Depuis des dizaines d’années, des hommes et des femmes, de toutes couleurs politiques, s’autorisent toutes les injures, toutes les haines envers les « migrants » et même dernièrement un appel au meurtre ! En guise de rappel, voici une petite liste, récente et non exhaustive, de cette chasse aux étrangers qui fait la honte de la politique française ! A bien la considérer, elle donne au fond de l’air une couleur brune et noire insistante.
L’extrême droite chasse les étrangers
Le lundi 24 avril 2023, sur la chaîne La Première de France Télévisions. Interrogé sur l’opération Wuambushu, qui vise à expulser de Mayotte des milliers de sans-papiers, Salime Mdéré (Vice-président du conseil départemental de Mayotte, élu sous l’étiquette divers centre) déclare : « Quand je vois ce qu’il se passe à Tsoundzou, moi je reste un peu réticent. Des gamins qu’on voit de loin… enfin c’est même pas des gamins, moi je refuse d’ailleurs qu’on emploie ces termes-là : « jeunes » ou « gamins », ces délinquants, ces voyous, ces terroristes… à un moment donné, il faut peut-être en tuer, je pèse mes mots. Il faut peut-être en tuer. S’il n’y en a pas un qui est tué, il y en aura toujours d’autres qui vont oser tenter de tuer des policiers. La légitime défense, elle est où là-dedans ? » La journaliste qui réalise l’interview est obligée de le faire taire : « Je ne peux pas vous laisser dire ça à la télévision publique.! »
Le 11 janvier 2023 à Callac dans les Cotes d’Armor, commune de 2.200 habitants dont le Maire et le Conseil municipal avaient le projet de créer un centre d’accueil pour « Migrants », projet construit avec la Fondation Merci. Pour la mairie l’objectif est la dynamisation du territoire. Quelques manifestants, appuyés par l’extrême droite de Zemmour, l’association Civitas, déguisés en chouans, vont organiser deux manifestations et exercer de multiples menaces… Ils auront finalement, par leur violence, raison du projet ! Dans le Monde Madame Laure Line Inderbitzin, élue municipale, déclare : « Trop de pression, trop de menace, on a lâché car on n’a pas été aidés ». Le 13 avril 2023, le fonds de dotation Merci, à l’origine du projet a déposé plainte pour « harcèlement » et « provocation à la haine ». La famille fondatrice de l’association a été la cible de « messages injurieux, menaçants et antisémites, explique son avocat, Mr Vincent Brengarth. Pour ces raisons, nous avons décidé de déposer plainte contre X devant le procureur de la République de Paris pour harcèlement en ligne, provocation à la haine ou encore injure à raison de l’appartenance vraie ou supposée à une religion » ajoute-t-il. La plainte vise également « une probable complicité de médias qui ont laissé planer un climat nauséabond » souligne Mr Brengarth, pointant le site Riposte Laïque. Benoît Cohen, administrateur du fonds Merci, déplore « des méthodes mafieuses, avec des menaces de mort, de viol, une violence quotidienne qui ont fini par payer puisque les gens avaient peur ».
Finalement la préfecture ouvrira un CADA sans reprendre le projet initial.
Le 25 février 2023, après une première manifestation en décembre 2022, à Saint Brevin les Pins, commune de Loire-Atlantique, 400 manifestants viennent pour s’opposer au déplacement et à l’agrandissement d’un CADA (pour accueillir 70 personnes venant de Calais). Parmi eux la bande à Zemmour, l’association Civitas des intégristes catholiques et des adhérents du RN, le tout accompagné par des drapeaux chouans et des menaces diverses et multiples sur les réseaux sociaux… Un rassemblement de 900 personnes réunira le même jour les soutiens au maire de Saint Brevin. Mais, Antoine Perraud, l’envoyé de Mediapart, constate : « Non sans avoir réussi, en rassemblant presque 900 personnes, une démonstration de force tranquille. Même si toutes les prises de parole transpirent l’inquiétude défensive face à un fond de l’air plus brun que rouge » (Mediapart 26 février 2023). Le 22 mars 2023 la maison du maire et deux de ses voitures sont incendiées…C’est la vieille stratégie de la violence si bien affinée par l’extrême droite au fil de l’histoire qui se dessine. Elle prend forme, intimide et fait peur, et détruit les liens sociaux ! Si le projet est abandonné, le CADA demeure.
