N°130

Culture

Migration, la société civile en mouvement

Entretien avec Maelle Boudet

Adhérente à Médecins du Monde Maelle Boudet est une des responsables des Etats Généraux des Migrations de l’agglomération lyonnaise (EGM). Les Etats généraux des Migrations sont impulsés par plusieurs centaines d’associations nationales qui disent leur solidarité avec les migrants et leur refus de la politique française. Les 25 et 26 mai les Etats Généraux se sont réunis à Paris après plus de 120 réunions locales. Un réseau national se tisse pour refuser et organiser le refus de la politique policière de Gérard Collomb et d’Emmanuel Macron.

Pourquoi et comment t’es tu investie dans Médecins du Monde ?
Maelle Boudet : C’est durant mes 8 dernières années en expatriation que j’ai découvert Médecins du Monde. Je me sens proche de son mandat et des problématiques, très transversales, d’accès aux soins. Cela nécessite une approche intersectorielle et de plaidoyer dans laquelle Mdm ne craint pas de s’engager. C’est une des rares ONG humanitaires à entreprendre des campagnes de plaidoyer qui visent à sensibiliser l’opinion et influencer les politiques publiques en France.
L’ONG a souhaité s’engager sur la thématique des migrations en s’inscrivant dans le processus national de concertation et de plaidoyer des EGM. J’ai donc représenté Mdm aux EGM de Lyon et organisé avec d’autres bénévoles l’implication de Mdm au sein du mouvement.
Ayant vécu en Grèce, au Liban et en Jordanie, je suis très sensibilisée à la cause des exilés. Cela ne fait pas de moi une experte des migrations mais depuis ces 3 pays, j’ai beaucoup appris sur les politiques européennes et mieux cerné les enjeux et difficultés.
Convaincue des idéaux et de la pertinence du processus lancé par les EGM, je me suis impliquée à titre personnel dans la coordination de l’événement à Lyon.

Pourrais tu nous expliquer comment est née la dynamique des ÉTATS GENERAUX des MIGRATIONS qui regroupent plus de 500 associations d’aide aux migrants à travers toute la France ?
MB : 470 organisations ont lancé les EGM en novembre dernier (organisations locales et nationales, issues de l’immigration ou non, intervenant dans des domaines aussi variés que l’urgence humanitaire, l’accès aux droits fondamentaux, l’enseignement du français ou l’échange interculturel) en réaction au refus du gouvernement de répondre à leurs demandes répétées de consultation pour la construction d’une politique qui coïncide avec les besoins réels des personnes étrangères, des structures qui les accompagnent et aux aspirations des citoyens.
Décidés à faire entendre leur voix, l’appel à été lancé à l’ensemble des organisations de France. Les EGM sont donc un processus de concertation, de construction et de plaidoyer qui vise en quelque sorte à organiser la résistance contre les politiques migratoires et de non-accueil adoptées par la France et l’Europe. Les EGM entendent d’une part proposer une alternative respectueuse des droits des personnes étrangères mais aussi rétablir le déficit démocratique sur ces questions fondamentalement citoyennes.
Des acteurs de nombreux autres domaines ont saisi cette opportunité citoyenne puisque c’est aujourd’hui 1600 organisations qui sont engagées dans le mouvement sur tout le territoire.
Les salariés des structures « d’accueil » des personnes étrangères, des structures d’hébergement, les syndicats, les professionnels du droit, les collectifs citoyens, les artistes, chercheurs et j’en oublie sont venus s’associer à l’initiative.
Apportant leurs expériences et expertises complémentaires sur les thématiques liées à la migration, ces acteurs ont participé aux consultations citoyennes organisées sur tout le territoire.
Ces 106 premières assemblées locales ont contribué à dénoncer les situations inacceptables engendrées par les « durcissements » des politiques migratoires françaises de ces 40 dernières années, créer un contre-pouvoir face au projet de loi actuellement à l’étude au Sénat et enfin construire collectivement des propositions pour une politique alternative qui mette définitivement fin à ces situations. Une alternative est plus que souhaitable, elle est un devoir, elle est possible et nous devons le démontrer !

