N°132

Penser le sensible

François Laplantine - Pocket, 2018

par Abdellatif CHAOUITE
14 Laplantine
14 Laplantine

Le sensible. L’expérience anthropologique sur plusieurs continents y rend sensible. Fort de celle-ci, François Laplantine y revient après une première traversée (Le Social et le sensible. Introduction à une anthropologie modale, Téraèdre, Paris, 2005) pour re-penser le sensible, à partir cette fois-ci de deux questions « particulièrement complexes » qui interrogent la rapidité des transformations que connaît le monde : la question du sujet ou de l’acteur dans un monde en pleine mercantilisation ; et la question de savoir comment, dans ce monde, les sociétés peuvent « se moderniser sans s’occidentaliser ».
Le sensible se niche, du moins anthropologiquement, dans cet insécable : sujet/société. C’est-à-dire dans une matière relationnelle. Une matière relative : elle s’invente en marge des cultures dominantes, y compris dans leurs versions dites positivistes. Elle s’invente dans des modalités de résistance à la marchandisation des sujets (tranchés en individus) comme à la conformation du fait ou du faire social à des injonctions destructives des singularités.
François Laplantine adopte pour ce faire une méthode ethnographique qui « suppose une attention à des interactions ordinaires et banales » et notamment là où il est le plus difficile de le faire, dans « les très grandes villes » : les sens (sonores, visuels, olfactifs et gestuels) y sont parlants pourrait-on dire. Cette méthode est la plus apte à réintégrer « le sensible dans la connaissance », à faire mouvement dans la connaissance des mouvements de la matière relationnelle !
Réintégrer le sensible dans la connaissance, c’est « abandonner la pensée étagée qui postule un dessus et un dessous, un dedans et un dehors, un centre et des périphéries et reconstruit le monde hiérarchiquement et hégémoniquement », et aller à la « surface du sensible », à ses lignes, flux, scènes et mises.
Et c’est une traversée vigoureuse, et qui ne manque pas de fraîcheur, de ces scènes et mises en scènes : « Respirer » ; « Marcher, danser » ; « Percevoir » ; « Penser l’intime » ; « Se tromper » ; « Regarder, reconnaître, résister » ; « Accepter la vulnérabilité » et « Vivre ensemble » sont les entrées avec (ou dans) lesquelles nous invitent l’auteur, et avec bonheur, dans ce voyage qui « pense le sensible ».

Abdellatif Chaouite