Le 25 février 2023 puis le 11 mars à Bélâbre dans l’Indre (village de 980 habitants), une manifestation était organisée par l’extrême droite pour contester un projet d’implantation d’un CADA pour 38 personnes ; avec comme slogan : « Bélâbre ne deviendra pas Barbès-Rochechouart » et « ils arrivent »…Était présent à cette manifestation l’avocat parisien Pierre Gentillet, originaire de l’Indre, proche de longue date des mouvements d’extrême droite. Des contre-manifestants ont soutenu le projet de la mairie, voté en février dernier à une très large majorité de 13 voix sur 15. Mettre le feu et allumer les haines pour engranger des soutiens, là aussi est la vieille stratégie des extrêmes droites.
Le 18 février puis le 25 février à l’appel du « clan Zemmour », quelques habitants, patriotes de Philippot et de l’Action Française, sont venus dire leur refus de l’implantation d’un CADA dans le village de Beyssenac (950 habitants) en Corrèze et soutenir le collectif « sauvons Beyssenac et Ségur ». Le maire de Beyssenac, Francis Comby (LR) vice-président du conseil départemental est lui-même contre le projet de l’implantation d’un CADA. L’État est maître d’œuvre de sa politique et c’est lui qui peut imposer l’installation d’un CADA, en l’espèce dans un ancien hôtel abandonné. La préfecture, après une réunion d’explication avec les habitants, a missionné l’association Viltais pour ouvrir le CADA. Chose faite depuis début avril 2023 pour 6 migrants. C’est cette même association qui a en charge les CADA à Callac, Saint Brevin les pins et Bélâbre…
Il n’y a pas que l’extrême droite qui intimide et chasse les étrangers
En même temps que la rue extrême-droitière manifeste contre les migrants, manifestations certes minoritaires qui montrent des liens entre la droite et l’extrême droite, des hommes politiques connus et reconnus reprennent leurs attaques contre les migrants. Ces longs sanglots de l’homme apeuré et qui sait faire peur, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances les fait entendre. Il lâche sur BFMTV : « Nos compatriotes en ont ras-le-bol de la fraude » sociale, « Ils n’ont aucune envie de voir que des personnes peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit. Ce n’est pas fait pour ça, le modèle social », et pour celles et ceux qui auraient un doute légitime, il assure ne pas faire de clin d’œil à l’extrême droite. (AFP 18 avril 2023).
Quant à Fabien Roussel, secrétaire du Parti communiste, il écrit sur twitter au moment du congrès du parti à Marseille début avril 2023 : « Ils ont mis la France sur le Bon Coin, ils ont signé des traités de libre-échange, ils ont transformé nos frontières en passoires, ils ont laissé filer nos usines et ils reviennent la bouche en cœur en nous parlant de souveraineté. Quelle humiliation ! ». Pas du tout embarrassé par la polémique de son discours, il revient le lendemain devant la journaliste Apolline de Malherbe qui lui demande : « Aurait-on dû davantage contrôler l’arrivée, y compris des travailleurs, des migrants, de ceux qui arrivent pour travailler en France ? », il répond que sur la question de l’immigration il faut être « plus ferme » ! Ainsi que le fait remarquer François Gemenne : « une nouvelle expression de l’extrême droite a été reprise par un responsable politique, de gauche de surcroît » et de préciser dans son article : « il savait que 48 % des électeurs de gauche estimaient désormais qu’il y avait trop d’étrangers en France… Ce chiffre est en progression de 21 points (!) depuis 2018, et une note récente de la Fondation Jean Jaurès relève, à juste titre, que le clivage gauche-droite sur la question de l’immigration est beaucoup moins marqué qu’il ne l’était auparavant » [1]
Quand des nazis français organisent des milices privées
En avril 2018 le groupe Génération Identitaire (GI), groupuscule fasciste, mène une opération anti-migrants au col de l’Échelle à la frontière entre la France et l’Italie. Pendant une semaine, à l’aide d’hélicoptères, de véhicules tout-terrain, d’un avion et d’installation de barrières, ils « patrouillent » dans cette zone régulièrement empruntée par des exilés pour rejoindre la France, vêtus de ce qui pouvait s’apparenter à des uniformes de gendarmerie (des doudounes bleues). Un mot d’ordre simple sur une grande banderole « Frontière fermée. Vous ne ferez pas de l’Europe votre maison. Hors de question. Rentrez chez vous. ».
