Contraintes et limites du droit de séjour
L’article L313-11 stipule que « Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale « est délivrée de plein droit :
2° bis : A l’étranger dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu’il a atteint au plus l’âge de seize ans, au service de l’aide sociale à l’enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l’article L. 313-2 n’est pas exigée. »
Et l’article L313-15 que : « A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l’article L. 313-10 portant la mention « salarié » ou la mention « travailleur temporaire » peut être délivrée, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. »
Si leur situation ne relève pas du droit d’asile, les jeunes étrangers pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance durant leur minorité pourront donc solliciter un droit au séjour sur l’un ou l’autre de ces fondements à leur majorité. D’autant qu’il est inscrit également dans le préambule de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) (§ 8) « qu’il importe de préparer pleinement l’enfant à avoir une vie individuelle dans la société », et que son article 28 établit que : « 1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances :
c) Ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés ».
Cependant, le droit des étrangers en France vient considérablement contraindre les jeunes concernés dans leurs projections de vie au sein de la société française, en les limitant dans leur choix d’études, d’activité professionnelle et de vie familiale.
La majorité des jeunes étrangers ayant été pris en charge par l’ASE en France au cours de l’année 2018 et qui solliciteront un droit au séjour au cours de cette année 2020, ont été protégés au titre de leur minorité, après 16 ans [2], c’est donc l’article L313-15 du CESEDA qui leur est applicable. Lors de sa prise en charge, un jeune mineur étranger est accompagné par une équipe de travailleurs sociaux et d’éducateurs avec qui il met en place un projet socio-éducatif. L’objectif d’un tel travail a pour finalité son insertion socio-professionnelle au sein de la société dans laquelle il évolue.
Pourtant, dès la mise en place de cet accompagnement socio-éducatif, le droit des étrangers vient impacter les choix (ou les non-choix) d’orientation de ces jeunes. Car, un mineur étranger pris en charge par les services de l’ASE après ses 16 ans, indépendamment de son niveau scolaire, devra pouvoir justifier du suivi d’une formation professionnelle au moins 6 mois en amont du dépôt de sa demande de titre de séjour. Cela signifie que dans le cas où il aspirerait à réaliser des études supérieures, il ne pourrait pas y accéder, malgré l’égalité des chances que les États signataires de la CIDE [3] se sont engagés à garantir à tous les enfants. De par sa nationalité, le mineur étranger pris en charge par l’ASE sera orienté par l’équipe éducative vers des formations professionnelles. Les travailleurs en charge de son accompagnement chercheront à lui donner toutes les chances de poursuivre son insertion socio-professionnelle dans la société française à ses 18 ans, et cela passe inéluctablement par l’obtention d’un droit au séjour. Et à quel prix ! « Je perds mon travail d’éducateur, tout le temps est occupé par l’administratif, j’ai quelques jeunes avec un peu de suivi éducatif, mais cela se fait aux dépens des autres, il est impossible de les voir tous les jours » (parole d’un éducateur en charge de l’accompagnement de MNA).
Effets paradoxaux du droit de séjour
La prise en charge des MNA apparaît plus complexe de par le fait qu’elle met les jeunes en préoccupation de s’assurer d’abord une place à leurs 18 ans. Par ailleurs, les intervenants sociaux et les éducateurs qui les encadrent ont, bien souvent, de grandes difficultés à leur apporter des réponses précises à ce sujet, le droit des étrangers étant une matière complexe et plurielle. De surcroît, nous avons vu ces dernières années, notamment sur le département de l’Isère, un durcissement soudain et fluctuant du droit au séjour accordé par les services préfectoraux en charge de l’instruction des demandes de titre de séjour des jeunes majeurs. En effet, la plupart des MNA ont été confiés à l’ASE après l’âge de 16 ans. Or, l’article L313-15 du CESEDA qui leur est applicable ne relève pas d’une catégorie de droit au séjour de plein droit. La délivrance du titre de séjour correspondant est soumise en fait au pouvoir discrétionnaire du Préfet. Par ailleurs, il est intéressant de noter que la création de cet article (loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité), ne s’inscrit que timidement dans l’esprit de la création du titre de séjour pour les jeunes pris en charge par l’ASE avant l’âge de 16 ans (loi de 2006).
