N°130

Notes de lectures

Accueillons les migrants ! + La France qui accueille

par Abdellatif CHAOUITE

Accueillons les migrants !
Xavier Emmanuelli
L’Archipel, 2017

La France qui accueille
Jean-François Corty & Dominique Chivot
Les Éditions de l’Atelier, 2018

C’est ce qu’on pourrait intituler Parler en connaissance de cause ! Xavier Emmanuelli a été cofondateur de Médecins sans frontières, ancien médecin-chef de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, fondateur du Samu social et secrétaire d’État chargé de l’action humanitaire d’urgence. Il préside actuellement le Samusocial international. Une longue expérience donc de l’humain et de l’humanitaire qui ne peut que sensibiliser au sort de ces hommes, femmes et enfants « jetés sur les routes, par milliers » à braver les pires dangers, avec l’espoir de rejoindre une terre d’accueil. X. Emmanuelli lance un appel (à l’exemple de l’Abbé Pierre en 1954) en faveur de ceux qui ne sont plus qu’un « flou des mots » : ces « « clandestins », demandeurs d’asile, « déplacés », « exilés », « expatriés », « illégaux », « immigrés », « migrants », « réfugiés économiques ou de guerre », « sans-papiers »... » fuyant souvent les pires cauchemars comme expulsés « de leur propre existence ». Mais dont personne ne semble vouloir comme s’ils incarnaient « le chaos du monde ». Et sans doute l’incarnent-ils réellement, car « le monde entier s’est mis en route » avec eux, un mouvement qu’aucun mur ne saurait arrêter.
Nous devons donc les accueillir, « Parce que les drames ne sont pas fictifs » malgré leur banalisation sur les écrans ; « Parce que nous sommes face à un phénomène irréversible » (un nouveau chapitre de l’histoire du monde) ; « Parce que les réfugiés vont continuer à mourir » soumis à des moyens de déplacement arbitraires et dangereux ; « Parce que les camps des réfugiés dans le monde sont un enfer » ; « parce que les frontières seront toujours poreuses »...
Nous devons les accueillir, mais comment ? Là, étrangement, les solutions avancées par X. Emmanuelli ne semblent pas apporter de propositions autres que celles déjà en cours, qui participent du problème au lieu de le résoudre : « les impératifs pourraient se résumer en quatre points : sélectionner les migrants avant leur arrivée dans le pays d’accueil, traiter en priorité les cas des personnes en urgence humanitaire, mettre en œuvre un système vraiment efficace d’accueil et d’intégration des réfugiés, et renvoyer les personnes n’ayant pas obtenu le droit d’asile » ! Plus loin : « Bien qu’un tel mot soit difficile à prononcer dès qu’il s’agit d’être humains, il est impératif de réaliser un « tri » des migrants, en fonction de critères pas uniquement émotionnels, mais utilitaires » !... Autrement dit « Accueillons » mais de manière conditionnelle !... Une vieille rengaine politique. L’humanitaire ici renverse simplement les « critères » du « trier » : il ne retient pas les « utiles » mais les « plus mal en point »… en attendant que les autres le deviennent ?...

Tout aussi médecin et engagé dans dans l’action humanitaire, Jean-François Corty dirige les opérations internationales à Médecins du Monde. Il est également diplômé en sciences politiques. Avec Dominique Chivot, journaliste, ils portent un autre regard sur ces questions dans la France qui accueille. Face aux mêmes constats et aux mêmes politiques, insuffisantes et inadaptées à la question migratoire, en France comme en Europe, ils ne s’envasent pas dans la définition des « critères » pour « trier » les migrants, mais s’intéressent aux initiatives et actions concrètes des acteurs qui font « La France qui accueille » : associations, collectifs, citoyens anonymes ou élus locaux, mobilisés pour accueillir, de manière légale ou non, ces damnés de la terre d’aujourd’hui. Les protéger mais aussi les aider dans leurs parcours et leurs droits à être informés et soignés. Ces initiatives sont aujourd’hui nombreuses, mais le livre ne s’arrête que sur quelques expériences significatives : des « irréductibles » de la Roya aux mobilisations sur les campements Porte de la Chapelle à Paris, en passant par des « maires hospitaliers » comme à Grande-Synthe… Les auteurs rappellent qu’« Alors que l’Allemagne s’est mobilisée pour accueillir plus d’un million de personnes, la France ne s’est contentée d’en accepter dignement que quelques milliers. Les limites du dispositif mis en place trahissent la frilosité de nos dirigeants et suscitent la perplexité vis-à-vis de leurs convictions. Ne pas répondre de manière adaptée, même partiellement, à un défi sanitaire qui touche la vie de milliers de personnes en dit long sur l’absence de volonté politique. Est-il moralement acceptable de laisser ainsi tant d’hommes et de femmes en danger ? ». Aussi, tourner le regard vers les savoir-faire des acteurs de la société civile, c’est montrer qu’un vrai accueil est possible, mais que ces « initiatives ne sont pas suffisamment valorisées. Au contraire, criminaliser les aides aux réfugiés revient à porter atteinte à la société civile. ».

Abdellatif Chaouite