N°141

note de lecture

Soraya Guendouz-Arab & Nora Mekmouche : Silence Nos Algérie(s) intimes

par Abdellatif Chaouite

Silence
Nos Algérie(s) intimes
(ss. dir.) Soraya Guendouz-Arab
& Nora Mekmouche

Cris écrits éditions, 2022

Première livraison d’une aventure éditoriale prometteuse. Une aventure que l’on ne peut qu’aimer quand on aime les aventures éditoriales.
Née dans le giron de l’association ACT (Approches Cultures et Territoires) à Marseille et comme une greffe naturelle sur cet act, elle poursuit au niveau de l’écrit les cris que cette association ne cesse de lancer depuis des années sur les traitements réservés aux interstices de ses inter-cultures issues des apports migratoires sur ses territoires.
« Silence est une nouvelle collection dans le paysage éditorial marseillais » nous disent ses éditorialistes. Ni une revue ni un livre mais une « collection ». Une collection, c’est un ensemble aussi bien d’individus réunis autour d’intérêts communs que d’« objets » qui ont un intérêt partagé entre des individus. Ici : l’histoire et les mémoires des populations qui ont façonné les territoires de Marseille, et cette volonté « de prendre soin de nos êtres, affirmer nos subjectivités et ouvrir de nouveaux chemins pour faire émerger nos voix » et créer « des espaces pour accueillir nos vulnérabilités, nos questionnements, nos réflexions et nos quêtes de sens pour mieux habiter cette terre ».
« Nous avons compris la puissance des mots ». Et ces mots sont tous importants : prendre soin, affirmer les subjectivités, ouvrir des chemins, faire émerger des voix, accueillir, habiter cette terre. C’est un condensé d’une volonté éthique et esthétique, sensible et intelligible, de résistance libératrice (« désosser le réel pour mieux l’habiter » !) d’un Phénix qui n’arrête pas de renaître de ses cendres : l’entreprise de « deshéritage » qui illégitime les bâtards d’une histoire reproduisant sans cesse ses aveuglements… Tout est dit en ces quelques mots (un « souffle ») qui ne peuvent laisser quiconque indifférent, du moins celles et ceux qui, d’un côté comme de l’autre, se sentent héritiers du pesant de ce deshéritage.
Désosser le réel, c’est restaurer l’imaginaire et le symbolique qui en font une réalité non seulement vivable mais équitablement partagée, seule condition à véritablement émanciper dedans. C’est une « danse » ou une « transe » des corps qui « réinventent » les âmes… On l’aura compris, Silence est une prise de parole.
Hasard du calendrier dans l’aventure ou opportunité du réveil du Phénix, cette première livraison commémore le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie : Nos Algérie(s) intimes. Intime, c’est le parti pris de cette collection. Cris écrits intimes « pour refuser l’injonction à la neutralité », à l’« enfermement », à la passivité des discours (politiques, médiatiques...) pré-construits, et « répondre à une urgence de réparation sociale et culturelle » à travers « les puissances de l’écriture ». Si cela s’entend, on entend également, au-delà de toute réparation, la volonté d’un dépassement « à travers le prisme de l’intime ». C’est ce que l’écriture intime permet précisément : au-delà de toute grammaire dictée d’avance, l’« affirmation » d’une conviction intime, d’une expérience intime, d’un ajustement de soi au monde ou de la note non entendue dans le brouhaha des agitations qui saturent l’espace des discours. C’est forcément une parole plurielle, singulièrement plurielle et pluriellement singulière, qui réveille les silences.
Ce Nos Algérie(s) intimes l’illustre parfaitement. Chaque contribution (écrite, dessinée, photographiée…) y est située, assumée parole intime, convaincue d’elle-même et s’autorisant d’elle-même, et en cela sincère et engageant à un dialogue, à un échange, à un dire ensemble par-delà tout silence.
Silence n’est pas, de ce fait, un écrit en plus mais un cri échappant à l’injonction à l’étouffement et au silence des expressions. Il a, avec ce numéro, rencontré son onde. S’il faut en féliciter ses actrices, il faut également souhaiter que cette onde l’emmène le plus loin possible. C’est peu de dire que nous en avons besoin par ces temps qui perdent aussi bien le sens de l’intime que son partage sensible.