N°134

Le dossier : Contre toute injustice, mêmes droits

Charte de palerme Mobilité humaine internationale

Città di Palermo (Extraits)

par Jean DUFLOT

De la migration comme souffrance
à la mobilité comme droit de l’homme inaliénable.

Le droit à la mobilité comme droit
de la personne humaine.
Vers la citoyenneté de résidence.
Pour l’abolition du permis de séjour.

Les problèmes liés aux migrations, aujourd’hui quotidiennes, doivent et peuvent trouver une solution seulement s’ils s’insèrent dans le cadre de la mobilité comme droit. Il faut changer d’approche  : de la migration, précisément, comme souffrance, à la mobilité comme droit. Aucun être humain n’a choisi ou ne choisit le lieu où il vient au monde  ; tous devraient se voir reconnaître le droit de choisir le lieu où vivre, vivre mieux et ne pas mourir.
Le processus migratoire est souvent une urgence, une urgence dramatique. Mais c’est seulement la pointe de l’iceberg du déplacement inévitable et quotidien de millions d’êtres humains  ; un tel phénomène est lié à la mondialisation, aux crises économiques et politiques de longue durée.
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La solution face aux situations d’urgence existant dans le monde entier, et pas seulement sur le pourtour méditerranéen, ne peut pas exclure la perspective d’un projet ayant pour élément central la reconnaissance du migrant comme personne
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Il est donc nécessaire de reconnaître la mobilité de tous comme un droit humain inaliénable. Toute autre considération, y compris le concept de «  sécurité  », trop souvent invoqué de manière inappropriée, doit être cohérente avec cette position.
De la même manière, toute solution législative, administrative, organisationnelle et comportementale doit désormais partir du principe qu’il faut reconnaître le droit humain à la mobilité pour tous. Ce système a inspiré le congrès de Palerme intitulé JE SUIS UNE PERSONNE.
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L’Union Européenne peut et doit jouer un rôle important dans la concrétisation d’une vision qui deviendra vie quotidienne.
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Il est évident que tout cela requiert des modalités et des délais adéquats. Il est par ailleurs évident aussi qu’il est nécessaire d’agir dès à présent «  comme si  » la mobilité était un droit humain inaliénable. Ce qui implique, de manière concrète et inscrite dans la vie quotidienne, la mise en place de normes et de modèles d’organisation radicalement différents de ceux qui sont actuellement en vigueur.
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La migration ne peut donc pas être considérée comme un problème de frontière, d’identités culturelles et religieuses, de politiques sociales et d’accès au marché du travail. On doit sortir de la logique et des politiques d’urgence qui durent maintenant depuis des décennies. La mobilité humaine représente un facteur structurel de notre société et non pas une question de sécurité. Il faut libéraliser cette mobilité humaine et la valoriser comme une ressource et non comme une charge supplémentaire pour les pays de destination.
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L’accès concret des migrants aux droits fondamentaux de la personne, à travers les droits à la résidence et à la libre circulation, se révèle être un objectif nécessaire qui doit être atteint grâce à des interventions à plusieurs échelles  : non seulement à l’échelle européenne et nationale, mais aussi avec le concours des organismes locaux et des organisations non gouvernementales et ce, dans le but de garantir une coexistence pacifique et une valorisation des différences culturelles envisagées comme une ressource.
La ligne d’horizon est par conséquent le passage de la migration comme souffrance à la mobilité comme droit humain. Les politiques internationales actuelles garantissent de manière hypocrite le droit à l’émigration, mais ne garantissent pas un droit équivalent à l’entrée, et avec lui le devoir d’accueil qui incombe aux États.
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Les frontières.
Le droit à la vie. Le droit d’asile.

Dans le cadre actuel de la mobilité mondiale, il apparaît que ceux qui sont contraints de partir sont, dans la majeure partie des cas, des victimes des guerres, des conflits internes et de la violence. Ce sont des personnes qui fuient les horreurs mêmes qui alimentent aujourd’hui les peurs du monde entier. Ce sont des réfugiés, des demandeurs d’asile, qui ont le droit d’être protégés, et pas seulement en Europe.
Face à cette réalité objective, on ne peut pas accepter les récentes déclarations de l’Union Européenne qui demande l’ouverture de canaux d’entrée légaux uniquement pour les «  ouvriers qualifiés  », et à l’inverse l’extériorisation du droit d’asile, en concluant des accords avec les régimes que fuient ces mêmes personnes.
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L’accès concret au droit d’asile est la priorité absolue, grâce à l’ouverture de circuits d’arrivée sûrs, qui permettent aux personnes d’atteindre en toute sécurité le territoire européen où elles peuvent faire une demande de protection internationale.
L’Union Européenne devra reconsidérer sa politique aussi bien sur les visas d’entrée, en ouvrant des canaux légaux d’entrée pour des raisons de travail (dans un moment de crise où beaucoup de migrants s’orientent vers d’autres zones du monde), que sur l’asile (protection internationale), de manière à limiter le recours aux trafiquants qui aujourd’hui, y compris pour ceux qui sont contraints à la migration forcée, constituent le principal canal d’entrée.

