N°127

Notes de lectures

Paroles de vie

de Nikos Precas

par Abdellatif CHAOUITE

Edilivre, 2016

Il est des textes qui interpellent au-delà de la passion de lire. D’autant qu’ils ne sont pas passés par le moule qui les formate dans l’horizon d’attente. La dédicace de Paroles de vie vous met tout de suite la puce à l’oreille : « A [...] qui n’est pas venu à notre dernier rendez-vous... parce qu’il était à Paris pour aller chercher son fils, assassiné au Bataclan ». On est happé tout de suite par la fracture.
Partager la douleur d’un ami qui a perdu son fils dans un massacre, c’est quelque part mettre aussi bien cette douleur que cette amitié à nu : « être face à ce père que la vie a déposé dans la plus grande étrangeté ». Cette étrangeté n’a rien à voir avec l’aveuglement de la haine, mais avec les secrets de la vie et de la mort. Ce que seuls les mots peuvent peut-être exprimer quand ils deviennent, comme dans ce texte, des notes de musique. Les notes d’un piano qui seules peut-être peuvent donner à entendre « la mélodie d’une vie autrement ». Ou peut-être d’une vie simplement, de la vie devenue inentendable pour les auditeurs qui s’amassent à écouter mais que ces notes finissent par faire fuir. Et le piano devient ainsi « cercueil d’illusions » pour une humanité qui a perdu ses lumières.
Une méditation poignante qui oscille entre prose et vers pour dire l’indicible de la douleur et, au-delà, de l’absurde qui voûte le corps et rend les pas « sans traces », car, depuis le vendredi 13 « un monde a disparu ». Comment partager cette disparition ? Essayer de la traverser ensemble et chacun dans sa solitude, dans sa souffrance, c’est-à-dire en toute amitié et sous sa loi, la loi du partage.
Loin du fracas, des bruits et de l’onde de leurs échos dans la répétition folle ici et ailleurs, ce petit livre nous rappelle à l’essentiel : « malgré l’épais du noir », se battre « pour l’exigence du vrai, le cœur en avant ».

Abdellatif Chaouite