Un squat sur un plateau
Ouvrage collectif
GINKGO éditeur, 2022

Le squat Maurice-Scève, un ancien collège désaffecté construit sur l’emblématique plateau de la Croix-Rousse à Lyon… Une histoire contée par celles et ceux qui en ont été les protagonistes, dont la parole de Nicole recueillie lors d’une présentation du livre à la Maison des Passages, en présence de Catherine Wihtol de Wenden…
Nicole : « Pourquoi ce livre ? Que représentait ce livre ? Ce livre c’était une volonté d’un certain groupe de soutiens, de soutiens militants, une poignée puisqu’on était six, sept avec Yady, à avoir rédigé vraiment ; notre volonté c’était que cette aventure ne tombe pas dans l’oubli, pour deux choses ; d’abord pour que l’histoire de ces jeunes ne tombe pas dans l’oubli, et que ça risquait de passer comme tout passe actuellement, et puis parce que c’était pour nous une aventure très intéressante voire exaltante, d’avoir eu jusqu’à 450 jeunes pendant deux ans dans un quartier comme celui de la Croix-Rousse. Donc on a décidé d’écrire ce livre qui relate l’histoire sur deux ans pile, sur un ancien collège qui appartenait à la Métropole de Lyon. Initialement c’était 50 mineurs qui étaient à la rue, qui campaient sur les pentes de la Croix-Rousse, et puis, de 50 mineurs c’est passé à 450 dont la plupart étaient des majeurs, dont la plupart étaient des demandeurs d‘asile, primo-arrivants comme quasiment tous. Donc ce livre c’est un ouvrage collectif, ce n’est pas l’émanation du collectif Soutien Migrants Croix-Rousse, il reflète les difficultés organisationnelles, toutes les difficultés qu’on a pu rencontrer, que chacun peut imaginer, parce qu’il a fallu construire des chambres, nourrir, rassurer, donner les codes, expliquer les parcours administratifs, tout ce qu’on peut imaginer qui a pu arriver, tous les questionnements qu’il y a eu, qui étaient des questionnements éthiques et politiques, difficiles, qu’est-ce qu’on fait quand on a en centre-ville 400 jeunes Africains, c’est une espèce de verrue… On a eu trois épisodes politiques et trois combats différents avec des interlocuteurs différents , et puis donc tous les rapports avec les politiques, les décisionnaires, les associations etc. qui ont gravité autour de cette aventure. Mais ce qui est important aussi, c’est qu’on a eu une énorme implication des voisins et donc cette histoire relate l’implication d’un quartier, un peu comme la sociologue de Paris qui avait écrit un livre très intéressant « Un squat en bas de chez moi », nous c’est un squat sur un plateau, ça doit revenir à peu près au même, c’est l’histoire de l’interaction entre un quartier, qui n’est pas n’importe quel quartier, c’est-à-dire que ce qui s’est passé à la Croix-Rousse sur Lyon ne se passe pas dans les autres quartiers, c’est un quartier qui a eu des habitudes de solidarité, des habitudes de lutte, des habitudes de combat et qui, là, s’est engagé auprès de ces jeunes (vraiment il y a eu très très peu d’opposition) pour leur assurer le maximum de dignité, d’hospitalité et d’accueil. C’est l’histoire de l’émergence d’un collectif, c’est parti de pas grand-chose, avec des itinéraires et des personnalités très différents, qui s’est construit autour de la dignité de ces jeunes avec toujours un credo, c’était de laisser la parole aux jeunes, c’est-à-dire que la décision finale c’était toujours eux qui allaient l’emporter, mais autour d’une organisation qu’on peut qualifier d’autogestionnaire puisqu’il y avait une Assemblée Générale hebdomadaire qui n’a jamais flanché ; même au mois d’août, il y a toujours eu une Assemblée Générale décisionnaire, avec gravitant autour des commissions, commission travaux pour construire les chambres, commission culture (il y a eu beaucoup d’événements culturels et d’événements festifs), commission alimentation, commission communication, et j’en oublie mais il y avait plein de groupes qui gravitaient autour et