Il faut une modification essentielle de la réglementation européenne.
Le Règlement FRONTEX et le Règlement de Dublin doivent être modifiés et il faut garantir une mission européenne de sauvetage en mer [...] Il faut une reconnaissance réciproque des décisions qui établissent le droit à la protection internationale en éliminant l’exigence des procédures dans le premier pays d’arrivée. Le droit à la libre circulation des réfugiés en Europe doit être garanti par une accélération et une simplification des procédures. De manière plus immédiate, tous ceux qui sont réadmis en Italie par d’autres pays européens doivent être soutenus par des mesures particulières axées sur l’assistance, l’aide légale et psychologique, suite à l’application du Règlement de Dublin, de manière à garantir des possibilités de mobilité futures, le droit de recours et le droit au regroupement familial.

Le droit à la protection et le droit d’accueil.
La situation du système d’accueil italien est déjà critique. Si l’accueil et les circuits d’insertion (par ex. l’apprentissage de la langue, le soutien psychologique, l’orientation et l’aide à la recherche d’emploi) ne sont pas garantis, le système de protection risque de devenir une nouvelle façon de reproduire un certain clientélisme et une fabrique de marginalisation qui pèsera sur tous. Clientélisme et marginalisation portent atteinte non seulement aux migrants mais aussi à la communauté toute entière. Investir dans l’insertion et dans les capacités des personnes, quel que soit leur statut, est une action juste car elle valorise la dignité de la personne et de plus, elle est rentable. Les places dans les centres SPRAR (service national de protection pour les demandeurs d’asile et les réfugiés) doivent encore augmenter et garantir des standards convenables pour les autres centres d’arrivée précoce et de première arrivée et des C.A.R.A. (centre d’accueil des demandeurs d’asile), évitant ainsi une gestion opaque et des concentrations de personnes dans des lieux qui échappent à toute possibilité de contrôle.
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Le droit à la participation politique et à la contamination culturelle.
Il faut rendre toute leur fonctionnalité aux organismes existants en augmentant les canaux de participation. En ce sens, nous avons l’intention de valoriser et de mettre à disposition l’expérience de l’Assemblée des cultures de la ville de Palerme, exemple de participation politique de la communauté et lieu d’échange et de dialogue interculturel. L’Assemblée des cultures de la ville de Palerme est l’application concrète d’un modèle dans lequel les droits des citoyens sont liés exclusivement à la résidence.
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Le travail.
Le droit à la dignité.

Au cours des deux dernières décennies, la production de migrants «  irréguliers  » s’est affirmée comme étant un axe important de notre système social, tout comme la boucle irrégularité-régularisation est devenue le pivot tant des logiques de la légitimation politique que de celles du marché du travail.
En ce qui concerne les premières, la répression des migrants devient une des principales arènes politiques où s’affrontent les votes des électeurs ; en ce qui concerne les deuxièmes, la condition d’illégalité des migrants favorise leur emploi pour une rémunération dérisoire et permet non seulement la survie d’entreprises qui n’auraient pas pu se permettre de rémunérer leurs employés selon la loi, mais satisfait aussi les besoins primaires des familles italiennes auxquelles le welfare state n’est absolument pas en mesure de répondre.
Parallèlement à cela, une vision des migrants comme «  ressource  » indispensable pour le système de production des biens et services et, en même temps, comme sujets exclus des circuits d’assistance et de sécurité sociale, accouche d’une sorte de racisme économique rampant, qui a imperceptiblement conduit à la création d’un modèle d’intégration sociale néo-esclavagiste.
Pour que soient pleinement réalisés les objectifs de la «  Charte de Palerme  », il est nécessaire, dans la perspective de la suppression du permis de séjour, de rompre le lien entre permis de séjour et contrat de travail.
Il faut établir des formes d’entrée régulières et des solutions concrètes de régularisation permanente grâce à des exigences véritables et objectivement vérifiables.
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Le logement.
Le droit à l’habitation et à l’inscription à la mairie.