L’expression États généraux est une expression forte qui induit une double perspective une forte mobilisation des citoyens mais également une volonté de changement de politique...?
MB : Oui, pour le changement politique que nous souhaitons, nous avons besoin du soutien de l’opinion publique. Sur des thèmes sociétaux de cette ampleur, l’implication des citoyens dans la prise de décision ou a minima leur consentement informé sur les politiques adoptées est essentiel ! Il s’agit d’un projet de société !
L’enjeu c’est donc d’abord de rétablir l’information, la diffuser, la communiquer le plus largement possible et de la meilleure manière afin de sensibiliser les différents publics dans toute l’agglomération.
Le rassemblement d’acteurs de domaines très variés dans les EGM et leur participation à la consultation citoyenne organisée le 28 avril a permis d’apporter informations, expériences et expertises complémentaires sur les thématiques abordées, et ainsi d’offrir aux citoyens une vision globale et réaliste sur ces thèmes.
12 thématiques, dont l’hébergement, la prise en charge des mineurs, la situation des femmes migrantes, l’accès au travail, le délit de solidarité etc…. ont été abordées en groupes de discussions animés par des acteurs ayant une connaissance juridique et de terrain sur le sujet.
Ces ateliers sont l’occasion de dévoiler la réalité des violences que cachent les termes de « durcissement », « hotspots », « droit d’asile effectif », « dispositifs d’accueil », « centres d’hébergement », « privatisation des contrôles », « coopération renforcée avec les états tiers » etc….
Ce matin à la radio une personne du gouvernement se félicitait « des efforts » que déploie la France pour « aller chercher » directement hors d’Europe les personnes « ayant vocation à obtenir l’asile en France ». C’est encore un exemple de langage simplement scandaleux, ces points de blocage et de contrôle hors d’Europe sont mis en place pour intercepter les migrants loin de nos frontières ; les citoyens, qui en sont, rappelons le, les contribuables, n’ont aucun droit de regard sur ces points de contrôle qui sont des zones de non-droit, le théâtre de violences physiques et psychologiques inouïes. Cela va très loin, regardez les scandales d’esclavage en Libye…
Cette hypocrisie est inadmissible, car en cherchant à justifier les politiques que nous condamnons, ces discours manipulent l’opinion publique qui sera à son tour utilisée pour légitimer ces politiques. Un cercle vicieux dangereux.
Les EGM au niveau local doivent donc faire ce travail de déconstruction des discours politiques, rétablir la vérité. Créer un rapport humain entre les citoyens français et les personnes exilées est également une merveilleuse manière de décrédibiliser ces discours pour faire émerger une vision positive des migrations, comme levier de développement et de richesse culturelle.
Ce travail titanesque d’information et de communication pour gagner l’opinion publique est un processus long surtout lorsque les moyens manquent.
Le changement politique dépend aussi de la capacité des acteurs à se mobiliser à des moments clés dans le processus de décision, à des dates symboliques et, plus largement au quotidien, créer des réseaux de militants qui interviennent en soutien aux migrants en situations de crise et peuvent protester publiquement contre ces situations ou créer des relations de confiance avec les décideurs à cette occasion. Notre stratégie de plaidoyer doit s’appuyer sur à la fois de l’expertise, des actions de lobbying, les médias, et la mobilisation citoyenne si l’on veut véritablement infléchir les politiques de durcissement, et faire prendre conscience de l’importance du débat.
C’est une cause qui concerne la société dans son ensemble, elle concerne d’ailleurs les sociétés d’Europe dans leur ensemble, il faut agir sur tous les fronts.
Les EGM sont un processus ouvert à tous, mais à mon sens justement, plus un mouvement est ouvert plus il a besoin de coordination pour réellement exister, se distinguer des membres qui le composent, porter une cause commune. Quand le groupe de facilitation a donné des outils pour des actions de plaidoyer (RDV décideurs, dresser un argumentaire à l’usage des citoyens pour interpeller leurs députés, lancer une mobilisation nationale qui ne soit pas limitée à la capitale, etc…) ce fut trop tard dans le processus décisionnel.
Faire intervenir une trentaine d’assos sur des actions d’influence auprès des décideurs par exemple, à un moment clé du processus, nécessite un travail de planification en collaboration qui prend beaucoup de temps ! Jusque là les actions et outils partagés ont été proposés trop en retard.
Pour un changement politique, c’est à nous de prendre en main cette partie du travail mais c’est un travail de plaidoyer ! C’est un travail à part entière qui nécessite du temps et des moyens, si aucune association ne prend le lead sur des propositions d’actions à entreprendre en commun, si aucune d’entre elles ne dégage les fonds pour un poste pour la planification et la coordination des actions de plaidoyer il sera difficile de maintenir la dynamique des EGM sur le long terme. Les associations sur Lyon, suite à la consultation citoyenne du 28 avril, se sont dispersées et sont reparties dans leurs activités respectives délaissant un peu le réseau EGM. 
Les cahiers de doléances (compte rendu des revendications / propositions constructives de mesures à mettre en œuvre) rédigés lors de cette assemblée locale à Lyon sont le fruit d’un travail, il ne doit pas passer inaperçu. Le remettre au préfet, le diffuser largement aux participants, aux élus et le mettre en ligne paraît être la première étape essentielle pour faire reconnaître notre travail, et même notre existence.
Les associations lyonnaises n’ont pas encore fait cette remise, il serait pourtant plus pertinent de parvenir à faire entendre nos revendications avant que le projet de loi actuellement à l’étude au Sénat, ne soit voté. Car ce projet, qui risque d’être encore durci au Sénat est l’antithèse des politiques que nous souhaitons voir appliquer ! C’est donc le challenge des prochains jours !
Le texte de loi s’il est voté rendra le travail des asso plus impossible qu’il ne l’est déjà, et laissera encore moins de temps aux associations pour sortir la tête de l’eau et faire ce travail de fond….
C’est donc un changement de posture qu’il faut espérer de la part des associations et tous les acteurs d’ailleurs. Puisque rien ne laisse espérer un changement d’approche jusqu’au vote de cette loi, puisque cette loi va extrêmement loin dans le déni de droit et du droit d’asile en particulier, nous pouvons espérer que les associations, partie du processus EGM, renforcent en réaction leur mobilisation et leur collaboration pour se placer dans un objectif de changement radical sur le plus long terme et jouer sur tous les tableaux.