Le 29 août 2019, le tribunal correctionnel de Gap, prononce des peines de six mois de prison ferme, une amende de 2 000 euros et une privation des droits civiques pendant cinq ans pour chacun des trois prévenus, Damien Rieu, Clément Gandelin, Romain Espino, et une amende de 75 000 euros pour le mouvement Génération Identitaire. Le tribunal a considéré que la prison ferme s’imposait : « compte tenu de la nature extrêmement grave des faits, de l’importance du trouble à l’ordre public occasionné non seulement pendant leur période de commission mais de manière durable dans le département, de l’importance des valeurs protégées par les infractions reprochées et du passé pénal des prévenus ». Les trois prévenus, qui sont soutenus par plusieurs cadres du RN et Marion Maréchal, qualifient le jugement de « politique ». Mais, en décembre 2020, la cour d’appel de Grenoble prononce la relaxe des trois prévenus estimant que « cette action, purement de propagande politique, à visée médiatique, n’était pas de nature à créer une confusion dans l’esprit du public avec l’exercice de la fonction des forces de l’ordre ».

Cette association est née en juillet 2012 à Lyon. Cette ville a un très long et lourd passé de présence de l’extrême droite et sert également de passerelle entre l’extrême droite et la droite, notamment depuis la guerre d’indépendance du peuple algérien. A sa création le groupe GI se définit de la sorte : « Ne vous méprenez pas, ceci n’est pas un simple manifeste, c’est une déclaration de guerre » … « Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la faillite totale du vivre ensemble, du métissage imposé […] Nous sommes la génération victime de celle de mai 1968 […] Nous avons cessé de croire que Khader pouvait être notre frère, la planète notre village et l’humanité notre famille […] Notre seul héritage c’est notre terre, notre sang, notre identité ». Quelques mois après sa création, il occupera le chantier de la grande mosquée de Poitiers pour une sorte de démonstration programmatique.
En août 2017 Génération Identitaire participe à l’opération européenne de l’extrême droite « Defend Europe ». Opération présentée comme un sauvetage identitaire, avec comme objectif de bloquer les migrants au large de la Libye avec le mot d’ordre inspiré de la politique anti-migrants australienne « No Way : vous ne ferez pas de l’Europe votre foyer ». Ce collectif de français, d’allemands, d’autrichiens et d’italiens a loué le chalutier C. Star pour faire de l’agitation en Méditerranée et disait-ils aider la police libyenne ! La première campagne de financement participatif de « Defend Europe » a suscité de nombreuses réactions indignées qui ont obligé la société de paiement en ligne PayPal à suspendre le compte des identitaires. Les identitaires se rapprochent alors de WeSearch, une plateforme de financement participatif lancée par Chuck Johnson, ancien du site d’extrême droite américain Breitbart. Leur appel aux dons, notamment relayé par un ancien leader du Ku Klux Klan, David Duke, a déjà permis de récolter plus de 200 000 dollars. (Enquête France info).
En octobre 2018, des militants du groupe pénètrent et occupent les locaux marseillais de l’association SOS Méditerranée, 22 militants ont été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire pour violences en réunion.
Le 19 janvier 2021, Génération identitaire mène une opération de blocage au col du Portillon, à la frontière entre la France et l’Espagne… L’association a déclaré vouloir aider les forces de l’ordre !
Dans une société démocratique trop c’est trop comme on dit… Aussi, le 3 mars 2021, le gouvernement dissout l’association Génération Identitaire au motif suivant : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait […] qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ; […] Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence [...] L’association « Génération identitaire » promeut en réalité, au travers de ses interventions, de ses publications ainsi que des agissements et propos de ses dirigeants ou membres, une idéologie incitant à haine, à la violence ou à la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion …] Considérant que par suite, l’association « Génération identitaire » peut être regardée comme présentant par sa forme et son organisation militaires, le caractère d’une milice privée. » (Journal officiel ; Décret du 3 mars 2021).
Suite de cette dissolution en novembre 2021, des anciens de Génération Identitaire ont créé un nouveau groupe à Paris, baptisé Les Natifs et, à Lyon, les Remparts.
Les organisations de l’extrême droite violente, inspirées du GUD, de GI bien que dissoute, n’abandonnent pas leur combat. Elles l’abandonnent si peu que le journal Libération du 5 mai 2023 titre à la Une « Neo Nazis Francais, retour sur un lynchage programmé » et les journalistes, après 6 mois d’enquête, reconstituent la nuit terrifiante du 14 décembre 2022, le soir du match France-Maroc de la coupe du monde de football. Cette nuit là une quarantaine de militants nazis avait décidé de faire la chasse aux supporters marocains… mais à 22h30, ils sont arrêtés par la police à la sortie du Jean Bart un bar du XVIIème arrondissement ; tous habillés de noir comme les nazis de la nuit de cristal du 9 novembre 1933 en Allemagne... La peste brune est ainsi bien présente sur notre territoire et elle n’est pas sans quelques liens d’amitiés avec des militants du FN.