Il est évoqué dans les débats de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et l’intégration, les nombreuses fugues de jeunes à l’approche de leur majorité, inquiets d’être éloignés du territoire français. Cette défiance envers les institutions françaises résultait du droit au séjour des étrangers qui leur était applicable à leur majorité et venait alors les placer en situation irrégulière, entraînant une rupture de leur insertion socio-professionnelle en France [4].
La création de l’article L313-15 du CESEDA et de la possibilité de la délivrance d’un titre de séjour en 2011 avait elles aussi pour objectif une possible régularisation de ces jeunes à l’âge de leurs 18 ans, venant limiter l’impact du droit au séjour sur leur protection et rationaliser leur prise en charge. Or, à l’évocation de ce sujet avec les équipes éducatives, il revient toujours la question de la logique d’un système encadrant l’insertion socio-professionnelle de ces jeunes tout en les exposant in fine à une situation administrative irrégulière ! De surcroît, encadrement exercé par des acteurs de l’Éducation nationale française et des entreprises en recherche de main d’œuvre qualifiée ! Question relayée par le député Aurélien Taché dans son rapport [5] publié en février 2018.
Par ailleurs, il est apparu au cours de ces dernières années que cet article L313-15 du CESEDA était appliqué de manière inégale sur le territoire français. Le pouvoir discrétionnaire du Préfet permettant sa délivrance entraîne en effet la création de règles informelles dans certains départements. A titre d’exemple, sur le territoire isérois, avant l’été 2018, la préfecture de l’Isère délivrait de manière quasi systématique un titre de séjour aux jeunes majeurs ayant été pris en charge par l’ASE avant et après l’âge de 16 ans, dès lors qu’ils justifiaient d’une scolarisation au moment de l’instruction de leur demande (y compris les jeunes orientés en Mission Lutte contre le Décrochage Scolaire ou en Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants). Cette application souple du droit permettait aux jeunes pris en charge par l’ASE de s’inscrire dans une réelle logique éducative. Cependant, à partir de l’été 2018, la préfecture de l’Isère a strictement appliqué les conditions de délivrance de ce titre de séjour en exigeant, entre autres, la justification d’une formation professionnelle antérieure de 6 mois au moment du dépôt de la demande de titre de séjour. De nombreux jeunes ont donc fait l’objet d’un refus de titre de séjour avec obligation de quitter le territoire français. Outre l’absence de sécurité juridique dans l’application du droit au séjour pour les jeunes concernés, une importante remise en cause de la confiance qu’ils plaçaient dans les services de l’ASE en charge de leur accompagnement est apparue. « On nous demande des papiers qui disent qu’on est mineurs, on trouve les papiers, après on nous demande de trouver un patron pour un stage, on en trouve, on fait des stages. On nous dit qu’il faut trouver un patron pour un apprentissage, on en trouve un, on remplit les papiers. On nous refuse les papiers, on nous dit qu’on n’a pas fait l’apprentissage 6 mois, mais on nous avait dit d’aller en classe pour apprendre le français et on avait trouvé le patron. On nous dit de trouver des actes de décès des parents pour le juge, on les trouve mais le juge nous refuse quand même. » (Parole d’un jeune majeur ayant fait l’objet d’un refus de délivrance de titre de séjour accompagné d’une OQTF en 2018).
