
L’article 5.2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950 est la référence de toutes les lois et décrets concernant l’interprétation en France et en Europe. Elle reconnaît le droit à l’interprétariat, dans le droit à l’information de ses droits, à toute personne, ainsi que celui de « se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience » (article 6.3. de ladite Convention).
La directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, adoptée le 8 octobre 2010 et relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, vient compléter les différentes applications concernant la traduction et l’interprétation. La directive insiste notamment sur la qualité de la traduction et de l’interprétation : « La traduction et l’interprétation doivent être d’une qualité suffisante pour garantir que les personnes concernées aient connaissance des faits qui leur sont reprochés et soient en mesure d’exercer leurs droits de défense. À cette fin, les pays de l’UE ont l’obligation d’établir un ou plusieurs registres de traducteurs et d’interprètes indépendants possédant les qualifications requises qui seront mis à la disposition des conseils juridiques et des autorités concernées ».
On peut citer également dans ce sens la Charte Sociale Européenne de 1996 (révisée), qui stipule que « la jouissance des droits... doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion... », ou bien la Recommandation de 2006 du Comité des Ministres des Affaires sociales et de la santé aux États membres du Conseil de l’Europe, qui précise que « La suppression des obstacles à la communication est l’aspect qui nécessite l’intervention la plus urgente, claire et évidente. [...] Des interprètes professionnels devraient être mis à disposition et utilisés régulièrement ».
La directive européenne a été transposée en droit français par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013. Elle indique qu’il est également de la responsabilité des autorités policières ou judiciaires de s’assurer de la capacité de comprendre et de s’exprimer en français de la personne. Et le décret d’application n° 2013-958 du 25 octobre 2013 précise que : « S’il apparaît que ça n’est pas le cas, l’assistance de l’interprète doit intervenir sans délai ».
Dans le domaine de la santé, la récente loi 2016-41 du 26 janvier 2016 relative à la « modernisation de notre système de santé » a complété le code de santé publique par l’article L. 1110-13 qui précise les compétences attendues en matière de médiation sanitaire et d’interprétariat linguistique en tant que moyen d’amélioration de l’accès aux droits.
Dans le domaine de l’éducation, la Circulaire du 2 octobre 2012 sur la scolarisation des enfants allophones fait référence au devoir de la République d’assurer les meilleures conditions de l’intégration des élèves allophones. « L’École est le lieu déterminant pour développer des pratiques éducatives inclusives dans un objectif d’intégration sociale, culturelle et à terme professionnelle des enfants et adolescents allophones ».
En matière d’immigration, le Code d’Entrée et de Séjour des Étrangers Demandeurs d’Asile (CESEDA) reprend dans son article L111-8, article L741-1 le fait que la loi prévoit un droit à l’information dans une langue comprise par le demandeur étranger à tous les stades des procédures administratives. Lorsqu’une décision ou une information doit être communiquée à un-e étranger-e, les autorités sont tenues de s’assurer que ces informations sont communiquées dans une langue que le demandeur comprend soit au moyen de formulaires écrits, soit par l’intermédiaire d’un interprète.
De manière générale, le droit à l’interprétariat s’inscrit donc dans une dimension universelle des droits de l’homme qui reconnaît l’égalité des droits à tous les hommes et toutes les femmes du monde.
Applications et obstacles
La mise en œuvre de ce droit rencontre pour autant un certain nombre d’obstacles, certains organisationnels, d’autres issus des évolutions du contexte politique actuel.
Les obstacles d’ordre « techniques et humains » renvoient aux modalités de la réalisation même de l’acte d’interprétariat. L’interprétariat oral en service public est une situation à trois : le professionnel du service, l’usager non francophone, et l’interprète-traducteur. Dans ce triangle, la place de l’interprète, passeur de langues et de culture aussi bien pour l’usager que pour le professionnel, est concrétisée physiquement jusque dans la position souhaitable de chacun dans l’espace, chaque membre doit en effet tenir sa place pour ne pas trahir le sens des propos tenus. Le rappel de cette attention vaut pour éviter les risques de développement de l’utilisation d’un interprétariat non professionnel que des rapports récents ont pu préconiser (Proposition 55 du rapport Taché « Pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France »).
Le développement des procédures d’organisation téléphonique ou en vidéo, si elles permettent parfois d’assurer l’urgence, n’ont pas la même qualité que l’interprétariat en présentiel, plus apte à interpréter le sens des propos tenus. Elles font pourtant l’objet d’un développement depuis plusieurs années.
Plus problématiques sont les remarques du Défenseur des droits lors de son rapport de mai 2016 illustrant les atteintes aux droits fondamentaux des personnes étrangères en France (p. 13 du dossier de presse). Concernant l’accès à l’interprète, le Défenseur des droits « se trouve régulièrement saisi de situations où des étrangers faisant l’objet d’une mesure privative de liberté se sont heurtés à des difficultés pour bénéficier de l’assistance d’un interprète. Certaines saisines actuellement en cours de traitement font grief aux forces de l’ordre d’avoir requis un interprète qui n’était pas spécialiste de la langue parlée par l’étranger ou d’avoir surestimé la compréhension du français de la personne en instance d’éloignement ». Bien d’autres constats sur le terrain corroborent ces remarques.
