N°132

Et si… !

par Claude JACQUIER

Et si… Et s’il était possible d’envisager autrement la place et le rôle des populations migrantes dans nos sociétés qui s’autoproclament « avancées » ? Ce serait en effet une bonne occasion pour elles de montrer en quoi elles sont si… avancées, notamment sur un continent européen qui s’attribue près de la moitié des ressources sanitaires et sociales de la planète en produisant seulement 21% de son PIB et en rassemblant seulement 7% de sa population, des chiffres qui, dans leur sécheresse et leur caricature, disent ce qu’il en est de ces évidentes différences de potentiel entre les pays et les continents au cœur des mouvements migratoires.

Les populations immigrées et surtout les populations étrangères ont rarement eu bonne presse dans tous les pays dits d’accueil car, d’accueil, il n’y en eut guère au fil du temps. Ce furent plutôt des conduites d’évitement, voire d’évincement, dignes de ce bannissement connu sous le nom de « conduite de Grenoble ». Rarement l’entrée dans notre pays ne s’est faite par la grande porte même au temps où cette immigration était pourtant recherchée et que les sergents recruteurs des grandes compagnies, moderne traite esclavagiste, parcouraient les colonies en quête d’une force de travail toute formée pour les tâches manuelles, une force de travail peu coûteuse faisant faire aux entreprises métropolitaines de substantielles économies dans les investissements de productivité. Même si, aussi, en cette époque, Charles de Gaulle rêvait d’une France de 100 millions d’habitants capable de rivaliser avec l’Allemagne. En cette période de richesse et de progression rapide du pouvoir d’achat grâce à cette exploitation d’une main d’œuvre sous-payée, il était difficile pour les ouvriers français d’être solidaires des immigrés même si certains syndicats, notamment la CFDT, s’y sont alors risqués.
Nous sommes toutes et tous né-es quelque part et personne n’a jamais émigré de gaîté de cœur au fil des siècles, même au temps des mythiques grandes invasions que périodiquement nous resservent les officines extrêmes-droitières. Peut-être que pour les Français qui n’ont jamais vraiment émigré pendant des siècles, devenus moins casaniers et qui ont désormais à le faire, ce sera peut-être l’occasion de construire un autre regard sur les mouvements migratoires et l’occasion aussi, pour les partis démocratiques de ne plus se résoudre à un silence honteux. Les résultats inespérés des dernières élections européennes de 2019 où tous les observateurs pressentaient pourtant une catastrophe xénophobe populiste laisseraient augurer quelques inflexions positives dans l’opinion publique à la veille des municipales et des métropolitaines. Et si… !
Et si… !

« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage (…) et puis est retourné plein d’usage et raison »… mais pas sans syndrome. [1]

Rien de tels que les voyages, et parfois, comme l’écrivait Baudelaire, le savoir amer qu’ils enseignent ainsi que les épreuves quotidiennes du terrain pour se faire une opinion plus éclairée sur ce monde et sur l’autre, cet étrange étranger, supposés menaçants. L’ignorance sur cette réalité n’est jamais de bon conseil. J’ai parcouru l’Europe et certaines parties du monde (Afrique, Amérique du Nord, Chine, Japon), enquêtant dans les quartiers dits mal famés des villes peuplés par ces populations migrantes de toutes origines. J’étais en quête auprès d’elles de stratégies de développement soutenable. [2] Rien de mieux pour apprendre que leur cuisine frugale. La cuisine n’est-elle pas un art majeur, elle qui est la seule à savoir stimuler nos cinq sens. « Quand je suis revenu, j’ai découvert un tout autre pays, je l’ai du moins vu d’une façon nouvelle, c’est souvent ailleurs qu’on se trouve ». [3] A mon retour, j’ai alors voyagé à domicile avec l’ODTI, avec ses résidents, en nomade-sédentaire, dans son histoire cinquantenaire qui a offert et offre toujours, à travers toutes ses activités, cette clinique des ressources vivantes pour déchiffrer l’essence complexe du monde sans en rester aux apparences.

