du partage.
Par l’éthique d’un vivre-au-monde dans la rencontre et le partage, l’individu se construit sa Personne. C’est par l’éthique de la rencontre et du partage que le solitaire initial se réalise comme solidaire de ceux dont l’imaginaire offre des structures analogues en face du chaos génésique de la mondialité. C’est en tant que Personne (en entité de rencontres et de partages) qu’il fonde, dans la matière émulsionnée du monde, les alliances et les concerts, les réseaux et les liens, qui s’ajouteront ou qui remplaceront, sans aucune fixité, les vieilles communautés. Les vieilles communautés privilégiaient la convergence du même, aspirant à l’unité, à la synthèse, à la concentration pérenne qu’ordonnaient les totems. Les alliances de Personnes en rencontres et partages captent et exaltent l’énergie claire des différences, la différence vécue comme énergie du monde, la différence instituée comme énergie de toute rencontre qui s’accomplit, différences sans cesse célébrées et renouvelées par les projets, par les échanges, les accidents, les surgissements… En mondialité, une « nouvelle région du monde » se superpose aux partitions excluantes des vieilles communautés culturelles ou civilisationnelles : celle que dessinent dans leurs rencontres et leurs alliances, comme une géographie cordiale, les structures émotionnelles les plus sensitives de tous les imaginaires individuels.

Tout-Monde, chaos-monde - Pour décrire ce fait relationnel, antagoniste et solidaire, de la mondialisation et de la mondialité, Glissant inventera un poécept, qu’il laissera lui aussi dans une relative indéfinition, ce sera : le Tout-Monde. L’inextricable de la « mondialisation » et de la « mondialité », constitue pour nous tous un « vécu du monde ». Ce vécu s’effectue au niveau des peuples et des civilisations, au niveau de leurs inter-retro-actions accélérées et incessantes, mais surtout au niveau de ceux qui les portent en eux à des degrés et des intensités variables, strictement liées à leur seule expérience au monde, à leur seul cheminement vers l’avènement de leur Personne. Le Tout-Monde est la désignation d’un fait relationnel où les « Je » et les « Nous » se construisent mutuellement sur les bases d’un imaginaire qui n’est plus l’imaginaire de la fixité, du « même » ou de la racine unique (qui de fait n’a jamais existé), mais un imaginaire des flux relationnels en devenir bien plus proche des inaccessibles du réel et des modalités fondamentales du vivant. Le Tout-Monde est donc à la fois le constat d’un état du monde, la vision d’un devenir aussi, mais c’est aussi une référence d’accomplissement majeur qui, comme une force de gravitation, affecte et conditionne les évolutions et les événements de nos imaginaires. Face à l’imaginaire appauvrissant et destructeur de la mondialisation, au règne de ce grand deshumain, l’imaginaire humain de la mondialité se montrera plus conscient du fait relationnel, de sa richesse, de son importance déterminante dans nos défis individuels inscrits comme des principes actifs dans l’urgence de nos défis collectifs

C’est le fait relationnel qui nous force à considérer la complexité de l’ensemble du vivant ; à comprendre que l’humanisme ne saurait se concevoir en rupture avec l’ensemble du vivant sans se mettre en péril. C’est aussi lui qui démultiplie autour de nous, à travers nous, même à l’intérieur de nous, les accélérations technoscientifiques et les proliférations inarrêtables de l’intelligence artificielle... Dire « Tout-monde », c’est désigner une entité imprévisible de flux qui relient tout à tout et qui défient ainsi les bases anciennes de nos imaginaires. Un « Chaos-monde » qu’il nous faut considérer non comme un immense et infructueux désordre mais comme une force générique, génésique, que nous pouvons penser dans des catégories neuves, et dans laquelle, par laquelle, nous devons (à plus haute conscience) susciter un autre imaginaire de nous-mêmes et du monde.

La Relation - Dès lors qu’il avait désigné, cette entité nouvelle qu’il se mettra à explorer dans ses poèmes, théâtre, romans, Glissant allait chercher sa quintessence dirait Rabelais, un plus « hault sens » qui s’imposera à la « mise-sous-relation », à ses oppressions et ses appauvrissements. Ce plus « hault sens » sera (avec une majuscule) la Relation.

