Depuis la fin du XXe siècle la haine est présente sans frein, sans honte dans notre société. Elle s’exprime dans les réseaux sociaux, mais aussi dans certains discours politiques. Elle a trouvé le chemin de la violence en détruisant le sens des mots. Elle est même devenue assassine.
En 1995 le film La haine de Mathieu Kassovitz, qui fera plus de deux millions d’entrée et obtiendra de multiples récompenses, sera comme le symbole de cette haine qui se développe dans la société française. Ce n’est pas un hasard si déjà en 1986 Pierre Desproges avait intitulé ses chroniques régulières les chroniques de la haine ordinaire comme une intuition du nouveau monde en train de naître, car la haine c’est d’abord le refus du partage.
Quelques décennies plus tard, Hélène L’Heuillet, philosophe et psychanalyse, après avoir publié, en 2016, un essai sur le voisinage, s’attaque logiquement à une réflexion sur la haine. Dans une interview au journal Le Monde, à la question « Avez-vous constaté chez vos patients l’émergence d’une forme de haine inédite ? »,elle précise que oui : « Il y a une jouissance nouvelle de la haine, qui est problématique parce qu’elle justifie d’une certaine façon le passage à l’acte. Aujourd’hui, on est devenu obligé, en tant que psychanalyste, de rappeler parfois qu’un acte doit être suspendu et que quelque chose doit être tissé du côté du langage, que la haine est une pulsion qui peut et doit aussi être prise dans un discours. »
Dès la première page de son ouvrage, Hélène L’Heuillet rappelle le temps où l’on disait la haine tout en parlant d’amour, le temps où la haine était là dans sa violence mais refoulée ; aujourd’hui la haine « n’est plus l’objet d’aucun refoulement. C’est même souvent l’inverse… dans la plainte commune c’est aujourd’hui l’amour qui est refoulé et offre effectivement un tremplin à la haine ». Si la levée du refoulement permet un pas vers la vérité en disant qu’elle est en nous, qu’elle habite chaque être humain, elle est « une expérience psychique nécessaire ». Mais, dans le champ social : « l’absence de tout refoulement de la haine n’est pas sans effet. D’abord parce qu’elle flambe et emporte tout, quitte à provoquer regrets et remords » et de préciser que la haine de l’autre et la haine de soi sont tissées ensemble dans le psychisme humain et « quand la première met la seconde à son service tout devient possible », du suicide à l’engagement dans la radicalité. Après ce constat Hélène L’Heuillet interroge notre monde à travers cette considération : « les mouvements populistes et jihadistes (malgré ce qui les sépare) inaugurent, chacun à leur manière, de nouvelles formes de violence qui ne sont compréhensibles que par la levée du refoulement sur la haine. Ces deux phénomènes ont en effet en commun d’être des expressions explicites de la haine ». Ainsi, bien évidement, la question n’est pas morale mais bien culturelle.
La haine est un vœu de mort, elle est bien partagée dans notre société, nous alerte Hélène L’Heuillet. Tel est bien l’enjeu, si nous désirons préserver la démocratie, nous devons trouver des réponses aux expressions et formes de la haine ordinaire.
Un petit livre de 142 pages et un livre essentiel car la haine est en chacun de nous. Comment nous composons avec elle ? La réponse à cette interrogation dessinera le monde de demain. Il est certain que la réponse est culturelle et nous renvoie à notre propre responsabilité.
Bruno GUICHARD