Ces décisions préfectorales ont eu un impact direct sur une grande partie des mineurs non-accompagnés pris en charge par l’ASE en Isère. La plupart ont été soumis à un stress très important et certains ont envisagé de quitter le département par peur de faire l’objet des mêmes décisions. Dans son rapport [6], Aurélien Taché fait part du même constat d’inégale application du droit au séjour concernant les jeunes majeurs ayant été pris en charge par l’ASE sur les différents départements français. Ainsi, la préfecture de l’Isère suit la jurisprudence [7] en matière de délivrance de récépissé de première demande de titre de séjour avec autorisation de travail pour les jeunes majeurs ayant été pris en charge par l’ASE après l’âge de 16 ans. Dans d’autres départements du territoire français, les préfectures ne délivrent pas de récépissés avec autorisation de travail aux jeunes majeurs présentant la même demande de titre de séjour.
Dispositions contradictoires
Par ailleurs, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie est venue modifier certains articles du CESEDA et placer en contradiction deux dispositions.
La première, la L313-15, inscrite dans la partie législative dispose que : « [...] la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l’article L. 313-10 portant la mention « salarié » ou la mention « travailleur temporaire » peut être délivrée, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans ».
Cela implique donc qu’un jeune majeur, ayant été pris en charge par l’ASE, après l’âge de 16 ans, puisse solliciter la délivrance d’un titre de séjour au cours de l’année de ses 18 ans, lorsqu’il en remplit les conditions, notamment les 6 mois de formation professionnelle.
Pourtant l’article R311-2, inscrit dans la partie réglementaire, qui leur est également applicable, stipule que : « La demande est présentée par l’intéressé dans les deux mois de son entrée en France. S’il y séjournait déjà, il présente sa demande :
2° [.] au plus tard deux mois après la date de son dix-huitième anniversaire [...] »
Outre la situation contradictoire dans laquelle ils sont placés, l’exigence du dépôt de leur demande de titre de séjour au plus tard deux mois après leurs 18 ans leur est préjudiciable et peut créer des situations d’inégalité.
En effet, la délivrance du titre de séjour L313-15 du CESEDA étant soumise à une ancienneté de 6 mois dans une formation professionnelle, certains jeunes pourraient être contraints de déposer leur demande alors même qu’ils ne remplissent pas cette condition. Cela implique aussi que suivant leur date de naissance les jeunes majeurs concernés soient soumis à une date de dépôt de leur demande de titre de séjour plus précoce ou plus tardive au cours de l’année scolaire.
Si cette question de droit venait à être posée au sein d’une procédure contentieuse, la partie législative devrait se voir reconnaître sa supériorité sur la partie réglementaire. Cependant, dans l’attente d’une jurisprudence venant éclairer l’interprétation de ces dispositions contradictoires, cette situation renforce surtout le sentiment d’insécurité juridique de ces jeunes, déjà soumis à des fluctuations de pratiques préfectorales. Alors qu’ils devraient, en leur qualité de mineurs, pouvoir évoluer dans un cadre sécurisant, leur extranéité leur est rappelée sans cesse dans les démarches liées à leur accompagnement socio-éducatif, obturant de fait l’horizon de leur futur.
Mise à mal du lien avec la famille
Le travail autour du maintien ou le cas échéant de la restauration du lien avec la famille, traditionnellement au cœur de l’action de l’aide sociale à l’enfance, en France, est lui aussi mis à mal par le droit des étrangers, et met en situation d’ambivalence les équipes de l’ASE. En effet, ces dernières années et sur l’ensemble du territoire français, les préfectures ont adressé régulièrement des refus de délivrance de titre de séjour aux jeunes pris en charge par l’ASE après leurs 16 ans, et progressivement à ceux pris en charge avant leurs 16 ans, en raison des liens qu’ils entretenaient avec leur famille résidant dans leur pays d’origine.