À travers les individus, à travers leurs trajectoires massives et erratiques, les peuples et les civilisations ne pouvaient plus se percevoir et se vivre que dans la trame chaotique complexe de leurs inter-rétro-actions. Le fait culturel devenait multi-trans-culturel et se vivait comme tel, que ce soit dans l’opposition (désir de fixité, intégrismes, fureurs identitaires, hystéries nationalistes…) que dans l’acceptation (partage, échanges, errances au monde, mobilités diverses…) où je me change en échangeant avec l’Autre sans pour autant me perdre ou me dénaturer, selon la célèbre formule de Glissant. Le fait civilisationnel devenait multi-trans-civilisationnel, et ne pouvait se percevoir, se mobiliser où se vivre que comme tel, dans le refus illusoire ou dans l’acceptation plus ou moins passive, plus ou moins active. La construction individuelle, la réalisation de soi, l’accomplissement de chacun, ne pouvait s’envisager non pas à l’aune des vieux principes communautaires mais sur la gamme très fluide d’une complexité en devenir, chaotique et donc imprévisible : le Tout-Monde. Ce nouvel imaginaire, qui germe en nous à cause du fait relationnel et des « mises-sous-relation », doit devenir un exercice conscient, artistique, esthétique, éthique, de « mise-en-relation ». C’est ce soleil de la conscience, de plus hault sens, qui oblige à mettre une majuscule au terme de « Relation ». L’imaginaire de la Relation, sa poétique, c’est cette éthique qui transforme le fait relationnel, la « mise-sous-relation », en une « mise-en-relation ».

Du Rebelle au Guerrier - Glissant avait tiré les leçons des conquêtes et des dominations du projet occidental. Du crime, il avait ramené une expérience, une sorte de dépassement esthétique, donc éthique. Sa démarche, qui désertait les oppositions manichéennes, les résistances primaires, me permettra de définir dans mon esprit deux attitudes déterminantes que j’allais longuement explorer dans mon roman Biblique des derniers gestes. Ce roman met en scène un rebelle anticolonialiste dénommé Balthazar Bodule-Jules. Il constituait à lui tout seul un concentré de tous les rebelles qui s’étaient vaillamment, souvent au prix de leur vie et de bien des souffrances, opposés au projet occidental, et qui avaient tenté durant toute leur existence d’en assainir le monde. C’est en « rebelle » que M. Balthazar Bodule-Jules avait participé à toutes les luttes anticolonialistes. A la fin de sa vie, si les « indépendances » avaient effectivement eu lieu, que la décolonisation était censée s’être produite, M. Balthazar Bodule-Jules n’avait pu que constater qu’elle était demeurée au stade d’une émancipation essentiellement formelle, que la domination du projet occidental demeurait intacte, sur des bases nouvelles, parfois même encore plus virulentes, dans les fondements même de nos imaginaires, et qu’elle maintenait son emprise en étendue et profondeur sur la totalité du monde. Au moment de son agonie, M. Balthazar Bodule-Jules percevra toute la portée du phénomène de la Relation. Le fauteuil de son agonie sera le lieu d’une mutation de son imaginaire : une renaissance qui fera de lui non plus un Rebelle mais un Guerrier. Explorons cette distinction.

Là où le Rebelle se contente, le plus souvent, dans une valse mimétique, de renverser les termes d’une oppression ou d’une domination, le Guerrier tente de mettre en place en place, des actes, une esthétique, une attitude, un écart déterminant où plus aucune domination ne se verra possible. Un Rebelle remplacera la position dominante de la langue du colonisateur par sa langue ancestrale ; il reproduira ainsi la même hiérarchisation des langues, et le même virulent absolu. Le Guerrier, lui, fera l’apologie d’un imaginaire multilingue où règne le désir imaginant de toutes les langues du monde ; un imaginaire qui installe un langage capable d’invoquer et de chanter des écosystèmes linguistiques complexes où toutes les langues du monde occupent leur place plénière, tout autant en leur chant primordial qu’en leurs évolutions et mélanges langagiers fulgurants. Là où, dans la lignée des absolus colonialistes, l’identité combative du Rebelle aura tendance à se montrer exclusive de l’Autre, à se vivre menacée par les contacts, les migrations et les rencontres, l’identité du Guerrier se fera relationnelle, trouvant sa permanence et ses plénitudes dans les chemins qui mènent à l’Autre, qui va aux différences et qui les vit comme autant de petites gourmandises. Le même n’est qu’un moment faible de la différence agissante qui va à la rencontre des autres différences. Toute différence (cette énergie du vivant) devient une force agissante qui entre en tension avec d’autres forces pour créer du nouveau, et donc de nouvelles différences. La capacité d’adaptation n’est rien d’autre que la capacité à s’enrichir des différences, de leurs émulsions, de leurs surgissements renouvelés. Et bien entendu, l’Etat-nation, d’habitude souverain et solitaire, vertical et isolé en ses orgueils et absolus, se verra exhaussé au rang de Nation-Relation dont les frontières ne seront plus des guillotines mais retrouveront la saveur initiale de la frontière fondamentale : celle qui n’est rien d’autre que le passage ouvert. Là encore, l’idée de Relation rejoint cette très vielle maxime humaine qui dit que c’est la porte ouverte qui garde la maison, qui l’aère, qui l’éclaire, et qui l’enchante aussi.