12 Grande rue de la Guillotière : porte « Renaissance »
et décor oriental d’aujourd’hui. (2 juillet 2014).
Yves Neyrolles

L’ODTI a été créé par des associations, des syndicats et des mutuelles en 1970 pour améliorer, avec elles, le sort des populations migrantes venues dans la région grenobloise. Cette entreprise associative a contribué en quelque sorte à la reproduction quotidienne de l’énergie de ce « petit travailleur infatigable » qu’était alors l’immigré dans nos sociétés industrialisées. [4] Il fallait faire en sorte qu’il soit capable de revenir, tous les jours, pour participer à la coproduction de la valeur ajoutée. Le salaire direct qui lui était versé devait assurer la reproduction simple et quotidienne de sa force de travail sachant que sa famille restée au pays ne « réclamait » le versement que de faibles subsides. Au mieux, il fallait couvrir par de faibles cotisations (salaire indirect) le risque maladie-accident-invalidité sous peine de voir le petit travailleur infatigable disparaître définitivement des lieux d’exploitation, un risque amplifié pour lui compte tenu des conditions de travail pouvant conduire à la mort (accidents générateurs de handicaps, tuberculose, silicose, intoxications chimiques, irradiations, etc.). Ses conditions d’habitat généralement insalubres et ses conditions de vie (la misère sociale, culturelle et sexuelle) l’exposant à toutes les maladies). Il en a été ainsi pendant des décennies, jusqu’aux mutations des besoins de main d’œuvre de l’appareil économique, la quasi-interruption des flux migratoires de travail et le relais pris par la politique dite de regroupement familial.

Aujourdhui, le migrant n’est plus ce petit travailleur infatigable dont les pays dits développés avaient besoin, une force de travail physique indispensable, toute prête à l’emploi, comme jadis dans les plantations outre-Atlantique. Ces esclaves de la traite, ces subalternes des politiques coloniales, ces supplétifs des guerres européennes placés en première ligne des combats sont devenus en quelque sorte des superflus dans une production de la valeur où ils n’ont plus guère leur place. Ils seraient même devenu des « inutiles » qui quémanderaient la « générosité » des droits socio-sanitaires européens, sauf dans certains secteurs où la main d’œuvre indigène de « souche européenne » ou descendante des flux d’immigration successifs tend à faire défaut (certains travaux manuels pénibles non encore robotisés) ou ceux des secteurs dévalorisés mais essentiels à notre confort européen comme le BTP, la restauration, l’hôtellerie, les soins aux personnes âgées et handicapées, etc. Il y a bien sûr les sportifs de haut niveau (les footballeurs, les basketteurs) et les servants de la foi (voir le recrutement par l’église catholique des séminaristes africains pour les paroisses françaises désertifiées) et des soignants des maladies du corps et de l’esprit (voir le recrutement de médecins et de personnels de santé étrangers). C’est ce que Achille Mbembé appelle « Le devenir nègre du monde ». [5] Les superflus ne sont pas que des êtres à la peau noire, le nègre a blanchi sous nos régimes de multiples exploitations et cela, sans recourir aux dépigmentations chimiques.

Il y a aussi, et surtout, le travail de reproduction basique de la population, devenu si essentiel dans nos pays européens au solde naturel démographique négatif, où « faire des enfants » et se livrer à leur élevage sont de plus en plus délaissés par les indigènes européens. Il faut aussi, désormais et surtout, assurer le service d’accueil et d’intégration qui a beaucoup trop été négligé, tout particulièrement en France : enseignement des droits et devoirs, apprentissage des langues et des outils de communication, suivi psychologique et sanitaire de populations de plus en plus traumatisées par les itinérances migratoires aux mains des mafieux. Rappelons que les immigrés sont affectés par ce que les spécialistes en santé mentale appellent le syndrôme d’Ulysse, soit la dépression et l’infinie tristesse du migrant tout au long de sa vie d’errance. [6] La place et le rôle des femmes, celles que nous appelons les daronnes et les potomitans, modernes Pénélopes, sont aussi devenus essentiels dans la mise en œuvre des politiques publiques. Nous le soulignons encore, ici, car cela aurait pu échapper aux autorités qui en ont la charge. C’est ce que l’ODTI essaie de leur faire entendre, sans relâche, en termes d’orientation politique. Ce n’est pas gagné, leur silence ayant été assourdissant pendant des années, voire des décennies (au moins depuis 1983 et le départ de Hubert Dubedout de la mairie de Grenoble !).