Du FN au RN
La légitimation d’un parti d’extrême droite « pré fasciste »
Avril 2022 : avec 13 288 686 voix au second tour des élections présidentielles, soit 41,5 % des suffrages exprimés, Marine Le Pen a réalisé le score le plus élevé jamais obtenu, à une élection présidentielle, par le Front national devenu Rassemblement National. Au premier tour elle n’avait obtenu que 8 133 828 voix (23,15% des votants).
Pour mémoire, en 2002 Jean Marie Le Pen obtenait 16,9 % (4 804 772) des suffrages au premier tour se retrouvant sans vraiment le vouloir, après avoir battu Lionel Jospin, au second tour avec un score peu différent de 17,8% (5 525 034). En 2017 même scénario : Marine Le Pen parvient au second tour mais dans des conditions déjà très différentes au premier tour 21,3% (7 678 491) au second tour 34,2 % (10 584 516 voix)… résultat amplifié en 2022. Ces simples résultats électoraux entre le premier et second tour en 2017 et 2022 nous disent qu’électoralement les liens entre droite et extrême droite sont une réalité ; ils ne font plus peur !
Si le Front National connaît une telle progression, c’est qu’il a trouvé sur son chemin des politiques publiques qui le servent objectivement. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui, elle a une très longue histoire. Par exemple, en mai 1997, Jacques Rancière publie une tribune dans le journal la Folha de Sao Paulo pour expliquer la énième loi sur l’immigration en France, signée de Jean-Louis Debré : « ...la vraie logique de cette activité législative à répétition pourrait s’énoncer ainsi : il ya un problème de l’immigration. Ce problème a pour conséquence le racisme et le développement de l’extrême droite. Celle-ci répand des idées racistes, ce qui est assez regrettable, et nous prend nos électeurs ce qui l’est encore plus. Il faut donc combattre l’extrême droite raciste. Or le meilleur moyen de la combattre est de lui enlever son cheval de bataille en menant contre l’immigration une lutte incessante » [2].
Le Front National voit le jour le 5 octobre 1972, il y a donc plus de 50 ans. La composition du bureau politique fait froid dans le dos : toute l’extrême droite fasciste, des anciens de la Waffen SS, des poujadistes, des ex de l’Algérie française et de l’OAS sont là. Si Le Pen est bien le président il n’est pas à l’origine de la création du FN. Ce sont François Brigneau (Ordre Nouveau, vice-président), Alain Robert (Ordre Nouveau, secrétaire général), Roger Holeindre (Front uni de soutien du Sud Vietnam, secrétaire général-adjoint), qui ont pensé ce nouveau Parti et cela au sein d’Ordre Nouveau, avec comme modèle le MSI italien et avec un objectif résumé ainsi : « Être révolutionnaire, ce n’est certainement pas vivre casqué et botté […], être révolutionnaire, c’est vouloir faire aboutir ses idées quelles que soient les voies employées. Un tel projet, impensable sans création d’un courant d’opinion en notre faveur, […] doit redonner au nationalisme l’audience qui devrait être la sienne. Le devoir de chaque jeune militant est de s’intégrer au Front National […]. Le Front National sera pour nous une chance de sortir du ghetto (O.N. Hebdo n°5) [3]. Le FN tient son premier meeting à la Mutualité le 7 novembre et dès cette date l’immigration est une cible : en effet, un orateur déclare : « C’est la majorité qui laisse envahir le pays par une immigration incontrôlée (qui) menace l’emploi, la sécurité, la santé des Français. C’est la majorité qui a livré l’Université et les lycées à la gabegie, l’anarchie et le désordre. C’est la majorité qui ne gouverne plus que la décadence sous les bravos hystériques de l’intelligentsia de gauche » [4].