Glissant, ce grand guerrier de l’imaginaire, ne définira jamais définitivement le Tout-Monde, et encore moins sa force d’accomplissement qu’est la Relation. Définir c’est toujours fixer et appauvrir. Fixer et appauvrir, c’est quitter la richesse du devenir imprévisible du Tout-Monde et de la Relation. Définir ouvre un absolu ; en revanche, deviner, soupeser, effleurer, explorer par petites touches, éclairer de toutes les manières possibles, constituent dans leur ensemble une indéfinition précieuse, et jettent les bases d’une poétique. En littérature, cette esthétique donnera pour moi l’opposition utile entre le « récit » et la « saisie ». Le vivre-au-monde, conquérant et dominateur (selon les principes actuels du néolibéralisme) donne le « récit » : cette tentative de clarifier l’opacité du monde et d’en organiser de manière appauvrissante le chaos génésique. L’esprit du poème, la pensée du poème, cette approche primordiale où « l’esprit de connaissance » de l’homo-sapiens n’avait pas encore fixé le monde en grands symboles et grands systèmes (continents, races, cultures, civilisations, religions, autant d’absolus, autant de murs, autant de frontières) mais constituait encore une contemplation créative (lucidité germée, tremblante, des profondeurs) qui donnera une sensibilité féconde (créative elle aussi) à l’impensable du monde. Une créativité à laquelle nous pouvons revenir comme on revient à une source essentielle, et dans laquelle nous pouvons maintenant puiser (sans mystique et sans pensée magique) une poétique nouvelle du vivre-ensemble dans le Tout-Monde : le vivre-en-Relation

Etendues de la Relation – La Relation met en contact dynamique interactif le tout à tout. Un détail, dit Glissant, n’est pas un fragment. Il interpelle la totalité. La totalité elle-même (la perception que nous en avons, ce que nous pouvons en vivre, ce que nous pouvons en explorer de manière créative) se saurait être un monolithe mais le flamboiement maintenu ardent de tous les détails possibles, avec ce que cela suppose de fugace, d’invisible, d’imperceptible et en finale d’impossible à concevoir ou à penser. Favoriser en nous l’émergence d’un imaginaire de la Relation, tenter d’en faire la trame de sa propre vie, de sa création, de sa pensée, est une triple démarche : c’est d’abord la perception d’un phénomène, à l’échelle la plus large comme à la plus intérieure et à la plus infime ; c’est ensuite la divination permanente de lignes de fuite et de possibles en devenir dans la matière du monde ; c’est enfin, le souci au quotidien d’assumer ce que cela implique en termes d’actions, d’attitudes, de renoncements ou d’engagement personnel, aux niveaux qui considèrent le tout comme à ceux qui s’émeuvent du détail dans ses urgences et dans ses essentiels.

En Relation, chacun de nous doit faire son expérience du monde, là sera la voie de son propre accomplissement. Il ne s’agit pas de définir mais de vivre un devenir, se vivre en devenir, et d’éprouver de la manière la plus intense toutes les virtualités. Vivre et se construire dans ce vaste flux demande donc une ouverture inouïe de l’imaginaire, avec quelques outils de base que Glissant développera longuement comme « la pensée archipélique », « la pensée du tremblement », « la pensée de l’errance » … La Relation est donc une compétence de l’esprit humain, qui peut s’exercer, se travailler, se promouvoir en soi et en dehors de soi.