En Italie, l’inscription à l’état civil des populations résidentes d’une commune est issue du droit constitutionnel de circuler et de séjourner librement sur le territoire national (art. 16 de la Constitution) et c’est en même temps une condition essentielle pour pouvoir concrètement exercer d’autres droits fondamentaux. Elle représente une condition préalable à tout processus d’intégration des étrangers, parmi lesquels les bénéficiaires de protection internationale et les demandeurs d’asile.
Toutes les procédures d’inscription à l’état civil doivent être simplifiées, y compris pour les demandeurs d’asile et les réfugiés hébergés dans les centres d’accueil. Les politiques d’intégration et d’assistance devront garantir des solutions d’hébergement dignes aux immigrants comme aux autres catégories vulnérables de la population autochtone. Le droit à l’hébergement des personnes doit être reconnu dans la mesure où celles-ci sont membres d’une communauté unique de personnes, résidant de manière stable dans un territoire déterminé  ; il ne devra pas devenir l’occasion d’énièmes conflits sociaux ou autres «  guerres entre pauvres  ».
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La santé.
Bien public et individuel indivisible.

L’accès gratuit aux soins doit être garanti pour tous les migrants, dans le souci de parité avec les autochtones, et les procédures d’inscription à la Sécurité sociale doivent être simplifiées. Les principes établis par l’article 32 de la Constitution, qui ne fait pas de distinction entre les migrants et les citoyens mais s’adresse à toutes les personnes présentes sur le territoire national, doivent être rigoureusement appliqués. «  La République défend la santé comme étant un droit fondamental de l’individu et un intérêt pour la collectivité, et garantit des soins gratuits aux indigents  ».
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Les victimes de torture et de traitements inhumains ou dégradants. Les blessures invisibles.
Les tortures et les traitements inhumains et dégradants continuent à avoir lieu chaque jour et représentent une offense à la dignité humaine.
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En Italie, le droit d’asile est reconnu aux victimes de torture à condition qu’elles présentent un certificat médical. Le demandeur doit fournir une preuve «  certifiée  » de son traumatisme démontrant qu’il a personnellement subi des violences. Il faut réélaborer un concept de torture plus large, qui tienne compte des graves violences, toujours plus nombreuses, qui sont infligées aux migrants, aux femmes en particulier, pendant leur voyage dans les pays de transit.
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Les mineurs étrangers non accompagnés. Le droit au futur.
Dans le système italien d’accueil des mineurs étrangers non accompagnés, les principaux problèmes ne viennent pas du cadre normatif mais plutôt de la pratique administrative. Des situations comme celles que l’on constate dans les CPSA (Centres de Premiers Secours et d’Accueil) de Lampedusa et d’autres ports siciliens ou dans les communautés d’accueil constituent une violation manifeste des cadres internationaux et nationaux de la tutelle de l’enfance et de l’adolescence.
En plus d’ainsi léser la dignité des mineurs concernés, le risque est de les pousser à s’éloigner de ces structures où ils sont accueillis et donc de les mettre potentiellement en danger
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L’intérêt suprême de l’enfant devrait prévaloir dans toutes les procédures concernant les mineurs non accompagnés. Ce principe fondamental doit être observé par chaque acteur impliqué, quel que soit son rôle, dans la prise en charge, dans l’assistance et dans l’accueil de ces personnes vulnérables. Pour que cela se réalise pleinement, il est nécessaire de placer l’individu au cœur de toutes les démarches administratives en reconnaissant toutes ses caractéristiques, son histoire personnelle et ses exigences spécifiques. Comme l’ont constamment répété la Cour constitutionnelle ainsi que la Cour Européenne des Droits de l’Homme, les enfants et les adolescents étrangers sont avant tout des mineurs qui, en tant que tels, doivent bénéficier d’une tutelle renforcée qui puisse leur offrir un refuge par rapport à la situation de vulnérabilité dans laquelle ils se trouvent.
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Une nouvelle loi sur la citoyenneté. Droits de citoyenneté. Parcours de citoyenneté.
Par droits de citoyenneté on entend le droit à la résidence légale, le droit à la protection contre les procédures illégitimes d’expulsion et les procédures illégitimes de rétention administrative, le droit à l’accès au marché du travail, le droit aux services publics, le droit de vivre en famille, le droit à l’éducation et à la formation professionnelle, le droit à la sécurité et à la protection sociale, le droit à la liberté de réunion et d’association, le droit de participation à la vie politique, le droit de participation aux élections européennes et celui de recourir aux organes judiciaires européens, le droit à la mobilité dans le territoire national et dans les différents pays membres de l’Union Européenne.
Sans interférer ni avec les déclarations universelles ni avec les décisions des autres pays, il faut procéder à une réforme radicale de la loi sur la citoyenneté - réforme sans cesse reportée, depuis des décennies, par le Parlement italien. [...]
Il devient impératif de garantir l’obtention automatique de la citoyenneté aux personnes nées en Italie et de donner la possibilité que la citoyenneté et les droits afférents puissent être acquis par la simple résidence dans le territoire national et/ou européen.

Le Maire de Palerme
LEO luca ORLANDO
PALERME, 13-15 mars 2015,
Cantieri Culturali alla Zisa
JE SUIS UNE PERSONNE
«  De la migration comme souffrance
à la mobilité comme droit  »