En quelques mots que s’est-il passé sur l’agglomération lyonnaise ? Tout en sachant que plus d’une centaine d’États généraux locaux se sont tenus en France ?
MB : Ce sont d’abord les associations quasi « institutionnelles » dans le domaine qui se sont rassemblées, comme la Cimade, Coordination urgence migrants, RESF, Médecins du monde, Traces, la Ligue des droits de l’homme (…), pour discuter du projet EGM et de la manière dont il pouvait être mené sur l‘agglomération. Le groupe de facilitation national ne proposait qu’un accompagnement très restreint, il appartenait aux organisations locales de délimiter leur mission commune, les objectifs et modes d’actions à mettre en œuvre de manière collaborative.
La tâche étant vaste, les revendications éminemment politiques, le temps et les moyens limités, définir et mettre en œuvre le projet a nécessité des mois de concertation. Les choix se sont faits à l’unanimité. Nous nous sommes mis d’accord sur les situations à dénoncer, avons préparé les pistes de propositions, et d’actions. La participation des partis politiques a été écartée en accord avec la charte des EGM, ce qui a fait débat vous l’imaginez sur un sujet si politique. Mais je pense qu’il était important d’unir les associations et autres acteurs de terrain sans mandat politique dans un premier temps pour nous approprier le projet et faire émerger une vérité et une volonté, celles des acteurs de terrain et citoyens.
Des événements conjoints ont vu le jour sous la bannière des EGM, organisant des conférences-débats sur des sujets précis, comme la rétention ou l’hébergement (Cimade, CUM, amphi Z) événements qui ont rassemblé un grand nombre d’associations, professionnels du domaine et citoyens. Ils ont permis d’engager le dialogue, partager les expériences et les expertises des différents acteurs afin de poser les bases des propositions alternatives à soutenir dans l’agglomération.
Nous avons rassemblé plus d’acteurs autour du projet. Nous avons présenté le projet à des syndicats (CFDT, CGT), des collectifs citoyens (AMIE, Jamais sans toit), des communautés de migrants et les collectifs citoyens les accompagnant (amphi Z), des associations de parents d’élèves, des réseaux de citoyens hébergeurs solidaires (terre d’ancrage, appartage), des professionnels du droit, des professeurs et des chercheurs qui ont souhaité se joindre à l’initiative.
Au final, comparé aux autres assemblées locales, nous avons pu rassembler plus d’une trentaine d’acteurs, représentatifs d’une large partie de la société civile lyonnaise.
Le format EGM au niveau local reste à développer, améliorer et faire connaître.
Nous avons eu des difficultés à rallier les collectifs citoyens au mouvement car ces collectifs très impliqués au quotidien sont des structures très informelles totalement horizontales sans véritable interlocuteur désigné et pas nécessairement intéressées par s’inscrire dans un mouvement structuré.
Les grosses associations nationales présentes en région lyonnaise n’ont pas toujours souhaité se joindre peut-être pour des raisons d’approche politique, bien implantées, elle n’ont pas souhaité s’inscrire dans un processus collaboratif où elles ne maîtriseraient pas toutes les actions politiques. Il faut réussir à maintenir le réseau existant et l’élargir.
Et nous devons maintenant, sur la base des cahiers de doléances réalisés en collaboration, nous inscrire dans une démarche de collaboration politique en commençant pourquoi pas avec les élus des villes accueillantes. C’est en cours.

