Né à Nantua en 1942, Yves Neyrolles vit, travaille, écrit et photographie, depuis plus de cinquante ans, dans la région lyonnaise, plus particulièrement à Lyon dont, petit à petit, il rassemble des images visant à dresser le portrait d’une ville en mutation.

En 1997, au sein de l’association Renaissance du Vieux-Lyon (RVL), il a participé à l’élaboration du dossier de candidature de la Ville pour l’inscription de son site historique sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, distinction obtenue en décembre 1998.
Cependant, Yves Neyrolles ne se contente pas de capter la vie quotidienne et le patrimoine des quartiers anciens (Vieux-Lyon, Fourvière, Croix-Rousse, Presqu’île), il suit les transformations urbaines engagées dès le milieu du XXe siècle dans différents quartiers de la ville et, plus particulièrement, sur la rive gauche du Rhône, à la Guillotière, un faubourg annexé par Lyon sous le Second Empire mais continuant aujourd’hui à former un quartier à part où l’on voit rassemblées des populations aux couleurs du monde.
Il s’est intéressé plus spécialement à l’évolution de la « place du Pont », devenue place Gabriel Péri au lendemain de la Libération, ainsi qu’à celle des environs de cette place rayonnante, suivant notamment l’artère historique de la Grande Rue de la Guillotière ou des axes plus récents, comme la rue Paul Bert ou la rue Moncey.

Ces « voyages à l’intérieur », de la ville d’hier comme de celle d’aujourd’hui, ont été à l’origine de deux expositions initiées et soutenues par la Maison des Passages. En 2007, Une place, un pont, la place du Pont, montrait la transformation de ce lieu depuis la décision des édiles lyonnais de détruire le grand magasin populaire Prisunic jusqu’à l’inauguration du CLIP, un immeuble à vocation multiple mais peu ancré sur l’histoire du quartier. En 2014, La Guillotière, Métamorphose et Permanence, se présentait sous la forme d’un triptyque (Traces d’Histoire, Métamorphoses, Un quartier Monde) dans trois lieux des 3e et 7e arrondissements de Lyon particulièrement propices aux rencontres et aux échanges culturels : la bibliothèque pour enfants, rue Béchevelin ; l’auberge de jeunesse de la rue Bonnefoy ; le restaurant Le Vol Terre.
À propos de la première exposition, Yves Neyrolles écrivait :
« Place du Change, place Bellecour, place du Pont, Lyon égrène ces noms mythiques au fil de quelques rendez-vous que la ville nous donne avec des fragments de son histoire.
La place du Change renvoie à la fortune des banquiers florentins au temps de la Renaissance. La Belle Cour conserve son emblème royal après deux siècles de République. La place du Pont, elle, évoque le franchissement des eaux - guère tumultueuses à présent - d’un fleuve resté longtemps sauvage et, par la nécessité de cette traversée (aujourd’hui sans péage et sans risque), redit le passage de la frontière - on quittait l’empire pour entrer dans le royaume - en même temps que, face à la ville, elle situe le faubourg, lieu d’attente ou de bannissement, territoire voué à l’entassement de populations disparates, venues des Alpes ou du Midi et, par-delà, de la Méditerranée et de tous les Orients.

Malgré le changement de nom - en 1945, la Résistance, victorieuse, voulait honorer ici l’un de ses héros tombés sous les balles nazies - la place Gabriel Péri reste, dans la mémoire populaire, la place du Pont, point de départ du plus ancien ouvrage construit, d’abord en bois puis en pierre, pour faire se joindre les deux rives du Rhône.
Le rattachement du faubourg à la ville, sous la houlette de Vaïsse, maire et préfet durant le Second Empire, et sa mutation de l’état de commune indépendante à celui de quartier, ont activé ici le développement de l’urbanisation sans changer pour autant le caractère fondamental de cette Guillotière, qui demeurera une mosaïque de populations aux couleurs du monde.
Cependant, au cours du dernier quart du XXe siècle, la Ville bourgeoise a tenté ici ce qu’elle avait amorcé à la Croix-Rousse (où elle allait, en grande partie, réussir) : une mutation forcée de l’habitat. Sous l’appellation administrative d’opération Saxe/Paul Bert, il s’agissait, place du Pont, de procéder à une véritable transformation urbaine autour et à partir de son grand magasin, le Prisunic. Chose curieuse, ce témoin vivant de la consommation populaire allait disparaître au moment même où l’accès à ce quartier se voyait facilité grâce au passage du métro.
Durant toutes ces années, je suis venu régulièrement saisir en images cette opposition entre le pouvoir municipal et les habitants de la Guillotière, qu’il fallait à tout prix décourager de se réunir sur cette place, autour du magasin d’abord, puis de l’absence de magasin, puis d’un terrain vague érigé de palissades tricolores, de haies de thuyas, de panonceaux où se donnait à voir, par un clap géant - comme lorsqu’on tourne un film et qu’on annonce la prochaine prise de vue - le futur CLIP, une immense maison ronde toute en miroir, aux proportions hors normes vis à vis du bâti plus ancien et à partir de laquelle la métamorphose devait s’ordonner…
Les images recueillies semblent dire : « Quoi que vous fassiez, nous serons toujours là. »
Et, de fait, les gens aux couleurs du monde sont bien présents devant le somptueux édifice, habitants d’un quartier plus cosmopolite que jamais.
Lorsqu’en 2001, le pouvoir municipal échoit à la Gauche Plurielle, l’opération Saxe/Paul Bert prend une tout autre perspective : il s’agira dès lors de développer les potentialités urbaines du quartier tout en respectant son caractère. »

Évoquant la deuxième exposition, Yves Neyrolles nous dit que celle-ci a traduit l’élargissement de son regard à l’ensemble du quartier, montrant l’évolution de celui-ci (métamorphose) mais aussi sa persistance à rassembler une véritable mosaïque de populations, constituant une sorte de Babel faisant face, de l’autre côté du Rhône, à Myrelingues, la ville des imprimeurs et des écrivains de la Renaissance, Rabelais, Marot, Maurice Scève, Louise Labé, etc., mais aussi celle des affaires, du rayonnement international et du tourisme mondial, distinguée à la fin du XXe siècle par l’Unesco.
Dans les pages de ce numéro de la revue Ecarts d’identité , il propose une sélection de quelques-unes de ces photos, cueillies au fil des nombreuses balades accomplies dans ce labyrinthe singulier de l’autre rive, un lieu auquel il se sent aussi attaché qu’il peut l’être à celui où il vit, le quartier de la place du Change, dans le Vieux-Lyon, petite portion du site historique de la ville dont, avec un groupe d’amis, il a contribué à faire reconnaître les qualités universelles exceptionnelles qui ont conduit à son inscription sur la liste du Patrimoine mondial.
Manières de photographier
« Mettre en lumière la complexité d’un quartier comme celui de la Guillotière, son histoire, ses transformations, sa diversité, m’amène à adopter plusieurs postures : celle du chercheur de traces, qu’on admet facilement et qui, même, peut se faire aider par les gens qu’il rencontre ; celle de l’illustrateur des métamorphoses, dont les « objectifs » se laissent aussi accepter ; celle du capteur de la vie présente, plus difficile à être admise parce qu’elle se heurte à de compréhensibles réticences, à des résistances. Le plus souvent, je m’efforce de me faire oublier, et, me fondant dans la foule comme le faisait Henri Cartier-Bresson, j’attends « l’instant décisif » où celle-ci compose pour moi une scène que nous écrivons ensemble, avec la complicité de la lumière. »