L’hébergement des demandeurs d’asile, un dispositif à part
Le droit européen prévoit, avec la directive 2013/33/UE, que tout étranger arrivant sans ressources ni logement, et souhaitant solliciter l’asile, doit pouvoir bénéficier de « conditions matérielles d’accueil comprenant le logement, la nourriture et l’habillement, fournis en nature ou sous forme d’allocation financière ou de bons, ou en combinant ces trois formules, ainsi qu’une allocation journalière ». Transposée en droit français par la loi du 29 juillet 2015, cette directive permet théoriquement à tout demandeur d’asile en procédure normale de bénéficier d’un hébergement ainsi que d’un accompagnement social au sein d’un centre d’accueil pour demandeur d’asile (CADA), ou dans une autre structure (CAO, PRAHDA, ATSA, HUDA) pour les demandeurs d’asile sous procédure Dublin et procédure accélérée.
Le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a, de son côté, pour objectif de répartir les demandeurs d’asile en fonction des capacités d’accueil de chaque région. Ainsi, lorsque la part des demandeurs d’asile résidant dans une région excède la part fixée pour cette région par le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile, l’OFII [1] pourra orienter le demandeur vers une autre région. Les demandeurs d’asile ne seront plus libres de fixer leur lieu de résidence comme ils l’entendent, au risque de se voir retirer les conditions matérielles d’accueil.
Toute décision d’admission, de sortie, ou de changement de lieu d’hébergement est prise par l’OFII, avec la consultation en amont du directeur du lieu d’hébergement. Le refus d’une place en hébergement par un demandeur d’asile peut avoir des conséquences graves, notamment la perte des conditions matérielles d’accueil.
L’intéressé sera hébergé jusqu’à la décision définitive des organismes en charge du traitement de sa demande d’asile, soit à l’expiration du délai de recours contre la décision de l’ Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), soit à la date de notification de la décision de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Les demandeurs d’asile placés en procédure Dublin sont hébergés jusqu’à la date de leur transfert vers l’État responsable de l’examen de la demande d’asile.
Le gestionnaire du lieu d’hébergement, contacté par l’OFII, informe l’intéressé de la fin de sa prise en charge, sauf prolongation demandée par le demandeur d’asile (prolongation de trois mois, renouvelable pour trois mois à titre exceptionnel suite à une décision positive concernant la demande d’asile, prolongation d’un mois suite à une décision de rejet).
L’hébergement en CADA n’est pas sans contraintes, et les demandeurs d’asile doivent, dans ce cadre, passer un contrat d’hébergement. Ainsi certaines obligations pèsent sur les hébergés : versement d’une caution, signalement des absences, participation financière...
Par une information du 4 décembre 2017 relative à l’évolution du parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés, il est prévu la création de 12500 nouvelles places d’hébergement, dont 7500 places dès 2018, comprenant 2000 places en CADA, à ouvrir au 1er juillet 2018, et 2500 places en HUDA, à ouvrir au 1er avril 2018.
Malgré les moyens déployés pour l’hébergement des demandeurs d’asile par l’État pour répondre à ses obligations légales, une part importante des demandeurs d’asile est actuellement en attente d’une place d’hébergement, devant trouver des solutions alternatives (dispositifs d’hébergement d’urgence, hébergements citoyens…).
L’hébergement d’urgence de droit commun
Le dispositif d’hébergement d’urgence de droit commun connu par le grand public sous le numéro d’appel d’urgence “115” est soumis au respect d’un certain nombre de principes, notamment celui de l’inconditionnalité de son accès.
Toute personne, y compris celles en situation irrégulière, bénéficie du dispositif de veille sociale « chargé d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse » et « de les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état », conformément au Code de l’Action Sociale et des Familles [2]. S’ajoute à cela que tout sans-abri en « situation de détresse médicale, psychique et sociale » a accès à un dispositif d’hébergement d’urgence [3].
Dans une logique de protection des mineurs, « les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu’elles sont sans domicile » sont prises en charge par le service de l’ aide sociale à l’enfance(4).
Les demandeurs d’asile, bien qu’ils relèvent d’un dispositif qui leur est pleinement dédié, bénéficient également, en cas de carence de ce dernier, du dispositif d’hébergement d’urgence de droit commun.
A plusieurs reprises, s’est posée la question de l’opposabilité du droit à un hébergement d’une personne en situation irrégulière. La lecture des dispositions précitées semble impliquer que ces personnes bénéficient nécessairement d’un droit à l’hébergement quelle que soit leur situation administrative ; c’est la conséquence du principe de l’inconditionnalité de ce droit.
Pourtant, faisant preuve d’une interprétation particulièrement audacieuse de ces textes, le Conseil d’État (le plus haut degré de juridiction en droit administratif), a fortement limité la portée de ce principe en juillet 2016 par plusieurs décisions, selon lesquelles les étrangers « qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire […] n’ont, de toute façon, pas vocation à bénéficier [du dispositif d’hébergement d’urgence], sauf circonstances particulières. […]. » Ces circonstances particulières peuvent êtres caractérisées, par exemple, en présence d’un très jeune enfant dont la santé est mise en danger par l’absence de solution d’hébergement.
En d’autres termes, et sauf circonstances exceptionnelles, les étrangers en situation irrégulière ne peuvent plus bénéficier de l’accueil en hébergement d’urgence.