L’interprétariat a de ce fait un coût. Mais, comme tous les services publics, il subit les effets d’une gestion restrictive des moyens alloués aux structures publiques et parapubliques (associations) œuvrant pour l’intérêt général.
La gestion d’économies à l’œuvre dans l’ensemble des institutions publiques (ministères, collectivités, budgets alloués aux associations d’accueil des immigrés) porte à plusieurs conséquences. Elle conduit à des mesures de réduction du temps passé en interprétation ou en pages de traduction de documents. Constituant une atteinte à la dignité de la personne, cela amène par exemple les structures rédigeant les demandes d’asile à entrer dans les cases aux dépens d’une écoute de qualité qui devrait accompagner un accueil décent.
Les politiques de centralisation des appels d’offres institutionnels font fi des liens déjà créés issus d’engagements associatifs ou personnels, de relations tissées dans la durée, au profit de recherche d’économies en privilégiant les critères de coût et la baisse des prix. L’un des effets directs en est la baisse des revenus des interprètes et une reconnaissance moindre du métier. Pourtant les constats d’échecs de ces choix de gestion en termes de disponibilité des interprètes sont patents et ils doivent aux acteurs institutionnels de terrain en lien avec nos associations d’être partiellement compensés par des mesures correctives.
Dans le prolongement de cette politique, les financements institutionnels sont enclins à privilégier le financement à l’apprentissage du Français Langues Étrangères au détriment (et non en appui) de la période nécessaire d’accueil en langue maternelle.
Nous avons pu aller jusqu’à constater dans les dernières années l’émergence de discours d’exclusion et de non-respect des droits. Ainsi, un Conseil départemental a-t-il justifié dans la presse une baisse de budget pour l’interprétariat dans le champ social par le principe que les utilisateurs devaient parler français ! L’expression d’un tel discours idéologique en provenance d’élus républicains inquiète.
La professionnalisation comme facteur de défense du droit à l’interprétariat
Ces constats sont autant d’alertes quant aux dangers qui menacent le droit à l’interprétariat. Pour autant, la reconnaissance du métier d’interprète-traducteur en service public, la structuration des organismes d’interprétariat de service public en France et en Europe et la défense de ce droit avec les ONG de défense des droits des migrants constituent des pistes de réponses, qui rencontrent bien souvent l’oreille des interlocuteurs institutionnels en prise avec les réalités.
Depuis une dizaine d’années, des associations d’interprétariat en milieu social, médical et éducatif et plus largement de service public, ancrées dans l’action pour l’accueil, l’intégration des personnes peu ou non francophones et leur accès aux droits fondamentaux, engagées dans la lutte contre les discriminations et pour l’égalité d’accès aux droits et aux services, travaillent ensemble à définir les conditions d’exercice de ce type d’interprétariat.
RIMES* (Réseau de l’Interprétariat Médical Et Social) regroupe des structures associatives réparties sur l’ensemble du territoire national. Depuis 2011, l’action commune a permis une reconnaissance institutionnelle dans l’élaboration, la professionnalisation et la promotion de cet interprétariat. Après la rédaction d’une charte de déontologie en 2012, RIMES construit une base commune des compétences développées au travers des interventions, conditions indispensables pour que le métier complexe d’interprète de service public, son rôle de médiation, son action de traduction efficace des échanges, la reconnaissance des personnes et leurs droits, favorise l’intégration et fasse vivre le principe républicain d’égalité.
Ce travail porte ses fruits puisque la loi de modernisation de la santé 2016-41, dans son article 1110-13, introduit pour la première fois la reconnaissance de la spécificité de la médiation sanitaire et l’interprétariat linguistique. Le ministère a ainsi édicté une circulaire nationale définissant les conditions nécessaires et les règles en matière d’accès à la santé pour les personnes non francophones. Il s’appuie sur les travaux réalisés par le réseau RIMES.
Néanmoins, on l’a vu supra, les contextes politiques et de gestion peuvent agir en contradiction avec l’énoncé et les avancées des droits.
D’où l’importance de défendre en permanence avec les ONG de défense des droits des migrants : le droit d’accueil et, au sein de celui-ci, le droit à l’interprétariat. C’est ce qui est défendu notamment par les États Généraux des Migrations dont le mérite est de ne pas avoir omis de défendre ce droit au détriment des actions de bénévolat qui, si elles sont généreuses, portent le risque d’exonérer l’État de ses obligations.
C’est le mérite du GISTI également de revenir sur cet enjeu dans le dernier numéro de sa revue « Plein droit » consacré à « Traduire l’exil - l’enjeu des langues ». Leur ouvrage met l’accent sur l’essentiel : « Alors que de nombreux trajets migratoires sont marqués par l’urgence et la vulnérabilité, le manque d’interprètes, leur qualification hétérogène ou le recours à des locuteurs réfugiés mais sans statut adapté, concourent aux malentendus et s’ajoute à la violence institutionnelle du non-accueil en France ».
Avec eux, nous partageons donc la même conclusion : celle du besoin d’une politique de l’accueil intégrant pleinement la question de l’interprétariat-traduction et avec elle la professionnalisation de ses acteurs.