Sans vouloir retracer l’histoire de FN, quelques dates sont significatives de cette chasse aux migrants, immigrés, étrangers qui commence donc dès le premier meeting du FN. En 1978 pour la campagne des élections législatives, François Duprat impose le thème des immigrations avec son slogan : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop, Halte à l’immigration ». Si, en 1981, Le Pen ne peut pas se présenter car il n’obtient pas les parrainages nécessaires, il fera tout de même campagne sur le thème « les Français d’abord ». La proportionnelle est instaurée en 1986 aux élections législatives. Elle permet au FN d’avoir 35 députes sur 577. Le 13 septembre 1987 sur RTL Jean-Marie Le Pen évoque les chambres à gaz utilisées par les nazis en ces termes : « Je n’ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » réveillant ainsi le fond d’antisémitisme de l’extrême droite. Il ne faut voir dans cette phrase aucun dérapage mais bien la réaffirmation de l’antisémitisme de l’extrême droite. Jean-Marie Le Pen sera condamné le 18 décembre 1991 par la cour d’appel de Versailles pour « banalisation de crimes contre l’humanité » et « consentement à l’horrible ».

La défaite de Jean-Marie Le Pen aux élections présidentielles de 2002 sera un tournant pour le FN. Avec la disparition de la vieille garde fasciste, le FN va chercher un second souffle qu’il qualifiera lui-même de « dédiabolisation ». Marine Le Pen est élue à la direction du FN en 2011. Le 9 avril 2015, dans un entretien à Rivarol, J.-M. Le Pen revient de nouveau sur « le point de détail » et fait l’éloge du maréchal Pétain, sa fille enclenche alors, contre lui, la procédure d’exclusion du parti. Sous les habits neufs du FN se cache un leurre comme le démontre Nonna Mayer dans une étude de décembre 2015 : « Le parti a-t-il vraiment changé à cet égard, ou la stratégie de « dédiabolisation » n’est-elle qu’un leurre ? Pour répondre à cette question on dispose d’une base de données unique en son genre, celle du sondage annuel effectué pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme depuis 1990, qui explore toutes les formes de racisme et de xénophobie. Elle permet d’isoler une population particulière, celle des sympathisants frontistes, soit les personnes qui citent le Front National comme le parti dont elles se sentent « le plus proche ou disons le moins éloigné »… Le constat est sans appel. Sur toutes les questions relatives à la perception de l’Autre, « autre » par ses origines, sa couleur de peau, sa religion, sa culture, et quelle que soit la vague de sondage retenue, les réponses des sympathisants du FN sont toujours beaucoup plus négatives que celles des sympathisants des autres partis… Depuis la Seconde Guerre mondiale et le traumatisme de la Shoah, la lutte contre le racisme, sous toutes ses formes, est devenue la norme dans les démocraties occidentales. Les préjugés sont reformulés de manière plus acceptable, sur la base d’arguments culturels, en appelant à des conflits de valeurs ou de civilisation plutôt qu’en termes de race. C’est un racisme qualifié de « soft », « subtil », « voilé », « symbolique », ou encore de « différentialiste », par opposition au racisme « inégalitaire » qui prévalait avant. L’euphémisation relative des discours et des programmes du FN, sa stratégie même de « dédiabolisation » en sont un signe. Pourtant cette évolution n’apparaît pas chez les sympathisants du FN, leur racisme s’exprime crûment, à l’ancienne » [5].
Marine Le Pen en créant le RN en 2018 voudrait pouvoir tourner la page d’une histoire sombre. Mais dès la création, le diable réapparaît dans le nom du parti. Le nom fait en effet référence à la politique du maréchal Pétain qui se voulait de « Rassemblement national ». Ce nom ne peut pas ne pas évoquer le parti créé par Marcel Déat en 1941 : « le rassemblement national populaire », ni cet autre, de Jean-Louis Tixier-Vignancour créé lors d’une élection législative partielle en 1955 dans le Béarn. Rien de nouveau donc sous le ciel de l’extrême droite !
Le RN, l’antisémitisme, la dédiabolisation, les liens avec des forces de droite
Les déclarations antisémites, successives et multiples de Jean-Marie Le Pen et de beaucoup d’autres, viennent rappeler que depuis l’affaire Dreyfus l’extrême droite est fondamentalement antisémite.
Louis Aliot, membre du FN depuis 1990, qui fut vice président du parti et actuellement maire de Perpignan depuis 2020, est un partisan de la dédiabolisation. Dans un entretien à Valérie Igounet pour son livre Le Front National de 1972 à nos jours il dit sans doute l’essentiel : « La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam… D’autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela… À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste … » [6]. Liant la réflexion au geste Louis Aliot remet le 13 octobre 2022 la médaille de la ville de Perpignan à Beate et Serge Klarsfeld : « Notre ville honore ainsi le combat infatigable de ces deux personnalités pour la justice et la mémoire » !