L’État a pris acte de cet assouplissement du Conseil d’État, réaffirmant récemment sa volonté de restreindre le nombre de personnes susceptibles de bénéficier d’un hébergement d’urgence. C’est dans ce sens que s’inscrit la circulaire du 12 décembre 2017 relative à l’examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence.
Cette circulaire a pour objectif de demander aux Préfets de mettre en place un dispositif particulier consistant en la création d’équipes chargées de se rendre dans les structures d’hébergement d’urgence afin de recueillir les informations sur la situation administrative des personnes hébergées de nationalité étrangère. Par la suite, « les équipes mobiles pourront préconiser toute mesure utile pour assurer des orientations adaptées soit vers le Dispositif National d’Accueil des demandeurs d’asile, soit vers le logement pour ceux qui ont un droit au séjour, soit vers un transfert ou un retour pour ceux qui ne remplissent aucune condition de droit au séjour ».
Elle a fait l’objet d’un contentieux porté par vingt-huit associations. Le Conseil d’État a refusé de prononcer l’annulation de cette circulaire dans une décision du 11 avril 2018, mais en limite sensiblement la portée. Il est par exemple relevé dans cette décision que les agents chargés de se rendre dans les lieux d’hébergement d’urgence ne disposent pas de pouvoir de contraintes et ne peuvent, notamment, pas pénétrer dans les locaux privés sans l’accord des personnes intéressées. En outre, le Conseil d’État jugeait que la proposition d’une aide au retour, ou à défaut, l’orientation au sein d’un dispositif adapté en vue d’un départ contraint des personnes faisant l’objet d’une OQTF s’inscrit dans le sens de l’article L511-1 du Ceseda, permettant à l’autorité administrative d’obliger les étrangers en situation irrégulière de quitter le territoire Français.
Le Droit À L’Hébergement Opposable (DAHO)... avec des papiers !
Début 2007, la problématique des personnes « sans-abris » se faisant de plus en plus pressante, la question d’un droit au logement opposable a émergé dans le débat public. Si le droit au logement découle de la Constitution française et est protégé par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il n’était jusqu’alors pas considéré par les tribunaux comme invocable devant les juges, ce qui en limitait sensiblement la portée. Le législateur s’en est finalement emparé, et la loi du 5 mars 2007 institue désormais le droit au logement opposable, outre diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Cette disposition législative a pour but de favoriser le logement et l’hébergement pour tous, dans la mesure où l’intéressé ne peut s’en procurer un par ses propres moyens. Deux procédures sensiblement similaires sont donc à distinguer, d’une part le droit au logement (DALO), d’autre part le droit à l’hébergement (DAHO). Si l’irrégularité du séjour n’empêche pas d’accéder au dispositif du droit à l’hébergement, il n’en va pas de même de l’accès au droit au logement, non traité par cet article.
Le droit à l’hébergement ne prévoit aucune distinction entre les étrangers en situation régulière et les « sans-papiers ».
Concrètement, toute personne, qu’elle soit en situation régulière ou non, a la possibilité d’introduire un recours préalable auprès d’une commission de médiation afin de demander un hébergement… mais en cas de carence de la Commission, l’étranger en situation irrégulière ne pourra pas, au regard de la position du Conseil d’État évoquée précédemment, invoquer utilement son droit devant les tribunaux en dehors de circonstances exceptionnelles, ce qui concrètement vide le droit à l’hébergement des sans-papiers de sa substance.
La Commission doit être vue comme l’ultime recours pour accéder à un hébergement, nécessitant ainsi de la part des requérants l’entreprise de démarches préalables. Pour autant, l’appréciation de ces démarches reste assez floue et la jurisprudence en la matière imprécise. Si les commissions veillent à ce que les demandeurs d’asile aient procédé à la mise en place de démarches visant à l’admission en CADA, la question du recours au 115 reste par elle-même extrêmement sensible, dépendant de la demande initiale déposée par le requérant. En effet, si le recours a pour objet une place dans une structure d’hébergement d’urgence, l’appel au 115 resté sans suite peut constituer à lui seul une démarche préalable. En revanche, l’appel au 115 ne sera pas considéré comme suffisant si le recours a pour objet un accueil dans une structure d’hébergement hors urgence, un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale.
Un recours contentieux peut être ouvert si le requérant n’a pas reçu dans les délais de 6 semaines une proposition d’hébergement adaptée à sa situation. A la suite de ces 6 semaines sans réponses, le requérant dispose de 4 mois pour exercer ce recours devant le Tribunal Administratif. Ce dernier dispose de 2 mois pour se prononcer. Et pourra ordonner au Préfet d’attribuer un hébergement au bénéficiaire au titre du DAHO. Il est possible de déposer en parallèle un recours indemnitaire.
Le nombre de places d’hébergement disponibles est inférieur au nombre de sans abris, ce en dépit des quelques places supplémentaires ouvertes chaque année. Cette insuffisance touchant l’un des besoins les plus fondamentaux de l’être humain, celui de disposer d’un toit le protégeant, à tout le moins, des intempéries, il appartient aux juges de défendre le principe d’inconditionnalité, inscrit dans le droit français mais également dans la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France. La prise en compte par le Conseil d’État, dans ses dernières décisions, d’un “principe de réalité” peut interroger, dans la mesure où le rôle de cette juridiction est de statuer “en droit”, et non “en fait”, le droit ayant vocation à améliorer la réalité, non à en déplorer les limites.