Quels sont les principaux constats faits sur l’agglomération lyonnaise ? Y a t il des spécificités locales et lesquelles ?
Quelles sont pour vous les principales revendications élaborées par les EGM de Lyon lors de la rencontre du 28 avril ?

MB : J’ai trouvé remarquable l’esprit d’équipe qui régnait entre les associations officiellement impliquées dans les EGM dès le départ. Tous étaient vraiment dans l’écoute et une volonté de construction collective. Les collectifs de soutien aux migrants fourmillent à Lyon et sont très occupés au quotidien, et n’ont pas tous rejoint le processus, mais les acteurs présents à l’assemblée représentaient une part importante de la population de l’agglo.
Les hébergements manquent cruellement à Lyon, pour les centres existants ils se sont peu à peu transformés en centres de tri et les personnes étrangères peuvent chercher à les éviter pour éviter l’expulsion. La circulaire du gouvernement visant à mettre en place des contrôles administratifs dans les centres d’hébergement d’urgence (même si ils ont été déclarés illégaux par le Conseil d’état) reflète la logique de tri et d’expulsion du gouvernement. L’absence d’hébergement est une cause d’exclusion et de précarité mais de nombreux squats ont été évacués, des remises à la rue de familles entières ont lieu ; enfin des millions, 18 je crois, ont été employé à l’installation de systèmes de surveillance au lieu de développer des hébergements, tandis que la Métropole reste sourde aux revendications des associations/collectifs concernant la possibilité de faire des réquisitions de bâtiments vides.
Le droit à l’interprétariat est aussi une revendication majeure des EGM de Lyon. À tous les niveaux dans les procédures administratives et judiciaires, l’absence d’interprétariat est une barrière entravant l’accès aux droits.
En témoigne l’histoire récente d’un migrant mis en prison à l’issue d’un procès qui n’a pas pu être mené dans une langue qu’il comprenait.
Le droit au travail a bien sûr réuni beaucoup de militants autour d’une discussion animée par les syndicats et des migrants eux mêmes. Mais ce n’est pas une spécificité lyonnaise.
En revanche, les acteurs lyonnais ont souhaité faire reconnaître un droit à l’hospitalité, intimement lié au devoir d’accueil. Cette question a réuni un groupe très large lors de l’assemblée locale. Au delà du système légal actuel ne devrait-il pas exister un droit supérieur à l’hospitalité, un droit fondamental. Dans une France qui dresse des murs, pratique le refoulement, interdit par les conventions signées sur le droit d’asile, une France qui pratique le délit de solidarité, poursuit en justice les personnes portant assistance aux étrangers en situation d’extrême vulnérabilité, etc…
Cette question a été débattue et une volonté commune de faire reconnaître un tel droit a émergé.
35% des personnes présentes lors de l’assemblée locale venaient à titre personnel, simplement pour se renseigner, prendre position, bref être à même d’exercer leur citoyenneté tout simplement. Cela démontre que la mobilisation des associations et collectifs, participe assez efficacement à sensibiliser l’opinion publique lyonnaise et les citoyens commencent à s’emparer de la question.

