N°141

Marcher pour l’égalité contre le racisme

Martin Luther King à Lyon en 1966

par Nadine Halitim-Dubois

Une visite historique un peu oubliée
Martin Luther King (1929-1968) est un militant pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis et contre la pauvreté. En 1964, ce pasteur baptiste devient le plus jeune lauréat du prix Nobel de la Paix, pour avoir mené une résistance non-violente contre le racisme et pour son engagement en faveur de la paix. Parmi les nombreuses actions qu’il a organisées, une des plus célèbres est la marche pacifique pour les droits civiques sur Washington du 28 août 1963. C’est à cette occasion qu’il prononça la célèbre phrase «  I have a dream » (« Je fais un rêve »), faisant le rêve d’une Amérique où régneraient liberté et égalité. L’année 1965 voit l’adoption aux Etats-Unis du Voting Rights Act qui interdit les discriminations raciales dans l’exercice du droit de vote, et donne enfin aux Afro-Américains la possibilité d’exercer pleinement leurs droits démocratiques. Martin Luther King meurt assassiné en avril 1968 à Memphis. Aux États-Unis, une journée commémorative célèbre chaque année sa mémoire en janvier.
En 2018, lors du 50e anniversaire de son assassinat, la Ville de Lyon lui rendait hommage par l’exposition « Martin Luther King le rêve brisé » présentée à la Bibliothèque municipale Part-Dieu sous le commissariat de l’éditeur et collectionneur Michel Chomarat. Ce fut l’occasion de rappeler, ce qui est peu connu, que Martin Luther King s’était rendu à Lyon le 29 mars 1966.

Affiche du meeting de Martin Luther King à la Bourse du Travail de Lyon. (© BM Lyon, fonds Chomarat, Est 17774)
Affiche du meeting de Martin Luther King à la Bourse du Travail de Lyon. (© BM Lyon, fonds Chomarat, Est 17774)

C’est à l’invitation de 27 associations dont le Cercle pour la liberté de la Culture présidé par Robert Vial [1] , des syndicats et des autorités religieuses, que Martin Luther King vint à la Bourse du Travail pour, comme l’indique l’invitation, s’adresser aux Lyonnais. Le choix de Lyon ne doit rien au hasard. Lyon a été la capitale de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale et n’a cessé d’être une cité rebelle à toutes les formes d’oppression et d’injustice, comme le rappellent les révoltes des Canuts. Martin Luther King l’avait choisie comme étape de sa tournée européenne, parce qu’elle symbolisait, à ses yeux, la « résistance à toutes formes de racisme, son esprit de tolérance et sa capacité à se dresser pour les grandes causes » [2].
Devant 5 000 personnes [3] et en présence de nombreuses personnalités dont le cardinal Villot, archevêque de Lyon, le pasteur Atger et le grand rabbin Kling, Martin Luther King prononça un discours où il devait notamment déclarer :
« C’est un grand réconfort pour moi d’être en France, berceau des libertés et des idéaux, pour réfléchir avec vous sur les problèmes que nous affrontons. Nous sommes réunis ce soir, motivés par le souci de faire disparaître les barrières. C’est pourquoi notre combat est un immense encouragement pour le reste du monde car il contribue à faire naître l’aurore d’un monde nouveau où tous, communistes, capitalistes, noirs, blancs, jaunes, catholiques, protestants, riches, pauvres, pourront se respecter réciproquement et coexister dans la paix. Ce jour viendra où l’on fera un soc de charrue avec les épées et où les nations ne se dresseront plus les unes contre les autres. Ce sera le jour où le lion et l’agneau pourront se tenir l’un près de l’autre sans s’effrayer l’un et l’autre. Ce jour approche. Vous me permettrez de dire en terminant, combien j’apprécie le soutien moral et financier que vous apportez au combat que nous menons. En le faisant, vous reconnaissez que toute menace contre la justice, quelque part dans le monde, est une menace partout dans le monde » [4].
Dressant un saisissant tableau de ce que fut la discrimination raciale aux États-Unis, le Pasteur évoquait la marche sur Washington de 1963 et le chant « Personne ne nous arrêtera ». La traduction simultanée de ses propos était assurée par Paul Eberhard, directeur de « l’Illustré protestant ».

Sa venue à Lyon avait été annoncée par un encart dans le quotidien Le Progrès dès le 23 mars. Quelques jours plus tard, le président du Cercle pour la liberté et la culture tenait une conférence de presse pour expliquer comment s’était constitué le comité d’accueil, en donnant la liste des personnalités qui le composaient, ainsi que celle des organisations associées [5] . Le jour de sa conférence, Martin Luther King fut reçu au journal Le Progrès, en présence de Mme Brémond (directrice du journal depuis 1940 [6] ) et du Maire de Lyon Louis Pradel. Le lendemain, il retournait par avion à Paris et poursuivait sa tournée européenne en se rendant à Stockholm, tandis que la presse se félicitait du succès rencontré par ce meeting : « Les organisateurs ont eu raison d’avoir confiance dans l’attachement qu’ont traditionnellement les Lyonnais pour les causes généreuses [7] ».