Des efforts conséquents et innovants malgré des silences politiques même pas honteux

Plus encore que ces péripéties qui en disent long sur ce que Stendhal, décrivant Grenoble, sa ville de naissance, appelait « le quartier général de la petitesse », [7] c’est le contexte qui a complètement changé. Depuis la création de l’ODTI en 1970, ce n’est plus de la force de travail prête à l’emploi dont l’économie avait besoin que nous accueillons dans notre établissement. Cette force de travail des années soixante-soixante-dix a vieilli et occupe désormais les foyers de travailleurs migrants (FTM) de manière épisodique, dans un va-et-vient avec le pays d’origine. Les FTM ont perdu leur rôle d’accueil de cette immigration de travail à laquelle s’est substituée, en partie, le regroupement familial. D’ailleurs, à la veille des années 2000, les FTM n’étaient plus occupés qu’à 50 %. Une population issue de l’immigration les a remplacés, suivie bientôt par d’autres figures de migrants : migrants « touristiques » qui nourrissent la population dite de « clandestins », réfugiés liés aux guerres civiles (voir la décennie noire en Algérie par exemple ou les guerres dans la corne de l’Afrique et en Afrique sub-saharienne, puis les conséquences des interventions des grandes puissances au Moyen Orient (Afghanistan) et au Proche-Orient (Irak, Syrie)). Les FTM en général, et celui de l’ODTI en particulier, réservé à des hommes seuls sont devenus inadaptés aux exigences du moment ne serait-ce que pour des raisons d’hygiène et de salubrité. En 1998, un plan national de transformation des FTM en résidence sociale (plan Jospin) est décidé afin de générer une offre mieux adaptée aux nouvelles populations migrantes (regroupements familiaux, réfugiés pour diverses raisons et de diverses origines).

Place Gabriel Péri : le bâtiment de la mairie de l’ancienne commune de la Guillotière devenu l’enseigne d’un « Mac’Do ». (26 mars 2014).
Yves Neyrolles

Le FTM de l’ODTI a été totalement restructuré en 2004 avec création d’appartements autonomes T1, T1 bis, T2, dotés du confort indispensable (cuisine, WC, toilettes). L’offre unique d’hébergement en FTM qui avait déjà été diversifiée (création d’un CHRS en 1974, mobilisation de logements dans le diffus, les logements soleil en collocation) a été complétée par une résidence hôtelière créée pour les ex-travailleurs migrants âgés dans le respect de leurs droits acquis ainsi qu’une résidence sociale ouverte aux autres populations migrantes et notamment aux ménages avec enfants. Alors qu’à sa création, l’ODTI accueillait un public uniquement masculin et algérien, relativement jeune, inséré dans le monde du travail, il est occupé désormais par une trentaine de nationalités, des femmes, des hommes et des enfants, des personnes seules, des familles, dont des familles monoparentales, des personnes de plus en plus âgées, à la retraite, de plus en plus de personnes au RMI puis au RSA ou avec de très faibles revenus (voir le faible montant des retraites des chibanis), des réfugiés sans ressources, des sortants de prison parmi lesquels des radicalisés et des fichiers S. Désormais une majorité d’entre eux, à des titres divers, souffre de stress et de troubles post-traumatiques souvent ignorés par les autorités et sont délaissés par les institutions spécialisées qui les réorientent vers des établissements d’hébergement rarement dotés des services qualifiés pour « faire avec » ces populations ne relevant pas de l’emplâtre d’une procédure standard appliquée mécaniquement sur leurs maux.