Ce coup de tonnerre obligea Serge Klarsfeld, cofondateur de l’association des Fils et Filles de déportés juifs de France, à s’expliquer sur France info en disant : « j’ai accepté cette médaille car il faut tenir compte aussi de l’intérêt général »… « Lorsque je vois dans une droite extrême une évolution, quand je vois des gens qui se rallient à nos valeurs, qui condamnent, comme Louis Aliot l’a fait, la rafle du Vel d’Hiv..., qui respectent la mémoire de la Shoah..., quand je vois qu’il s’oppose au grand remplacement et à la ligne identitaire des purs et durs du RN, eh bien, je ne peux que le constater….Ce que je veux dire aujourd’hui tout simplement, c’est qu’il était un ennemi politique, aujourd’hui, il devient un adversaire..., donc il y a une évolution » ! (France info 21 octobre 2022).
Or, l’acceptation de cette médaille et les justifications de Serge Klarsfeld permettent au RN, une fois de plus, de se présenter comme un parti comme les autres ! Dans la période que nous traversons c’est « triste et grave ». Cette médaille de Perpignan jalonne le parcours des liens renforcés ente la droite et l’extrême droite. Ces liens que déjà la jeunesse des partis de droite et d’extrême droite entretiennent. En mars 2023 dans le magazine d’extrême droite L’Incorrect, « les jeunes coupent le cordon », les leaders des formations jeunesse des Républicains, du Rassemblement National et de Reconquête affichent leurs convergences. Ils se retrouvent contre le wokisme, contre l’immigration, et sur la disparition du clivage droite-gauche…
Depuis les élections municipales de Dreux de mars 1983, le chemin de l’alliance entre la droite et l’extrême droite est inscrit dans notre histoire. Cette année-là, Jean-Pierre Stirbois, le secrétaire général du FN, s’engage dans la bataille pour ravir l’hôtel de ville de Dreux à la socialiste Françoise Gaspard avec la thématique classique « Halte à l’immigration, du travail pour tous les Français ». Après une campagne tumultueuse et un accord signé entre le FN et le RPR – certes contre l’avis des instances nationales du parti gaulliste –, pour la première fois, depuis le régime pétainiste, une ville française est cogérée par l’extrême droite et la droite. Le FN obtient 10 élus dont 3 adjoints au maire ! Selon des propos rapportés par Franz-Olivier Giesbert : « Je n’aurais pas du tout été gêné de voter au second tour pour la liste RPR-FN, déclare Jacques Chirac, président du RPR, une semaine après l’élection ; cela n’a aucune espèce d’importance d’avoir quatre pèlerins du FN à Dreux, comparé aux quatre communistes au Conseil des ministres » !... Les quatre pèlerins sont devenus des millions et des milliers d’élus !
Sur des occasions manquées contre l’extrême droite
Durant ces cinquante dernières années, alors que l’extrême droite cherchait ses chemins pour exister sur la scène politique après sa défaite de 1945 et que pour ce faire elle a fait de l’immigration son « cheval de bataille », il y a eu de nombreuses occasions manquées pour casser ce qui est devenu un véritable nœud gordien pour la société française.
Quand la gauche arrive au pouvoir en 1981, elle vient entre autres avec la promesse du droit de vote pour les étrangers aux élections locales ; c’est la 80ème des 110 propositions du candidat François Mitterrand. Après 52 ans et trois présidents de gauche cette promesse demeure non satisfaite. L’étranger est un non-citoyen éloigné des processus de décision publique.
En 1983 un soulèvement de la jeunesse contre la multiplication des crimes racistes et pour dire le malaise de cette jeunesse qui ne sait pas qui elle est vraiment, naviguant entre le passé des parents et sa présence en France, allait prendre la forme de « la marche pour l’égalité et contre le racisme », dont nous commémorons cette année le quarantième anniversaire. Cette formidable marche exprimait, comme la question du vote, la volonté d’une partie importante de la société française d’être présente comme citoyenne et de pouvoir participer au débat sur l’avenir de la cité, comme l‘écrivait le sociologue Abdelmalek Sayad « Faire partie ou ne pas faire partie de la Cité, tel est aujourd’hui encore l’enjeu pour l’immigration. La défense des immigrés, l’amélioration de leur condition, leur promotion sur tous les plans ne peuvent plus être assurées aujourd’hui que si elles se situent délibérément et ouvertement dans le champ politique, que si les immigrés eux-mêmes et, surtout, leurs enfants s’y engagent directement et engagent leur action dans la sphère politique » [7]. Les hommes politiques au pouvoir à l’époque n’ont pas saisi l’opportunité d’un mouvement crédible, joyeux et pacifiste pour changer la donne sur la question de la place de l’Étranger dans la société française contemporaine.