Au-dessus du simple fait relationnel, en deçà de la simple « mise-sous-relation », la « mise-en-relation » s’élève en Relation quand le souci de soi et de sa propre recherche de plénitude veille de manière consciente et agissante à la plénitude de l’Autre. La Relation devient donc une haute conscience, une éthique suprême, dans laquelle et par laquelle toutes les valeurs les plus nobles et les plus nécessaires se doivent d’être présentes et se trouvent immédiatement mobilisées et maintenues actives. Ainsi, contrairement aux valeurs qui dans une utilisation mécanique, systématique ou systémique, peuvent se révéler meurtrières et opérer la négation de leurs fondements même, la Relation n’existe que dans le plein accomplissement et de soi et de l’Autre. La Relation est donc toujours une création, au sens où toute création est un bouleversement de soi et un bouleversement des données du monde, toute création est donc une liberté.

Mais s’il est prudent de ne pas s’aventurer dans des définitions, on peut tenter d’approcher ce que cet imaginaire de la Relation que nous avons à élire en nous et le fait relationnel qui s’impose au monde, peuvent modifier dans notre perception coutumière des choses.

D’abord, cette organisation du monde en États-nations souverains. Ces derniers, arc-boutés de manière verticale sur le terreau de leurs absolus antagonistes, ne pourront se hisser à plus haute plénitude dans le Tout-Monde qu’en devenant des États-Relations. Leur unité ne sera plus que le reflet de leurs diversités internes, toutes en devenir imprévisible et incertain. Leurs frontières deviendront une manière d’apprécier les saveurs démultipliées de la totalité relationnelle du monde. Leurs territoires, jusqu’alors exclusifs de l’Autre, deviendront des « Lieux », sachant que le « Lieu » est une entité multi-trans-culturelle en devenir lui aussi imprévisible dans la matière du Tout-Monde. Chaque « Lieu » étant relié aux autres lieux dans une sorte d’effusion incontrôlable.

C’est la Relation qui transforme les diasporas en « métasporas ». Ce dernier terme désigne une situation qui n’est plus celle d’un exil qui se vit, cette douleur indépassable que provoque un arrachement à une terre natale. La métaspora désigne des individus qui bourgeonnent dans une terre d’accueil qui devient leur seconde terre natale. Ils vivent alors dans une géographie cordiale qui associe la terre-source à la terre-de-ressource. Cette association suscite une renaissance.

L’identité, qui n’a jamais été fixe (et qui de toutes manières est de nature problématique), qu’elle soit collective ou personnelle, retrouvera sa vraie vivacité qui est d’être un devenir relationnel. L’identité ne peut plus être que l’énergie de mon devenir, et donc une liberté. Je suis, nous sommes, et je ne m’accomplis dans ce que je suis, dans ce que nous sommes, que dans ma Relation à l’Autre, dans notre Relation à l’Autre. Et c’est là que s’opère une problématisation de ce que peut bien être l’Autre.

Si dans l’imaginaire ancien, l’Autre était seulement l’étranger, dans l’imaginaire de la Relation cette notion prend une extension considérable. L’Autre, c’est d’abord notre propre multiplicité intérieure, ce chaos-moi qui se tient dessous le « je » culturel et social. Comme dans toutes les parcelles du vivant, chaque individu est un être complexe, multiple, en devenir toujours imprévisible, doté d’une complexité psychique difficile à vivre et que les communautés avaient su apaiser, organiser, voire contrôler dans le corset des codes, des rituels, des trames symboliques, culturelles, identitaires et sociales. Dans la Relation, le chaos-moi échappe à cette emprise. Survient donc une nécessaire mise-en-relation à soi-même, à sa multiplicité interne, à la puissance de ses potentialités imprévisibles. C’est sur cette base intérieure créative qu’il effectuera son expérience au monde, qu’il dessinera son architecture de principes et de valeurs, et donc plus largement son éthique intime et personnelle.

