N°130

Notes de lectures

Osons la fraternité !

par Bruno GUICHARD

Les écrivains aux côtés des migrants
Sous la direction de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris
Ed. Philippe Rey
Avec le festival étonnant Voyageur

Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris ont réuni une trentaine d’écrivains et artistes pour saluer les migrants dans un cri majeur « Osons la Fraternité ! ».Tous les droits d’auteurs seront reversés au GISTI (Groupe d’information et de soutien aux immigrés), association née dans la foulée de Mai 68.
Contes, fables, poésie, récits de vie, appel pour une mondialité apaisée… La richesse de ce livre est dans la multiplicité et la diversite des textes. JMG Le Clezio rend hommage aux familles de la haute vallée de la Roya qui ont accueilli sa famille et lui-même durant la second guerre mondiale quand ils ont dû se cacher car ils avaient un passeport anglais… ceux de la Roya qui aujourd’hui ont osé la fraternité avec les migrants. Velibor Colic, Bosniaque refugié en France depuis 1992 qui place son texte sous ce proverbe africain : « Que celui qui n’a pas traversé la rivière ne se moque pas de celui qui s’est noyé » et de rappeler ce que disait Anthony Burgess, l’exil est un état négatif ,l’exilé est « rejeté par les autochtones et par ses compatriotes » . Dans sa contribution Le Grand débarras, Achille Mbembe commence par dire que quelque chose de grave se passe en Europe, qui est la dynamique de « frontiérisation » qui n’est pas seulement une ligne de démarcation qui sépare des entités souveraines, mais qui est « de plus en plus le nom propre de la violence organisée que sous-tend et le capitalisme contemporain et l’ordre de notre monde en général ». Achille Mbembe appelle à imaginer l’impossible : l’abolition des frontières pour restituer à tous les habitants de la Terre le droit inaliénable de se déplacer librement sur cette planète. Claudio Magris nous dit que le monde est en train de perdre la quatrième guerre mondiale, non contre les extra-terrestres mais contre lui-même. Pour lui la troisième guerre s’est terminée en 1989 ou en 1991 « celle que l’on a appelée guerre froide mais qui en réalité a été brûlante, 45 millions de morts en Afrique, en Asie et dans bien d’autres pays… »
Le livre s’ouvre par un très beau texte de Kaouther Adimi (elle a obtenu en 2017 le prix Renaudot des lycéens pour son livre d’une beauté triste Nos richesses) qui décrit les justifications d’une femme demandant l’asile en France dont le vigile qui l’accueille au service des étrangers note « femme seule parlant parfaitement français, aucun papier, l’air agressif »…tout est dit !
Le livre se termine par le texte-manifeste de Mireille Delmas-Marty Pour une mondialité apaisée, prélude à son travail sur la création d’un droit international à l’Hospitalité.
A travers l’ensemble des contributions se dessinent une philosophie et une politique de la Relation qui est la seule véritable réponse à tous les néo-fascistes et populistes qui veulent dessiner un nouveau visage inquiétant de l’Europe…. Et si Claudio Magris avait raison !

Bruno GUICHARD