
Le paradoxe et la singularité des langues et cultures amazighes (langues et cultures maghrébines) est d’allier un double mouvement dans leur histoire : de mise « en marge » politico-institutionnelle (Gabriel Camps), et de persistance ou de résistance, à travers cette histoire. Kateb Yacine le disait à sa manière, poétique : « des esquifs désemparés, tout juste capables de flotter sur les lieux de la noyade, sans pouvoir couler avec leurs occupants ». Ils flottent donc mais ne coulent pas, malgré la marginalisation (qui n’est d’ailleurs pas seulement institutionnelle mais a intégré tout un pan des imaginaires et des « opinions » comme on dit).
Pour une partie, importante, on peut faire porter ce « flottement », dans son histoire récente, à un mauvais choix fait au moment des indépendances : « le mouvement de libération nationale n’a pas su résoudre la question nationale, ni même su ou voulu la formuler correctement » dans les pays du Maghreb. Même si les réponses n’ont pas été les mêmes, elles ont enfourché le même impensé historique imposant une « ignorance institutionnalisée » (Mohammed Arkoun) dont nous payons aujourd’hui les conséquences : une sorte d’« imposture » donc. Elle a fait du Maghreb un appendice du « monde arabe » dans le déni de sa singularité plurielle historique où les greffes des langues-cultures de la Méditerranée (phénicienne, latine, arabe, française, etc.) ont trouvé terre d’accueil, forgeant notamment à travers les siècles les parlers maghrébins (sortes de « créoles » qu’on appelle ddarija), sans éliminer les langues-cultures historiques locales (les langues-cultures amazighes).
Ce temps ne semble plus possible : le « printemps berbère » (1980) en Algérie, précédant le « printemps arabe », a remis sur la sellette l’exigence d’une vérité historique comme cadre premier de toute avancée démocratique. D’où les « officialisations constitutionnelles » de la langue amazighe en Algérie et au Maroc. A condition que ce ne soit pas de simples « soins palliatifs », il y va du devenir démocratique des pays du Maghreb, lequel passe par « la nécessaire libération des esprits pour changer la perception que nous avons de notre passé ». C’est le sens de l’initiative entreprise dans ce livre : un jalon sur le chemin qui monte vers plus de liberté.
Abdellatif Chaouite