N°133

Culture

« images clandestines / (se) montrer (se) cacher »

Réalisateur Antoine DUBOS

Dans son film Octobre à Paris, réalisé clandestinement, Panijel tente de rendre visible ce que la Préfecture de police de Paris dirigée par Maurice Papon a souhaité cacher lors de la nuit du 17 octobre 1961  : le massacre des Algériens. Dans les mois qui suivent, Panijel filme les survivants dans le bidonville d’Aubervilliers. Il reconstitue les scènes de départ en manifestation avec ses habitants  ; il filme en gros plan les cicatrices qu’exhibent les survivants pour attester la violence policière. Là où le pouvoir cherche à taire le massacre, la caméra de Panijel vient révéler ce scandale d’état. Montrer pour ne pas tomber dans l’oubli. Le film sera interdit et projeté clandestinement, malgré la saisie des copies, jusqu’à la grève de la faim de René Vautier.

Cinquante ans plus tard, Laura Weddington filme les silhouettes qui tentent de gagner l’Angleterre près du camp de Sangatte dans son film Border. L’obturateur de la caméra réglé en basse vitesse révèle un paysage de limbes, entre cauchemar et réalité où apparaissent des figures fantomatiques, comme celle de cet homme kurde qui danse dans la nuit sous un drap blanc. Accompagnant ces hommes tapis dans les fourrés, la caméra de la réalisatrice met en relief ces figures clandestines qui tentent de se frayer un chemin en restant dans l’ombre. Car ici la lumière est synonyme de danger, ce sont les torches des policiers qui balayent le paysage.

Rester caché, rester anonyme, jusqu’à brûler les empreintes digitales comme le filme Sylvain Georges. Pour ne pas être reconnu, pour ne pas être identifié par les nombreux fichiers européens.

Dans Les sauteurs, aux images de surveillance prises par les caméras nocturnes installées à la frontière de Melilla qui traquent les silhouettes, répond la caméra DV d’Abou pour filmer les corps, les voix, les gestes de ceux qui attendent pour passer la frontière. Montrer pour retrouver sa dignité.

Vivre terré, ne pas se faire remarquer. Dans L’escale, les 7 hommes de la pension d’Amir apprennent à se fondre dans la masse, à ne pas courir lorsqu’ils aperçoivent la police. En attendant de recevoir les passeports qui pourront leur permettre de traverser. Passeports d’autres individus (dont la photo sera la plus «  ressemblante possible  ») dont il faudra endosser l’identité lors du passage de la frontière. Il faut alors mettre des lentilles pour changer la couleur des yeux, s’habiller de manière clinquante, s’exhiber pour ne pas attirer les soupçons, se fondre au milieu des touristes. Un des hommes de la pension d’Amir ne trouvera pas de passeport, la cicatrice qui lui balafre la joue est un signe trop distinctif. Marqué dans sa chair, il doit se résoudre à repartir en Iran.

En France aujourd’hui, certaines images sont encore interdites, non plus par la censure des films comme au temps d’Octobre à Paris mais par l’interdiction de filmer certains lieux. C’est le cas des Centres de Rétention Administrative et des zones d’attente, comme celle de Roissy Charles de Gaulle où sont enfermés les étrangers en vue de leur expulsion. En 2003, les cinéastes Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval se saisissent de ce point aveugle des représentations cinématographiques et réalisent le film de fiction La blessure.