Une autre occasion manquée jusqu’à ce jour est le regard critique sur la passé de la France. Le passé esclavagiste comme le passé colonial de la France n’a toujours pas trouvé sa juste expression dans le travail d’histoire et de mémoire que doit faire toute société humaine. Ces « passés qui ne passent pas », même si des réalisations comme celle de la ville de Nantes sur l’esclavage, ou la création du Musée national de l’histoire de l’immigration de la Porte Dorée sont des pas prometteurs. Mais quelle lenteur alors qu’il y a urgence et que le chemin est connu. Il faut éviter le pathos, pour ne pas faire fructifier les identitaires de tout acabit. Faire parler l’intelligence, l’histoire et la mémoire pour vaincre les ressentiments destructeurs et mettre en perspective une intelligence du monde permettant de construire une Politique de la Relation.
Les occasions manquées c’est aussi quand les hommes politiques deviennent des « assassins de l’aube », pour reprendre les mots d’Aimé Césaire, en s’autorisant tous les mots qui tuent dans des phrases dont les fondements ne sont jamais démontrés, car indémontrables :
Laurent Fabius qui déclare en septembre 1984 à Heure de vérité : « L’extrême droite, ce sont de fausses réponses à de vraies questions » !
François Mitterrand qui déclare à Europe 1 et Antenne 2, le 10 décembre 1989, le « seuil de tolérance » des Français à l’égard des étrangers « a été atteint dans les années 70 » !
Michel Rocard le 3 décembre 1989, dans l’émission Sept sur sept sur TF1 : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus » Pour être définitivement clair, le 7 janvier 1990, devant des socialistes d’origine maghrébine réunis à l’occasion d’un colloque sur l’immigration il précise sa formule : « J’ai beaucoup réfléchi avant d’assumer cette formule. Il m’a semblé que mon devoir était de l’assumer complètement. Aujourd’hui je le dis clairement. La France n’est plus, ne peut plus être, une terre d’immigration nouvelle. Je l’ai déjà dit et je le réaffirme, quelque généreux qu’on soit, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde » … « Le temps de l’accueil de main-d’œuvre étrangère relevant de solutions plus ou moins temporaires est donc désormais révolu » !
Depuis des années, tout un livre pourrait être écrit rien qu’avec des mots de la sorte qui signent l’abandon de toutes les espérances de l’aube !
Pourquoi et comment se fait le vote FN/RN ?
Depuis quelques années Hervé le Bras, démographe et historien chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED) et enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), travaille sur l’implantation du FN et sur l’évolution des migrations. Une de ses conclusions est de dire que l’immigration est un thème qui permet d’expliquer tout ce qui ne marche pas et qu’il n’y a pas de grand remplacement.
Premier constat qui nous intéresse dans ce travail c’est que le vote pour le FN n’est aucunement lié à la présence d’immigrés ou de migrants ; Hervé Le Bras le précise : « au premier tour de la présidentielle de 2017, dans les communes de moins de 2 500 habitants qui comptent 3,8 % d’immigrés, on a voté à 27 % pour Marine Le Pen. À l’inverse, dans les villes de plus de 20 000 habitants, où on recense 15 % d’immigrés, la candidate d’extrême droite n’a fait que 14 %. À Paris, où 23 % de la population est immigrée, seulement 5 % des électeurs votent Marine Le Pen, alors que dans l’Aisne, département où elle atteint son plus fort score (36 %), il n’y a que 4 % d’immigrés » [8].
