Éclats de silences
Omar Hallouche
Libel, 2023
Préface de Christian Delorme
Postface de Christophe Clerc

Les livres sur lesdits chibanis (les personnes âgées immigrées venues du Maghreb), ou d’autres pays anciennement colonisés, ou anciennement colonisateurs mais viviers de l’immigration en France ne manquent pas : recueils de témoignages ou albums de photographies. Ils ont la vertu d’entretenir et de transmettre, avec d’autres types de documents ou d’actions, les mémoires de cette immigration. C’est bien évidemment plus qu’utile (ce à quoi renvoie souvent les usages du mot immigration : l’utilité et l’utilisation opportune d’une main d’œuvre disponible), c’est fondamental. Fondamental pour comprendre le présent : le présent des imaginaires des rapports sociaux, le présent des vécus des générations issues de ces immigrations, le présent des migrations actuelles et le présent des politiques actuelles concernant la question migratoire.
Éclats de silences fait partie de ce « travail de mémoire » auquel son auteur (anthropologue, professionnel de la santé et immigré lui-même) contribue depuis longtemps (« L’aventure a commencé au début de l’année 2000 […] autour de la question des mémoires migratoires »), mais aussi s’y distingue sur le plan formel comme sur le plan de l’approche.
Sur le plan formel, c’est ce qu’on peut appeler un bel objet plutôt qu’un « beau livre » : il n’« esthétise » pas la question de l’immigration, il donne plutôt envie de lire et d’en savoir plus sur cette question. Un travail d’édition soigné qui allie sobriété et originalité de la mise en page. Sur le plan de l’approche, c’est un travail à la fois rigoureux et sensible alliant extraits d’entretiens (les plus significatifs : des « paroles qui disent ce que l’on a à entendre ». Elles se suffisent à elles-mêmes ) et une contextualisation de chaque recueil (lieu, moment, ambiance, conditions, réactions…). Courts et précis, ces recueils restituent cependant le dialogue vivant et non artificiel entre l’enquêteur (« je me suis abstenu de toute analyse ») et les enquêtés. Une approche inspirée sans doute du grand sociologue Abdelmalek Sayad, le surnommé « le Socrate algérien », auquel est par ailleurs dédié ce recueil !
La quatrième de couverture annonce Paroles d’immigrés : des paroles faites d’Éclats de silences si l’on peut dire, non seulement par pudeur des « gens de peu » comme on dit souvent (et comme ils disent parfois eux-mêmes) mais par réserve conditionnelle et défaut d’accès à la prise de parole. Or, sans ces paroles, l’on ne peut rien comprendre ni aux vécus de ces personnes ni au rôle qu’ils ont joué dans l’histoire. Elles nous apprennent en quelques phrases bien plus que des traités sur les immigrations de cette époque : « la misère qui leur avait fait quitter leurs campagnes, la découverte des villes froides et inhospitalières, la dureté du monde du travail, la douleur de l’exil, l’habitat précaire. A cela s’ajoutait pour les Algériens la culpabilité d’être partis pendant la guerre qui opposait leur pays à la France en laissant derrière eux leurs familles ». Ce qui ne se lit ni dans les tableaux à chiffres ni sur des courbes qui calculent seulement en plus ou moins le nombre des immigrés, ni dans les différents discours « autorisés » et d’autant qu’il ne s’agit pas que des immigrés arrivés de l’étranger mais aussi « de l’intérieur » (d’autres régions dans l’agglomération lyonnaise où l’auteur a recueilli ces paroles).
Un « travail de mémoire » qui éclaire le présent. Christophe Clerc (ex-délégué régional de l’Association Service Social Familial Migrants – ASSFAM) qui postface ce recueil le rappelle : « On pourrait penser qu’ils [ces entretiens] appartiennent au passé. Et, pourtant, ils ne sont nullement datés. Les causes qui ont poussé les immigrés issus des anciennes colonies à immigrer dans notre pays au début des années 1960 sont semblables à celles des nouveaux migrants : la guerre, la mal-vie, auxquelles se rajoute sans doute la quête de liberté. Les conditions d’accueil quant à elles n’ont pas changé » !