Sur tout cela, les autorités élues et administratives ont été, et sont encore bien trop silencieuses (rien dans les délibérations communales et métropolitaines depuis des années, voire des décennies) de crainte de voir l’opinion publique les désavouer -désaveu que ce silence prolongé n’a fait qu’amplifier- tout en laissant le champ libre aux expressions haineuses populistes ainsi qu’à l’emprise des mafias de passeurs et de dealers sur une population déjà très fragilisée. Même pas honte ! Ainsi, par exemple ces autorités ont laissé l’entreprise associative ODTI continuer à mettre en œuvre ses missions amplifiées en la laissant se dépêtrer, seule, dans une crise financière consécutive, comme partout, à des coupes brutales dans les dotations. Il en est résulté un redressement judiciaire avec 535 000 euros de dettes sociales remboursées grâce à un budget inchangé depuis 15 ans de 1 100 000 euros, sans recapitalisation, au milieu d’un quartier situé à 150 m des autorités publiques qui est sans doute le plus grand marché de la drogue de toute la métropole. En ce lieu, les mafieux-dealers utilisent les fragilités de ses résidents : squats, nourrices, violence sur personnes âgées, femmes et mineurs. L’ODTI est ainsi devenu un « coffee-shop-hôtel de fait » qu’ignorent les autorités, notre établissement n’échappant pas pour autant à l’inspection bureaucratique soupçonneuse de la préfecture et à ses sanctions alors que les autorités sont incapables de faire respecter la loi et l’ordre public.

Quid aujourd’hui de la place et du rôle de l’étranger, et plus encore de l’exclu, dans la fabrique renouvelée de la ville ?

Arrêtons ici nos lamentations ! L’entreprise associative ODTI n’a jamais été dans la plainte, elle n’a jamais été dans la manifestation de rue qui rejette sur d’autres les responsabilités et elle n’a jamais été dans le commémoratif rassurant un rien hypocrite. Face à l’adversité, le réflexe de son collectif a toujours été une attitude clinique visant à trouver des réponses appropriées en s’adaptant au mieux aux circonstances. Le cataclysme de la cessation de paiement de 2007 et du redressement judiciaire (2009-2019) ont été plutôt une chance et une opportunité pour dépasser la tradition « bêtement » assistancielle qui avait et a encore cours dans le milieu du travail social, assistance que la notion d’accompagnement n’a fait qu’euphémiser sans en gommer les défauts majeurs. La baisse drastique et brutale des moyens humains (passage de 24 ETP à 8) et financiers (passage de 85% de dotations publiques à 40% des ressources) a imposé un changement radical du modèle économique et la nécessité d’envisager autrement les rapports aux populations orientées vers l’ODTI et ce d’autant que les profils de ces personnes étaient tout différents (de l’homme « célibatairisé » algérien aux familles en provenance d’une cinquantaine de pays avec une majorité africaine sub-saharienne). Très rapidement il a fallu rompre avec les approches procédurales Excel visant à découper les publics en autant de problèmes éligibles afin d’essayer d’inventer des « manières de faire avec » ces populations migrantes, leurs communautés d’appartenance et leurs parcours migratoires par une approche intégrée de l’intervention des divers services nécessaires à ré-inventer. Bref, il a fallu recomposer nos « arts de faire avec » des… êtres humains, des corps et des esprits, et non manipuler des catégories de pensée et d’action instrumentées par des appareils. [8]

