
Salah Oudahar
Directeur artistique / Festival Strasbourg-Méditerranée
Adieu Idir
Adieu l’artiste
Pionnier de la chanson kabyle moderne que tu as portée, semée et fait rayonner aux quatre coins du monde, depuis ton tube légendaire Vava Inouva, il y a maintenant près de 50 ans.
Avec sagesse, intelligence et sensibilité
Avec bienveillance, le souci de l’autre, de l’ouverture à l’autre
Le souci du dialogue
Cette voix délicate confiante douce
Qui remontait comme du fond des âges
qui rassurait et chuchotait à l’oreille des enfants.
Surmonter la nuit
Ses peurs ses angoisses
Ses doutes ses exils
Et renouveler la promesse du matin
Vava Inouva...
Adieu l’homme
Simple et modeste, vertus premières des femmes et des hommes de qualité, des femmes et des hommes de cœur, de culture, de pensée et d’engagement
Pour la liberté, la justice, la dignité, la paix, la démocratie, les droits humains.
Tu étais l’homme des passages, des brassages, des métissages - des langues, des cultures, des mémoires, des musiques, des couleurs, des nuances, des tonalités, des mots, des récits, des diversités, des nouveaux imaginaires du monde,
Des héritages pluriels, des identités mêlées, en mouvement, des futurs en commun.
Solidaire de la cause des peuples, des femmes, des invisibles, des oubliés, des sans-voix, des sans-nom, des sans-visage, des minorités politiques, culturelles, linguistiques, opprimées dont le combat, en premier, pour l’identité, la langue et la culture amazigh (berbère), matrice de ton inspiration, de tes créations et de tes engagements.
Tu étais l’homme des ancrages - la Kabylie, l’Algérie, l’Afrique, la Méditerranée...
Et du grand large.
L’ici et l’ailleurs,
Le singulier et l’universel
Les horizons humains...
Toi, l’Amazigh, l’homme libre
Adieu
Repose en paix
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Fatiha Mehnana
Lyon, le 8 mai 2020.
Idir est mort le 2 mai à Paris. Cette nouvelle a eu l’effet d’un choc, sourd, d’un sentiment de perte. La douleur était intérieure, profonde, sans doute parce que nous le pensions immortel comme les souvenirs de notre enfance.
J’ai grandi dans le quartier Saint-Georges du Vieux-Lyon.
Dans les années 1970, il y avait là une importante communauté algérienne. Nous, les enfants, vivions entre nous la plupart du temps. Outre nos origines, nous avions en commun la pauvreté, matérielle et culturelle, le sentiment de ne pas être à notre place, la honte de ce que nous étions dans le miroir que nous tendait la société. Notre monde était petit, tout petit. Du racisme ordinaire, nous avions fait notre affaire… Pourtant, le seul fait d’entendre prononcer les mots « Arabes », « Algériens », « étrangers », nous causait un malaise, sonnait déjà comme une insulte. Nous étions des cœurs blessés.
Et Idir est apparu. Un soleil, notre soleil, notre fierté !
Un Algérien qui rencontrait un succès planétaire en chantant, en kabyle, une berceuse remontée des temps les plus anciens. Un conteur de notre culture, de notre histoire, de notre exil. Il parlait, et avec quelle douceur, de nos pères venus là en quête d’une vie meilleure, de nos mères portant sur leur dos le poids d’une tradition ancestrale : nous avions une identité, nous pouvions la décliner, et un grand artiste nous représentait !
Merci Idir. Merci pour notre enfance entre batailles et mélancolie.
Merci de l’amour que tu as suscité en nous.
Je garderai une vision de toi que je trouve dans les images de ton retour au pays en 2015 après une longue absence ; tu es enveloppé dans un burnous blanc d’une élégance incomparable, c’est la fête au village et dans les cœurs.
Idir tu as fermé tes yeux mais ta voix résonne et tes mélodies nous porteront.