L’Autre, c’est aussi le vivant dans ses interactions vitales avec le métabolisme de notre planète. La Relation, c’est un rapport généreux à la nature, aux animaux, aux insectes, aux végétaux, au métabolisme planétaire, à toute cette expérience que nous désigne la pensée écologique. Cette dernière doit, de manière urgente, se trouver son amplitude politique qui est bien plus large que la seule écologie. Dans mon ouvrage, Les Neuf consciences du Malfini, j’ai exploré cette exigence d’une relation au vivant où l’humanisme établirait non pas une relation verticale et donc distincte du vivant, mais bien une relation très humble, consciente, active, responsable, qui veillerait à chaque instant à une horizontale plénitude du vivant. Il n’y a rien de vivant sans Relation. La Relation, c’est le vivant en ce qu’il a de dynamique et de fécond. Et donc, comme l’a dit magistralement Glissant : Rien n’est vrai, tout est vivant.

L’Autre, c’est aussi pour moi les mystères de notre Galaxie et du cosmos. Je me souviens de cette vieille mappemonde de nos écoles primaires, cette grosse boule mystérieuse pleine de formes et de signes, et que je contemplais infiniment. Elle était censée nous aider à prendre conscience du monde, à comprendre qu’il y avait là notre patrie véritable et que nous devions envisager notre vie en elle et avec elle. Malgré toutes ces années, toutes ces découvertes, ces savoirs, ces accélérations techno-scientifiques, la plupart d’entre nous éprouvent du mal à penser, à concevoir notre planète comme une seule et même patrie. Les frontières tuent encore, tout comme les entités identitaires rageuses et les nationalismes hystériques. Nous en sommes encore là, d’où l’importance d’un imaginaire de la Relation. Mais cette même Relation nous désigne d’emblée, l’autre altérité, l’autre de toutes nos frontières : notre petit monde inscrit dans cette infime voie lactée, laquelle s’inscrit à son tour dans le mystère inconcevable du cosmos, dans ses dynamiques relationnelles de forces, de matières, de vide, de silence, d’énergie et de singularités noires à tout le moins inconcevables. Nous en sommes encore à devoir prendre conscience que cette planète est notre seule Nation, notre seule Patrie, notre seul Lieu commun, notre grandiose bien commun, et que nous devons apprendre à y vivre-en-relation sans les vieilles fixités, alors que nous devons d’ores et déjà mettre la vielle mappemonde dans une figuration mentale qui ne la sépare plus de notre galaxie et des immensités inépuisables de l’univers visible.

L’Autre, c’est enfin pour moi l’en-dehors de notre esprit, l’au-delà des capacités de notre pensée, la présence immanente et impavide de l’impensable. C’est avec l’impensable, grâce à lui, contre lui, que Sapiens a déployé toutes les sources et ressources de ses imaginaires. Cette source de notre créativité est encore là, impavide, encore disponible pour les stimulations de nos puissances d’agir. La source est encore une ressource. Cette Relation à l’Autre, à tout l’Autre, est donc fondamentalement une Relation à l’impensable de ce que nous sommes individuellement et collectivement, de ce qu’est le monde, et de ce qu’est cet infime monde dans l’inouï du cosmos.

La Relation demande un nouvel épique non pas cet épique archaïque qui comptait les exploits de la communauté et qui, dans un fil narratif autour de quelques héros, tissait les liens internes et externes de la communauté. L’épique de la Relation est un épique sans récit où s’effectuent des saisies existentielles, des états-du-monde ; où s’effectuent aussi les flamboiements de beauté des expériences individuelles de ces individus qui s’érigent en Personne sur la grand-scène du monde, et qui par leur accomplissement exaltent les nouveaux liens de notre vivre-en-relation. Le nouvel épique offre, d’une sorte horizontale, ces expériences individuelles, ces échecs ou ces accomplissements, à l’expérience et l’espérance de tous.

Se déprendre des imaginaires des vieilles communautés, tisser ensemble tous ces liens qui libèrent, choisir sa terre natale, choisir sa langue, choisir ses dieux, nommer son dieu, en inventer autant qu’on veut s’ils n’aiment pas être adorés. Avec et dans les différences, construire son « Lieu » dans l’archipel des « Lieux » toujours en devenir, se battre pour ces frontières fondamentales que sont les porches et les passages ouverts, ceux qui ne tracent qu’une ligne offerte à la saveur des différences ; ouvrir ses propres chemins dans la matière inextricable du Tout-Monde, avec cette belle errance qui oriente, et qui nous aide à percevoir combien toute la beauté du monde est dans la Relation.
Voici le bel objet de ma littérature.