Ainsi que le montrait Georg Simmel, un auteur trop méconnu en France, sans doute parce qu’Allemand, [9] dès la fin du 19e siècle, la place et le rôle de l’étranger dans la construction de la cité sont essentiels, moins d’ailleurs par la contribution physique que cet étranger apporte à l’œuvre commune (bâtisseur de villes) et par sa contribution démographique positive (solde migratoire et solde naturel) que par le fait de sa seule présence et de ses apports culturels comme « dynamiseur » et « dynamiteur » des rapports sociaux d’un autre temps structurant la ville. L’étranger est un « travailleur social » au sens premier du terme, un travailleur du social, un « ouvrier relationnel » dirions-nous, qui oblige la société, par sa présence, à faire un travail de recomposition sur elle-même. Cet « autre » questionne l’indigène au point de l’inquiéter en lui montrant ce qu’il n’est pas et ne peut être, c’est la fonction miroir. [10] Mais l’autre est aussi l’hôte et l’hôte est ainsi hôte de l’hôte. Dans une région rurbaine grenobloise qui a pourtant été, et est plus que jamais, comme beaucoup d’autres, pleinement concernée par cette problématique des migrations, (80000 immigré-es résident-es estimé-es aujourd’hui sur ce territoire, plus de 13% de la population métropolitaine et sachant que sans doute, par ailleurs, une majorité de la population métropolitaine a une ascendance immigrée), le silence des politiques sur cette réalité ne peut être de mise comme il en est depuis des années, parfois de manière fort hypocrite. A quoi bon mentionner l’étranger puisqu’il est là ! A quoi bon risquer de l’ostraciser en parlant de lui ! Faisons silence, ne disons rien et tout ira pour le mieux ! Certes le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit ! Rompre ce silence est pourtant une impérieuse nécessité d’où, là-encore, cette idée suggérée aux autorités territoriales dans le cadre du conseil de développement de faire l’anthropologie pratique de ces communautés-territoires en construisant avec tous leurs habitants des « généalogies métissées géo-localisées », une proposition qui n’a jamais été débattue. [11]
Dans la dernière décennie, jamais une seule fois, les conseils muncipaux, le conseil de la Métropole grenobloise et son Conseil de développement ne se sont saisis de cet enjeu au fond d’une « cuvette », qui devrait en être l’instrument adapté, le melting-pot de cette fabrique sociétale. La relative stagnation démographique de la région rurbaine des dernières décennies a sans doute quelque chose à voir avec cette perte d’attractivité à longue portée et long rayon d’action de la région, une résultante de cette progressive fermeture aux autres qui tend à s’imposer dans les orientations politiques des assemblées locales et nationales à l’heure où l’hospitalité est considérée comme un « délit ». Cette notion d’hôte, dans les deux acceptions du terme (accueillant et accueilli) et celle d’hospitalité devraient être mieux prises en considération à l’heure où le droit d’asile est mis en question. C’est ce qu’avait déjà dénoncé Jacques Derrida dans les années quatre-vingt-dix lorsqu’il critiquait le non-sens de l’expression « délit d’hospitalité ». [12] Nous ne cessons pourtant de proposer aux autorités territoriales de mettre en place un conseil consultatif des hôtes de Grenoble Alpes Métropole regroupant à parité les populations gaulo-dauphinoises, les populations étrangères UE et les populations étrangères non UE avec pour mission de coproduire des initiatives communes qui pourraient être reprises et légitimées par le conseil métropolitain élu. Une manière, sans modification des textes législatifs, de mieux intégrer politiquement les populations migrantes et d’en faire des acteurs conséquents de la fabrique de la métropole.

Dans le même temps, d’autres constats doivent être faits. Les populations migrantes n’ont plus rien à voir avec « le petit travailleur infatigable » célibatairisé du passé. Ces populations sont de plus en plus qualifiées et les femmes y sont surreprésentées ce qui manifeste une fuite de compétences essentielles pour ces pays. Si l’on en croit les statistiques de l’OCDE pour 2015-2016 et contrairement à l’image qu’on en donne, les populations migrantes en provenance des pays hors OCDE ont un niveau d’éducation bien supérieur à celles en provenance des pays dits développés et cela dans un rapport de 2 à 1, les femmes étant par ailleurs plus qualifiées que les hommes. A l’ODTI les apprenant-es des ASL sont majoritairement des femmes et à près de 40%, des dipômé-es de l’enseignement supérieur. Ainsi, les populations immigrées ne relèvent plus uniquement du champ des politiques sociales spécifiques dans lesquelles ont les a enfermées pendant des décennies, elles sont une force économique et politique où les daronnes, les potomitans et les « mama benz » occupent une place majeure.

