
La justice au quotidien
Le principe général du droit au Juge et les progrès accomplis du fait de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme [1] ont permis aux justiciables et aux organisations de multiplier les recours juridictionnels.
Les conventions internationales, notamment, permettent de puiser dans un registre élargi de règles et d’écarter le droit d’origine nationale ou de contraindre à une interprétation différente du droit d’origine nationale. Ces recours ont permis d’obtenir de très notables avancées dans de nombreux domaines, en matière de procès équitable, ou pour l’obtention de titres de séjours avec le droit à la vie privée et familiale. C’est alors la règle de droit elle-même qui permet la résistance. On citera également la Question Prioritaire de Constitutionnalité [2] pour le respect des textes fondamentaux intégrés au bloc de constitutionnalité, ou encore en droit du travail, le droit de retrait, le droit d’alerte ou le droit de grève.
Mais la résistance, c’est aussi la justice au quotidien, la défense devant les tribunaux correctionnels contre les violences policières qui accompagnent les violences sociales, devant les juridictions de proximité pour les expulsions ou devant le juge des libertés et de la détention et le Tribunal administratif pour les personnes démunies de titre de séjour. Faut-il encore que le juge soit suffisamment fort, indépendant, et qu’il ait les moyens matériels et juridiques suffisants, que les parquets ne soient pas aux ordres du ministre de tutelle et que les magistrats du parquet comme du siège ne fassent pas prévaloir leur carrière au détriment de leur indépendance.
En outre, et quels que soient les mérites du juge, encore faut-il tenir compte du précontentieux et des obstacles qui se multiplient avant même sa saisine, avec une ambition claire des dernières réformes : réduire le coût de ce service public, limiter la masse de contentieux en limitant l’accès au juge et produire des « modes alternatifs de règlement des conflits ».
De plus, si des questions importantes ont pu trouver des avancées grâce aux recours juridictionnels, individuels et collectifs, il reste toutefois la question de la nécessaire distinction entre égalité formelle et égalité réelle : comment assurer l’accès au droit aux plus démunis ? Aller en justice ne va pas de soi. Aller en justice sans avocat est un handicap certain. Aller en justice avec le bénéfice de l’aide juridictionnelle est une gageure que les avocats ont parfois bien du mal à relever compte tenu des niveaux d’indemnisation prévus et de la dégradation de leurs conditions de travail. Trouver un avocat formé pour défendre ses droits au chômage ou ses allocations de sécurité sociale est une mission quasi impossible...
Le droit comme objet de la résistance
Si le droit peut être le moyen de la résistance, il peut aussi être l’objet de la résistance. La résistance au droit est possible et revêt différentes formes selon qu’elle vise l’une ou l’autre de ses multiples sources, que ce soit la Constitution, les textes internationaux, la loi, les règlements, la jurisprudence, les conventions et accords collectifs ou même la coutume.
Les actions entreprises peuvent avoir pour cible l’évolution de ces différents textes, que ce soient des accords d’entreprise, la loi ou la jurisprudence et chercher, plus encore, une inflexion de la philosophie des règles en vigueur. Créer du droit, c’est modifier le corpus légal ou la philosophie qui le fonde. La poésie, avant même la philosophie, est aussi résistance.
A chaque cible ses façons d’agir, en entreprise, devant les tribunaux, dans le débat démocratique, institutionnel ou non, dans le large débat des idées politiques. Opposer une résistance à l’ordre établi, à l’ordre juridique, pousser à l’évolution, au changement vers le progrès social peut prendre de multiples formes.
Ainsi, au soubassement de notre système juridique, la philosophie des Lumières et la Révolution française, le soulèvement et le passage vers l’État démocratique intègrent la séparation des pouvoirs de Montesquieu et la représentation de Rousseau. Ainsi, après l’écrasement des masses par la révolution industrielle, cent ans après les Canuts lyonnais, les grèves du Front populaire amènent les accords de Matignon de 1936. Ainsi encore, quelques années après, le projet politique porté par le Conseil National de la Résistance aboutira à l’établissement du suffrage universel (y compris les femmes), à un programme de nationalisations et à la création de la Sécurité Sociale.
Quel type de résistance choisir ?
Ici, en pays de démocratie, la résistance à l’oppression politique n’a pas lieu d’être, mais elle est d’actualité ailleurs. Elle constitue, s’agissant du droit interne, le dernier des quatre droits naturels et imprescriptibles garantis par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en son article 2, aux côtés de la Liberté, de la Propriété et de la Sûreté
Demeurent cependant d’actualité la dégradation du respect des Droits de l’Homme au nom de la sécurité et maintenant de la santé, dégradation qui doit être prise très au sérieux ; Les reculs, pas toujours majeurs il est vrai, s’ajoutent les uns aux autres depuis trop longtemps. Depuis quinze ans se succèdent des lois sécuritaires, les textes d’incriminations nouvelles, l’effondrement des délais de prescription, la multiplication des fichiers, des lois d’exception devenues des textes de droit commun. Peu à peu les mentalités changent et l’on entend prédire le retour des ombres.
Le droit est affaire de pouvoir et de contre-pouvoir, de rapports de force, mais les forces en présence semblent de plus en plus déséquilibrées. Que l’on songe au coût des campagnes électorales, à l’inefficacité de la grève récente des cheminots ou des manifestations contre la réforme des retraites.
Il faut donc en appeler au collectif lorsque l’individualisme pérore, se faire violence pour intégrer le groupe, croire en son humanité.
Il faut résister collectivement par la remise au goût du jour d’outils fédérateurs, que ce soit des syndicats, des partis politiques, ou d’autres, en mettant un terme aux trop nombreux « collectifs » sans force politique ni effets juridiques, aux associations trop souvent concurrentes et qui regardent leurs militants vieillir ou s’en aller, rédigeant pour exister des communiqués de façade, sans lien avec leur poids.
Il faut résister au libéralisme qui sévit au sein même de la gauche militante et pousse chacun à créer sa chapelle pour toujours plus de divisions, multipliant les manifestations de cinquante personnes devant les préfectures et des forces de sécurité en surnombre.
Respecter les minorités, écouter les marges fécondes.
Résister aux plans social, écologique et politique.
Fédérer. Voter. Résister en choisissant la qualité et la quantité de ses biens de consommations. Résister par le droit, défense des pauvres, critique de la Loi, lutter contre toutes les violences. Résister dans la rue, dans les entreprises, partout. Résister pour les exclus des aides sociales. Résister pour les errants sans pays ni famille. Résister aux mots. Résister aux idées sombres. Penser le lien.
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