N°133

La mer à l’envers

Marie Darrieussecq,
Editions. Pol 2019

Dans son dernier roman, La mer à l’envers, Marie Darrieussecq au fil des pages et des mots installe en nous cette compréhension que les migrants et les Autres, d’abord la lectrice et le lecteur, sont dans le même monde. Nous ne faisons qu’UN.

Tout débute par le voyage de Rose (une femme parisienne, la quarantaine, psychanalyste) et de ses deux enfants qui partent dans une croisière en Méditerranée dans ces « paquebots HLM » où plusieurs milliers de personnes s’enferment dans le monde artificiel de la consommation, du fric et de l’enrégimentement. Une nuit, entre l’Italie et la Lybie, ce bateau croise une embarcation dans laquelle ont pris place une centaine de migrantes et migrants qui seront recueillis sur le navire. Rose assiste impuissante et interrogative à ce secours en mer, elle descend sur le pont où sont installés les migrants et dans un geste de solidarité immédiat, sans réflexion, donne à Younes le téléphone portable de son fils. Un fil invisible va alors relier Younes, Rose, son mari et ses enfants…
Mais qui sont-ils ces migrants  ? Certes Younes a une histoire, il vient du Niger, il a suivi le chemin des passeurs. Marie Darrieussecq explique que finalemet nous ne savons pas les nommer «  Est-ce qu’on dit “les migrants”, “les réfugiés”, “les voyageurs”, “les exilés”, voire “les envahisseurs”, comme le voudraient certains  ?  ». Ne pas savoir nommer les situations est le signe d’une impasse politique et culturelle. Marie Darrieussecq de dire alors dans une interview  : «  Quand il y a une zone du réel si vaste que l’on ne sait pas nommer, quand ce qui nous arrive nous dépasse à ce point, c’est là que doit se loger la littérature. »

A son retour à Paris, Rose et son mari organisent leur déménagement au pays basque. C’est une fois installée dans sa nouvelle vie, celle «  des ronds points  », qu’elle ira à Calais chercher Younes et lui permettra de réaliser son rêve de parvenir en Angleterre…

Dans une interview au Monde en août 2019, Marie Darrieussecq qui est allée au festival d’Avignon nous dit que : «  Dans tous les spectacles, il était question d’Ulysse, employé comme métaphore du migrant. Partout  !... Le mythe fonctionne toujours, bien sûr, mais enfin, Ulysse n’erre pas seul, et puis c’est un guerrier, c’est le “rusé Ulysse”, jamais une victime  !  »
A la fin de la lecture nous sommes emportés par une double question fondamentale  : qu’est-ce qu’on fait  ? Que devient notre monde  ?

Bruno GUICHARD

We can be heroes,
just for one day  »
David Bowie