qui restituaient le travail en Assemblée Générale et l’Assemblée Générale essayait de donner la ligne à tenir pour la semaine d’après, on n’avait pas une visibilité très très longue… Alors, quand même, un événement au milieu : on s’est quand même fait le Covid au milieu ! On s’est trouvé avec 400-450 jeunes enfermés pendant deux mois, avec tous les supports associatifs type Banque Alimentaire qui s’étaient écroulés, et les soutiens eux-mêmes enfermés chez eux, donc on imagine le bin’s que ça a pu être, mais on a tenu la route, c’est quand même pour dire mais on avait une réunion par téléphone tous les deux jours et on était des fois 40 ou 50 au téléphone avec, décliné, est-ce qu’il y a à

manger ? est-ce qu’il y a des malades ? est-ce qu’il y a des bagarres ? comment est-ce que ça va ? etc. C’était quand même pas rien mais ça s’est plutôt bien passé. Ce qu’on peut dire et il faut le noter, c’est que ce squat a plutôt bien fonctionné jusqu’à son évacuation et il faut insister sur le fait que tous les jeunes ont été hébergés dans les suites et qu’il y a eu zéro remise à la rue, et que ça c’était un gros combat politique pour arriver à l’imposer. Ils sont allés en CADA, ils sont allés en hôtels, ça a débouché sur la création de la première station à savoir un lieu pour une cinquantaine de mineurs qui fonctionne toujours et qui s’est étendue maintenant, et on peut souligner l’importance du combat politique quasi-quotidien qu’il a fallu mener. L’ouverture d’un squat, de tous les squats, c’est une réponse locale, comme Catherine Wihtol de Wenden l’a bien noté, à une question nationale, une question européenne, une question mondiale ; qu’est-ce qu’on fait dans une ville, si les pouvoirs publics d’abord ne respectent pas les droits (ils étaient tous quasiment demandeurs d’asile, ils auraient dû être hébergés, ils ne l’étaient pas), donc comment est-ce que la société civile essaie de s’organiser, quels moyens a la société civile pour s’organiser afin de laisser de la dignité à ces jeunes, donc l’ouverture de ces squats est un moyen pour leur donner de la dignité. Mais c’est aussi un moyen pour les rendre visibles et pour exercer une pression politique parce que chaque squat doit avoir une solution. L’ouverture de squat c’est aussi une réponse à l’abandon, c’est une réponse à la mise au ban de ces jeunes, c’est une réponse à la précarité, même si ce lieu est précaire, c’est une réponse à une précarité qui serait encore pire, c’est une réponse aux contradictions politiques auxquelles on s’est bien affrontés. Ce n’est pas une bonne réponse, il faut savoir que les squats sont des lieux souvent très difficiles à vivre, avec plein de petites bêtes, plein de bagarres, plein de choses très difficiles à vivre donc ce n’est pas une bonne réponse mais c’est la seule réponse en tout cas sur Lyon où l’histoire des squats a une tradition. En tout cas c’est une réponse qui continue à se perpétuer actuellement. En toile de fond c’est la question des mineurs, des Mineurs Non Accompagnés, puisque l’ouverture de ce squat s’est faite pour héberger des mineurs, bien sûr il y a eu tous les majeurs qui sont venus après… La question des mineurs est totalement entière sur Lyon et sur toute la France, puisque, actuellement, le collectif a en charge, sous sa responsabilité, je ne sais pas comment dire, entre 100 et 200 mineurs en lien avec l’AMIE (Association des Mineurs Isolés Étrangers) avec des mineurs hébergés dans un gymnase, dans des squats, dans des maisons ouvertes par la Mairie et puis dans ces deux lieux ouverts par la Métropole où ils ont actuellement 90 et bientôt une centaine de places ».
Comme le souligne Catherine Wihtol de Wenden dans sa préface, « Ce livre aide à conserver la mémoire des valeurs qui se sont déployées tout au long de ce combat pour un logement et à montrer, sans aucun fard, le dynamisme manifesté par tous les acteurs, envers et contre tout ».