Vous avez participé aux Etats Généraux nationaux de Paris des 25 et 26 mai, quel en est le bilan pour vous ?
MB : C’est un bilan positif, à condition bien sûr qu’il soit considéré comme une base pour renforcer le mouvement et non comme une fin en soi.
Un travail de compilation puis d’analyse a été réalisé par le groupe de facilitation national. Les dénonciations et revendications pour une politique alternative faisant l’unanimité ou presque ont été inscrites dans un manifeste destiné à servir de socle commun. Il a donc été débattu en assemblée plénière à Montreuil, article par article, au vote à main levée. L’adoption des articles et les propositions d’amendements n’ont été acceptées qu’à l’unanimité ou très large majorité.
Dès lors que nous nous sommes mis d’accord sur des principes et des objectifs communs, cette unité doit nous permettre d’augmenter notre capacité à lancer des initiatives conjointes et d’envergure nationale. Bref donner plus de poids à nos revendications et multiplier les interventions et mobilisations citoyennes.
Les différentes missions et modes d’actions à envisager pour la suite des EGM au niveau national ont été abordés dans des groupes de discussions. Ont été exprimés unanimement différents besoins : une collaboration avec le monde de la recherche pour mieux analyser les besoins, mieux argumenter nos propositions, mieux démontrer la nécessité d’une politique alternative ; un travail à mener à tous les niveaux pour approcher et inclure les élus ; une volonté de mobilisation collective nationale à organiser pour s’opposer par exemple à la procédure Dublin ou encore faire évoluer le droit sur la question de l’accès au travail en collaboration avec les syndicats ; déployer une campagne EGM à l’occasion des élections européennes.
Mais aussi des constats communs ont été faits sur le besoin de valoriser le socle commun au niveau national comme la base d’une nouvelle politique d’accueil, tout en gardant une dynamique locale et valoriser les cahiers de doléances locaux ; d’intégrer les personnes étrangères au centre du processus et des décisions (impliquant d’assurer des services d’interprétariat et traduction), et enfin créer des instances EGM.
En effet, cette mobilisation voulue par l’ensemble des acteurs des EGM sur le territoire nécessite de nous mettre d’accord sur des instances pour une meilleure coordination. Quelles instances ? quels rôles ? quelle composition ? enfin quels outils de communication ? un intranet ? Aujourd’hui le système de communication par mail est insatisfaisant. Toutes les initiatives et demandes ne peuvent être adressées et traitées par tous les acteurs…
D’autres rencontres auront lieu pour avancer sur ces points, laissant pour l’instant le champ libre aux assemblées locales pour maintenir leur dynamique et proposer des solutions, pendant que le groupe de facilitation se penche sur des propositions pour le renforcement de notre coordination.

De multiples initiatives en solidarité avec les migrantes et migrants existent. Elles montrent une France plutôt accueillante mais sans , à ce jour, pouvoir réellement changer la politique répressive et inhospitalière du gouvernement. Que faudrait il faire pour obliger à un vrai changement de politique avec les migrants ?
MB : C‘est un vrai travail de plaidoyer qui doit être mis à l’œuvre pour que les initiatives solidaires apparaissent enfin comme la solution aux yeux de la population entière.