Second constat : le « grand remplacement » est un mythe en effet : « Actuellement, 40 % des immigrés vivant en union, le sont avec une personne non immigrée. Le remplacement se fait donc en fait de la manière suivante : les populations qui ont un parent ou un grand-parent d’origine immigrée vont devenir majoritaires, et celles qui n’en ont pas vont céder le pas. Ce qui augmente dans la population, c’est la mixité… Nous allons ainsi vers une population mondiale beaucoup plus mélangée. On peut, d’une certaine manière, dire qu’il y a une invasion, mais c’est une invasion virtuelle, une invasion de gens mixtes » [9]
Troisième constat : dans une longue interview au Nouvel Obs Hervé Le Bras explique que l’implantation territoriale des exilés est à rechercher dans la longue histoire de France : « Dès le départ, le FN avait de bons résultats dans les départements méditerranéens, au nord de la ligne Le Havre-Genève et dans la vallée moyenne de la Garonne. Quelles sont les différences (aujourd’hui) ? En 1984, le FN n’était pas encore très important dans le Pas-de-Calais, car le Parti communiste résistait dans le bassin houiller, ainsi que les socialistes. Le département est depuis devenu un de ceux où le FN est le plus fort. Idem pour le Roussillon et une partie de l’Hérault. Autre changement, mais dans l’autre sens, l’Alsace : le FN s’y est un peu affaibli, particulièrement vers Strasbourg et dans le vignoble. Il a également perdu de sa force dans la région lyonnaise. Pourquoi ces changements ? Parce que ces régions se portent assez bien par rapport aux autres. Et parce que le FN s’est décalé par rapport à sa clientèle de départ : d’un parti s’adressant plutôt aux artisans et aux commerçants, il est devenu un parti développant un discours social, en direction d’une clientèle très populaire. Les régions qui vont plutôt bien ont commencé à se dégager de son influence. L’explication que je propose est difficile, j’en ai conscience, mais elle fonctionne très bien. Il faut repartir du très beau livre de Marc Bloch sur « Les caractères originaux de l’histoire rurale française » (1931) où il montre qu’il existe deux France, en termes de sociabilité. Il y a une France où l’on a toujours vécu dans des villages, des petites villes : c’est celle du Nord-Ouest et c’est la France méditerranéenne. Et puis il y a une France où l’on a toujours vécu dans le bocage. Cette division s’est formée depuis le haut Moyen-Age. Ainsi, selon les données du recensement de 1872, 95% des habitants du département de la Marne vivent dans un village ou dans une petite ville ; alors que dans le département de l’Ille-et-Vilaine, ils ne sont que 25%, les autres vivant dans le bocage. La sociabilité des pays où les gens sont regroupés est différente de celle où les gens sont éloignés les uns des autres. Dans les villages, on agit en commun, certes, mais on cherche aussi à éviter les voisins. Dans le bocage, au contraire, on est isolé et on cherche des raisons de se regrouper : ce sont les mariages qui durent trois jours en Bretagne, les moissons que l’on fait ensemble (la « batterie »). Dans les années 1970, deux changements très forts ont eu lieu : les Français se motorisent et les supermarchés apparaissent. La vie locale disparaît dans les villages et petites villes ; les gens deviennent étrangers à eux-mêmes ; l’exode rural se développe. Mais dans le bocage, les gens peuvent enfin circuler, développer des liens sociaux. Et que ce soit en Bretagne ou dans le Limousin, ils gardent le souvenir qu’ils étaient très pauvres » [10].
Déjà en 2002, dans les travaux de Pierre Milza, apparaît, pour les adhérents du FN, ce besoin d’être ensemble, de faire société, en l’espèce de bâtir une « contre-société » devant la désindustrialisation, l’atomisation des individus : « A l’image du PCF des années cinquante, c’est donc une véritable contre-société qui s’est mise en place dans la France de la désindustrialisation et des incertitudes identitaires. Et une contre-société qui offre elle aussi, à ceux qui la composent des lieux et des pratiques de sociabilité… tous les travaux qui portent sur les mobiles de l’adhésion au FN ou au simple compagnonnage avec la formation lepéniste mettent l’accent sur la recherche d’une famille d’accueil… pour trouver un remède à leur isolement » [11]2.
Une énième Loi sur les migrations est en préparation aujourd’hui. Nous savons déjà toutes et tous à quoi elle va servir. Face à la progression des idées racistes, anti-étrangers et antisémites qui progressent partout, en Europe et ailleurs, et contre lesquelles il nous faut encore chercher les bons moyens de s’opposer et d’offrir une réponse, nous sommes toutes et tous confrontés à nos responsabilités précisément. La Responsabilité n’est pas qu’une vague notion philosophique mais une réalité sociale, politique, humaine. Le racisme et l’antisémitisme sont des passions tristes et irresponsables, car destructives. Elles prennent appui sur les effets structurels des bouleversements économiques et sociaux nés de la mondialisation.
Peut-être alors que la chose la plus simple à faire est de s’interroger comme le faisait Martin Luther King : « Nous avons appris à voler comme des oiseaux et à nager comme des poissons, mais nous n’avons pas appris l’art tout simple de vivre ensemble comme des frères »... L’avons-nous appris depuis ? Sommes-nous disponibles à vivre comme des frères et sœurs ? Sommes-nous prêts à parcourir le vaste chantier de la création d’un droit à l’hospitalité ?