Faire le deuil d’un ami fait partie de l’épreuve de l’amitié : devoir lui dire Adieu, savoir que le souvenir ne remplacera jamais sa présence... et quelle présence !
Brahim nous a quittés. Trop tôt. Manqueront pour celles et ceux qui l’ont connu son sourire, sa bonhomie, sa faconde, et cette magie qu’il avait dans les doigts quand il prenait une derbouka, une tara, un bendir, un djembé ou n’importe quel instrument ou support dont il pouvait tirer un rythme pour accompagner ces chants qui ont bercé l’enfance de certains d’entre nous, ou pour en inventer d’autres… Brahim était plus qu’un maître percussionniste, il était conteur, il était créateur, il était animateur, il était un espiègle de la Relation. Il était généreusement ami, aimant et aimable. Il aimait l’amitié, il aimait l’« aimance » ! Son regard, son sourire, sa faconde malicieusement complice, son bon-savoir-vivre ne laissaient personne indifférent… Et son souci des autres, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent. C’était à n’en pas douter l’une de ses « raisons d’agir ».
Brahim agissait, militait... à sa manière : en gestes concrets et toujours aimables abordant les situations de détresses humaines et même d’injustices inhumaines en les relevant au niveau de ce qui en demeurait humainement sensible et partageable. Il avait compris que le sens vrai du politique, c’est le partage et que le partage c’est d’abord une « politique de l’amitié » concrète, hors tout calcul mais hors toute naïveté – l’une des connotations de son nom en parler marocain est « facilitateur » ! Il se rangeait – toujours de manière créative – du côté de celles et ceux qui avaient besoin d’une reconnaissance, d’une écoute, d’une magie à faire entendre l’inentendu de leur parole.
Brahim M’Sahel naît à Casablanca au Maroc en 1958. Il grandit dans une famille passionnée de musique traditionnelle gnawa : « Du côté paternel, mes grands-parents sont du grand Atlas, côté maternel c’est tout en bas, à la porte du désert, le grand Sud. J’ai des cousins qui jouent dans les mariages, ma tante chante et joue des percussions avec une formation de femmes. J’ai beaucoup appris avec elle, avec ma grand-mère aussi ». Son père émigre en France où il va travailler dans la maçonnerie. En 1973, Brahim quitte à son tour le Maroc, avec sa mère, dans le cadre des mesures de regroupement familial. La famille s’installe d’abord en région stéphanoise puis déménage dans la ville nouvelle de Rillieux-la-Pape en 1976.
La passion de la musique ne le quitte pas : « En France, petit, j’ai d’abord découvert les chanteurs de variété populaire puis ensuite seulement, à l’adolescence, les Rolling Stones et la musique funk, la soul le reggae. Avec des copains du quartier des Alagniers, les frères Mohammed et Mokhtar Amini, on s’essayait à ce moment-là au rock : ils jouaient de la guitare et de la basse et moi j’envisageais de jouer de la batterie, mais notre projet n’a pas vraiment abouti. Finalement j’ai fondé un groupe de musique avec des instruments et un répertoire traditionnel, ça s’appelait Noujoum (Étoile) ». Le groupe anime les fêtes de quartier en reprenant surtout les standards de Nass el Ghiwan, Jil Jilala, Mchaheb (groupes marocains ayant renouvelé le patrimoine du chant populaire au Maroc), le son engagé au Maghreb dans ces années-là.
Brahim bientôt rejoint l’aventure du groupe rock Carte de séjour, emmené par Rachid Taha, les frères Amini et Jérome Savy. Ce dernier évoque avec émotion son charisme sur scène : « Brahim amène les pulsations, la derbouka. Il a des bendirs super hypnotiques et deux petites cymbales gnawouis accrochées au bout des doigts. Le public en redemande ! ». Les percussions de Brahim et le luth de Jallal enrichissent ainsi la palette esthétique du groupe avec leurs sonorités maghrébines.
A la fin des années 1990, Brahim fonde le groupe Zéphyr, avec lequel il produit un album « Pour voyager » (1999) et organise des tournées dans toute la région pendant une dizaine d’années. Parallèlement, il conduit plusieurs projets artistiques impliquant des musiciens exilés, des jeunes des quartiers populaires ou encore des résidents en foyer dans l’agglomération lyonnaise...
Outre cet engagement passionné, déployé à travers le rythme et le chant, Brahim fut également compagnon d’autres engagements collectifs. Discrètement – mais de cette discrétion qui fait l’efficacité de l’acte et la conviction de l’acteur – il avait œuvré, aux côtés de Warda Houti, de Moustapha Najmi et de Benjamin Vanderlick, à l’aventure Traces : Réseau régional Histoire-mémoires de l’immigration en Rhône-Alpes. Plusieurs réalisations (« Les cent voix », la mise en scène du dernier vieux foyer pour migrants Rhin et Danube à Lyon, etc.) devaient à la finesse et à la persévérance de Brahim.
Cette dernière décennie, Brahim s’était consacré, avec sa compagne Warda, au projet Alfenzine (le bel art ou les beaux arts). Projet toujours en cours qu’ils ont initié (sur la terre de ses ancêtres), dans l’objectif d’un agir amical précisément, entre le passé et le présent, entre les territoires et les lieux de mémoires, entre les pratiques hospitalières et les pratiques artistiques, entre les savoir-faire locaux (les petites mains de fées d’un village) et les savoir-faire aux labels prestigieux au niveau international, etc.
On gardera de l’ami Brahim le souvenir d’un ami des humains d’abord, artiste dans son âme, bricoleur génial (il fut aussi mécanicien), acteur soucieux des plus faibles, agitateur discret et un grand vivant au rire éclatant : tel il demeurera dans nos mémoires !