Après Demain est si loin, tourné à la frontière franco-italienne près de Briançon entre 2018 et 2019, Muriel Cravatte poursuit son travail d’enquête sur l’expérience migratoire, au plus près du terrain et du vécu des personnes. Pour réaliser ce nouveau documentaire elle a séjourné longuement à bord de l’Ocean Viking, navire de sauvetage de l’association SOS Méditerranée. Dans le dossier de presse la réalisatrice revient sur la genèse du tournage : « Le 11 juillet 2017, Constance, 22 ans, originaire du Cameroun, embarque en Libye sur un fragile bateau en bois, avec une centaine d’hommes. Elle est enceinte et souffre depuis quelques heures de violentes contractions. Le travail de l’accouchement a commencé. Elle va accoucher en pleine Méditerranée, au milieu d’inconnus terrorisés. Un seul homme la réconfortera, en lui tenant la main. Les autres ne lui apporteront aucune aide, certains lui demanderont de se taire quand elle criera. C’est ainsi qu’elle va mettre au monde son fils, qu’elle appellera Christ. Quand les sauveteur·euse·s de SOS Méditerranée rejoignent l’embarcation, Christ est né. Mère et fils, sains et saufs, encore reliés par le cordon ombilical, seront hissés à bord du navire de sauvetage où le cordon sera coupé. Quelques jours plus tard, ils seront débarqués en Italie, où ils suivront un parcours chaotique semblable à celui de beaucoup d’exilé·e·s. Après un périple de plusieurs mois, Christ et sa mère arrivent à Briançon, au Refuge Solidaire, lieu d’hébergement d’urgence. C’est là que je les rencontre, pendant le tournage de Demain est si loin, mon précédent documentaire. J’ai tenu Christ dans mes bras. Ce petit être en devenir, calé tout contre moi, avec ses grands yeux qui me fixaient, m’a

bouleversée : si petit et déjà porteur d’une histoire tellement chargée. J’ai éprouvé un sentiment de vertige, et le besoin d’aller voir en Méditerranée ce qu’il s’y passait. Le désir, ou plus exactement la nécessité de tourner un documentaire sur un navire de sauvetage comme l’Ocean Viking, est né à ce moment-là ».
Dans Mothership, Muriel Cravatte documente avec précision ce qui se joue lors d’une mission du navire en Méditerranée. De la recherche des embarcations égarées en mer au débarquement dans un port sûr en Italie, en passant par le moment très délicat du sauvetage. Le spectateur se trouve comme immergé dans le quotidien des sauveteurs et des exilé.e.s confrontés à l’inhospitalité des politiques européennes.
L’intérêt particulier du film réside dans le regard exceptionnel que la réalisatrice porte sur les femmes et les enfants recueillis à bord du navire humanitaire. La caméra suit de près Marina, sage-femme, ses gestes et ses activités sur le pont comme dans la clinique du navire. C’est avec une pudeur infinie que sont également filmées les confidences des femmes secourues, à propos des sévices qu’elles ont subis en Libye. C’est ainsi que nous entendons les voix de Keita, Aïcha, Mariam, Alamata et Ami, qui racontent leur parcours singulier, tout en s’inscrivant dans un récit collectif.