  • Collaborer pour se mettre en mesure de constituer un support documentaire, de recherche, une expertise qui permette d’argumenter nos propositions et contre-carrer l’absurdité des discours soutenant les politiques de dissuasion qui sont inefficaces. Rétablir la réalité, partir du constat que les migrations ne sont pas une crise puisqu’elles n’ont rien d’imprévisible et sont vouées à croître.
  • Nous ne sommes pas impuissants face à elle : nous avons les moyens et surtout le devoir d’agir.
  • Identifier les temps forts dans les processus décisionnels, des dates symboliques, des opportunités de mettre le sujet sur le devant de la scène pour relancer le débat.
  • Créer des opportunités et être suffisamment nombreux pour faire l’événement. Rebondir sur l’actualité, s’en emparer, enfoncer le clou, l’épisode récent de l’Aquarius qui a révélé très clairement l’hypocrisie et la lâcheté du gouvernement français, qui refuse même son aide humanitaire à un bateau de 629 migrants au milieu des flots alors chassé de toutes les côtes.
  • Créer une alliance élus / assos pour faire valoir nos visions politiques, des rencontres ont lieu actuellement pour constituer un réseau de villes accueillantes.
  • Faire émerger une vision positive des migrations comme levier de développement et déconstruire les discours actuels.
    Les pistes sont nombreuses, il est difficile d’agir sur tous les fronts, nous devons nous concerter pour faire le choix de nos priorités et nos modes d’action et rester mobilisés dans la durée. Au vu de l’absence de volonté au niveau français et européen de travailler à des politiques, une chose est sûre : la route est encore longue, la loi actuellement au Sénat est un recul important pour les droits des personnes migrantes, son passage ne doit pas nous décourager. Puisqu’elle est vouée à accroître le nombre des situations inacceptables, nous pouvons penser qu’elle participera à renforcer l’opposition.

APPEL DE SAINT-MALO

Face au désastre humanitaire qui accompagne des migrations d’une ampleur sans précédent, les surenchères répressives qui tiennent lieu de politique des migrations sont un déni de réalité. Les écrivains, artistes et réalisateurs réunis à Saint-Malo appellent la Communauté internationale à mettre en place une gouvernance mondiale nourrie de nos traditions multiséculaires et de nos imaginaires. L’urgence est à la construction d’un principe d’hospitalité qui deviendrait opposable aux États. Le point de départ est le constat d’interdépendance. Comme l’a reconnu l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2016 « aucun Etat ne peut à lui seul « gérer des déplacements massifs de réfugiés et de migrants ». Les conséquences, qu’elles soient politiques, économiques, sociales, développementales ou humanitaires atteignent non seulement les personnes concernées et les pays d’origine mais les pays voisins et ceux de transit, ainsi que les pays d’accueil. »
Comme pour le climat, l’interdépendance appelle un devoir de solidarité qui mobilise de multiples acteurs bien au-delà du dialogue interétatique. Des scientifiques (les climatologues sont remplacés par les démographes et les anthropologues) deviennent lanceurs d’alerte et veilleurs. Des collectivités territoriales (Etats fédérés et grandes villes) s’engagent. Des partenariats s’organisent avec les migrants et les diasporas et plus largement avec la société civile dans sa diversité : ONG et syndicats, citoyens spontanément solidaires malgré les risques de poursuite pénale.

Il reste à mettre en œuvre les responsabilités « communes et différenciées » des États. Communes parce que les objectifs sont les mêmes : des migrations « sûres, ordonnées et régulière ». Différenciées parce qu’elles varient nécessairement d’un pays à l’autre selon des critères à définir : quantitatifs, comme la population, le PIB ou le nombre moyen de demandes ; qualitatifs comme le passé historique ou la situation socioéconomique.
La force et la faiblesse de ce modèle de gouvernance mondiale est qu’il repose essentiellement sur la bonne volonté des acteurs. Pour être efficace, il doit être pleinement reconnu en termes de légitimité. La célébration des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en décembre 2018, est l’occasion de cette reconnaissance. À l’image du développement durable qui a permis de pondérer innovation et conservation, le principe d’hospitalité, régulateur des mobilités humaines, permettrait de pondérer exclusion et intégration et d’équilibrer les droits et devoirs respectifs des habitants humains de la Maison commune.

A l’initiative de
Mireille Delmas-Marty,
Patrick Chamoiseau,
Michel Le Bris