Une sculpture commémorative
La Ville de Lyon a tenu à conserver le souvenir de cette visite par une sculpture en bronze représentant Martin Luther King, placée rue de la Part-Dieu-rue Moncey (Lyon 3e), à quelques mètres seulement de la Bourse du Travail où il s’adressa aux Lyonnais. Il s’agit d’une tête monumentale (diamètre 0,94 m, hauteur 0,45m) réalisée en 2010 par le sculpteur suisse Cornelius Ricman (né en 1935 en Transylvanie). Cette sculpture est posée sur un socle en béton de 1,17 m surmonté d’un piédestal en granite noir de 0,20 m de hauteur. L’œuvre, qui est un don de l’artiste, réalisé avec le concours de l’association L’Hospitalité d’Abraham [8] , a été inaugurée le 2 avril 2011.

Sculpture représentant Martin Luther King, 2010. (© Nadine Halitim-Dubois)
Sculpture représentant Martin Luther King, 2010. (© Nadine Halitim-Dubois)

À l’arrière, le côté droit porte la signature du sculpteur avec la date de 2010, ainsi qu’un cartouche estampé avec le nom du fondeur Gilles Petit à Fleurier en Suisse et la mention de la fonte « à la cire perdue ». Sur le dessus du crâne notamment, sont visibles les traces des doigts de l’artiste modelant l’œuvre en appliquant de la matière à la main. Bien que Martin Luther King n’ait évidemment pas posé pour le sculpteur, son visage stylisé paraît cependant particulièrement vivant, avec un rendu très expressif. Les pupilles en relief lui donnent un air rêveur : le sculpteur a peut-être pensé à « I have a dream »…

La postérité de la marche de Washington
D’autres marches pacifiques suivront celles de Martin Luther King. Parmi les personnes présentes au meeting de la Bourse du Travail en 1966, il y avait Christian Delorme, âgé alors de 16 ans. Devenu prêtre, il fut un des initiateurs de « La Marche pour l’égalité et contre le racisme », la première du genre en Europe. Organisée dans le quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône) elle conduit en 1983 des jeunes pour la plupart issus de l’immigration, depuis Marseille jusqu’à la Bastille à Paris [9] . Cette initiative, dénommée par les médias « la marche des Beurs », s’inspire des marches non violentes américaines en faveur des droits civiques. Elle est soutenue par des associations telles le M.R.A.P. (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), la CIMADE (organisation d’origine protestante d’aide aux étrangers), des partis politiques et des syndicats. Avec les mêmes motivations, l’association Convergence 1984 organise en 1984 des marches au départ de huit villes jusqu’à Paris.

A la fin des années 1990, les marches s’internationalisent : on peut citer en février 1997, la marche européenne contre le chômage, la précarité et l’exclusion, qui conduit les délégués de 17 pays depuis Bruxelles jusqu’à Amsterdam, où sont alors discutées les modalités d’un traité modifiant celui de Maastricht.

[1Robert Vial, Martin Luther King à Lyon, éditions Mémoire Active, 2009.

[3Archives INA, 29 mars 1966 (en ligne).

[5Il comprenait : Louis Pradel Maire de Lyon ; le cardinal Villot archevêque de Lyon de 1965 à 1967 ; l’association générale des étudiants de Lyon ; le cercle Tocqueville (Le Progrès, 25 mars 1966).

[6Sous sa direction, le Progrès de Lyon refusa de se plier aux consignes de mise en page imposées par la censure de Vichy. Le journal annonça à ses lecteurs qu’il interrompait sa parution. Il reparaîtra le 8 septembre 1944.

[7Le Progrès, 30 mars 1966. BM Lyon microfilm.

[8L’association l’Hospitalité d’Abraham est une association non confessionnelle régie par la loi de 1901. Elle a été créée en 1996 par des acteurs de la vie publique lyonnaise, soucieux d’œuvrer au "vivre ensemble" entre les personnes et les groupes d’origines et de convictions diverses qui composent la nation française.

[9Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky, « Les marches en France aux XIXe et XXe siècles : récurrence et métamorphose d’une démonstration collective », Le Mouvement Social, no 202, 2003, p. 89. DOI : 10.3917/lms.202.0069. URL : https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social1-2003-1-page-69.htm