Les articles L313-11 2° bis et L.313-15 du CESEDA, conditionnent notamment la délivrance d’un titre de séjour à un jeune étranger ayant été pris en charge par l’ASE à « la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine ». Les décisions de rejet des demandes de titre de séjour fondées sur l’un ou l’autre des articles, reposaient de plus en plus souvent sur l’existence de liens entre le demandeur et sa famille établie dans son pays d’origine. Cette condition de délivrance d’un titre de séjour est venue placer les jeunes concernés mais aussi les équipes éducatives dans une situation d’ambivalence, lors même que le point 3. de l’article 9 de la CIDE établit que : « Les Etats parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. »
Au cours de leur prise en charge au sein des services de l’ASE compétents, les mineurs non accompagnés ont connaissance de l’interprétation des services préfectoraux de la notion de « nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine ». Il est en effet régulièrement apparu comme motif de refus de délivrance de titre de séjour la mention d’appels téléphoniques entre le jeune et l’un des membres de sa famille. La notion des liens avec la famille restée au pays s’est parfois même entendue dans des décisions de refus de délivrance de titre de séjour jusqu’à un grand frère ou un ami du quartier qui auraient donné de l’argent au demandeur du titre de séjour pour payer son voyage jusqu’en Europe. Tout lien mentionné dans le dossier avec une personne présente dans le pays d’origine devient prétexte pour les services préfectoraux pour motiver une décision de rejet de demande de titre de séjour. Ce qui met les acteurs sociaux dans une position délicate : « Il m’a toujours paru délicat de questionner les jeunes MNA sur les liens gardés avec leurs proches au pays pour une demande de titre de séjour car pour moi il n’y a aucun lien entre les deux. Ils ont quitté leur pays non par plaisir mais par besoin. Pour tout être humain, garder un lien avec sa famille et sa culture, quand c’est possible, est vital. » (intervenante sociale auprès des MNA).
Par ce biais, l’État français contraint de fait les jeunes à rompre le contact avec les membres de leur famille. Dans le meilleur des cas, il les force à le cacher et à se méfier des services en charge de leur protection. Car, la structure en charge de leur accueil devra fournir au moment de la demande de titre de séjour du jeune, un rapport social le concernant, lequel intègre bien souvent la mention de l’existence ou non de lien avec la famille dans le pays d’origine. Cela place également le référent social du jeune concerné dans une situation particulièrement délicate, devant choisir d’exposer le jeune à un très probable rejet de sa demande en mentionnant ce lien ou en l’omettant. Ce qui n’est pas sans effet aussi bien sur la professionnalité des intervenants que la valeur des déclarations des jeunes.
Droit de séjour et égalité de traitement
L’influence dommageable du droit au séjour dans la prise en charge des Mineurs Non Accompagnés appelle donc à nous questionner sur l’égalité de traitement entre les différents enfants pris en charge par l’ASE. Car, alors qu’un enfant devrait être pleinement protégé au titre de sa minorité, le droit des étrangers affecte l’accompagnement socio-éducatif des MNA jeunes et dénature les missions essentielles de la protection de l’enfance. Ces adolescents se trouvent ainsi confrontés à une réelle insécurité juridique et à un sentiment d’inégalité et d’impuissance. De même les professionnels les accompagnant se sentent souvent perdus face à ces pratiques administratives qui les questionnent sur le sens même de leur travail.
Pour sa part, Aurélien Taché a recommandé dans son rapport [8], de supprimer la différence d’accès de droit au séjour entre les jeunes pris en charge par l’ASE avant ou après 16 ans, demandant « que l’examen du droit au séjour de ces jeunes, sur lesquels des départements, des centres de formation, et souvent des entreprises ont investi, soit réalisé sur les seuls critères de leur engagement réel et sérieux dans un parcours de formation professionnelle, et de leur volonté de s’intégrer dans la société française. »
Si ces préconisations conservent une vision utilitariste des jeunes majeurs étrangers, elles ont néanmoins le mérite d’avoir pour ambition une simplification de l’accès au droit au séjour pour l’ensemble de ces jeunes. Un tel changement pourrait avoir un impact positif sur la prise en charge et la protection effective des MNA en France.