Ces populations migrantes, nomades sédentaires, venues surtout d’Afrique, auraient pu et devraient être désormais pleinement prises en compte dans des stratégies de développement soutenable Sud-Nord dont devraient se doter les métropoles et les régions rurbaines. En particulier, les autorités étatiques et territoriales grenobloises auraient dû tout mettre en œuvre pour mobiliser et faire coopérer les forces vives du territoire dans le cadre de cette « transition écologique » si confusément affichée. Cela aurait fait de cette Métropole, plus qu’une « cité métropolitaine », titre retenu pour un « Manifeste », il est à craindre, sans lendemain, un territoire de projets innovants fécondant l’ensemble de la région rurbaine, les vallées et les massifs du Sud Isère (l’espace des mobilités domicile-travail). Elle aurait joué ainsi un rôle majeur dans l’arc alpin-méditerranéen, cette euro-région transfrontalière trop ignorée encore, qui est, mais pour combien de temps à l’heure de la régression des glaciers et du stress hydrique, le château d’eau et la machine thermo-hydro-électrique renouvelable de l’Europe. En se remémorant qu’elle est inventrice de cette matière-énergie paradoxale appelée « houille blanche », eau et électricité tout à la fois, cette région aurait pu susciter une stratégie de co-développement Sud-Nord avec l’Afrique, ce continent de la francophonie, son avenir économique, d’où est issu l’essentiel de ses migrant-es, sources de ses richesses. Mais, alors qu’elle dispose désormais de toutes les compétences stratégiques possibles, cette Métropole semble en panne politiquement : carences démocratiques (pas de suffrage direct, pas de droit de vote pour les étrangers non communautaires), non séparation des pouvoirs délibératifs et exécutifs, manque surtout de ce sens des « extravagances » politiques dont la cuvette grenobloise avait jadis le secret, au point de devenir une terre de résistance à l’oppression en accueillant de nombreux migrants combattants dans le Vercors, etc. Cette « capitale autoproclamée des Alpes » doit manifester qu’elle est encore cette terre d’accueil et d’expression des populations migrantes innovatrices qui ont fait et feront encore la richesse de son territoire !

[1Du Bellay Joachim

[2JACQUIER Claude (1991- Voyage dans dix quartiers européens en crise.- Paris, L’Harmattan.
Jacquier Claude (1993).- Quartiers américains, rêve et cauchemar. Le développement communautaire et la revitalisation des quartiers aux États-Unis - Paris, L’Harmattan.

[3Guy Robert, un poète québécois. Nous ne ferons jamais assez, auprès de nos concitoyennes et concitoyens, l’éloge du voyage, cette pédagogie du vieux Goethe. Thomas Steams Eliot écrivait de même dans Little Gidding : « Nous ne cesserons pas d’explorer / Et la fin de notre exploration / Sera de parvenir à notre lieu de départ / Et de le connaître pour la première fois ». Henri Beyle Stendhal, grand voyageur dauphinois, nous y invitait : « Ce que j’aime dans les voyages, c’est l’étonnement du retour ».

[4Murard, Lion et Zylberman Patrick (1976)- Le petit travailleur infatigable, ou, le prolétaire régénéré (villes-usines, habitat et intimités au XIXe siècle).- Recherches, n° 25, pp. 115-116.

[5MBEMBE Achille (2013).- Critique de la raison nègre.- La Découverte.

[6LE FERRAND Philippe (2013).- Le syndrome d’Ulysse. Traumatismes et stress chroniques et multiples chez les migrants.- GREMP 35 14 octobre.
SAYAD Abdelmalek (1997).- La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré.- Paris, Seuil.
SAYAD, Abdelmalek (2006).- L’immigration ou les paradoxes de l’altérité.- Paris, Raisons d’agir.

[7Sans doute que ces voyages lui permettaient de considérer à sa juste proportion sa ville de naissance, Grenoble, tenue et contenue par les militaires. Stendhal (Beyle, Henri), Journal, ed. V. Del Litto dans Œuvres intimes, t. 1 Gallimard, coll. Bibliothèques de la Pléiade, 1981, p. 902.

[8CERTEAU de, Michel (1981.- L’invention du quotidien. Arts de faire-Paris, 10/18, 1981.

[9SIMMEL, Georg (1999)- Sociologie. Etude sur les formes de la socialisation - Paris, PUF.
SIMMEL, Georg (1999) - Digressions sur l’étranger.- in Sociologie. Étude sur les formes de la socialisation, Paris, PUF 1999b.

[10ALLAL Tewfik, BUFFARD Jean-Pierre, MARIE Michel, REGGAZZOLA Tomaso. - Situations migratoires. La fonction-miroir. - Paris : Editions Galilée, 1977, 318 p.

[11JACQUIER Claude (2018).- Pour des généalogies métissées territorialisées ou géo-localisées .- Projet métropolitain 2030, 2018. 25 p.

[12JDERRIDA Jacques (1997) De l’hospitalité Séminaire 1995-1997 Calmann-Levy Voir Le Monde du samedi 20 janvier 2018 Jacques Derrida sur les migrants Que devient un pays quand l’hospitalité peut être aux yeux de la loi, un crime ?.