N°128

Notes de lecture

Regards sur l’interculturalité, un parcours interdisciplinaire

Patrick Suter, Nadine Bordessoule-Gilliéron & Corinne Fournier Kiss

par Farid RIGHI

Patrick Suter, Nadine Bordessoule-Gilliéron & Corinne Fournier Kiss (dir),
Editions MetisPresses, Genève, 2016.

Regards sur l’interculturalité, un parcours interdisciplinaire est un ouvrage que l’on peut qualifier d’essentiel pour ne pas dire majeur car c’est une véritable balade pédagogique qui nous invite à déconstruire nos idées souvent exposées aux pièges de la culture et aux logiques identitaires. Il donne de multiples repères permettant de saisir les notions de Culture, de diversité culturelle, de transculturalité et d’interculturalité à partir de différents ancrages disciplinaires (sociologiques, anthropologiques, droit international et histoire). L’ambition de rendre accessible des phénomènes complexes en fournissant des outils et des grilles de lectures variées est le pari réussi des auteurs.

En effet, une première partie épistémologique permet de saisir les approches référentielles de la notion de culture dans les diverses approches anthropologiques (de l’évolutionnisme au post modernisme en passant par le structuralisme) à partir des figures principales de cette discipline. L’intérêt de cette partie est de nous sensibiliser à l’entrecroisement et à l’interdépendance nécessaire des approches envisagées. En suivant le raisonnement proposé et en le replaçant dans un contexte de mondialisation, d’accélération des mobilités, de possibilités de connexions multiples, nous suivons et saisissons les enjeux du débat des « nouvelles » notions : multiculturalité, transculturalité et interculturalité. Cette partie éclaire également, dans une perspective historique et psychosociale, sur la construction de l’autre en mettant en évidence l’émergence du racialisme et en démontrant que le racisme est d’abord un fait d’institution introduit par une figure d’autorité, à travers l’exemple de l’expérience de madame Eliott, institutrice dans une petite ville américaine dans les années 40, voulant sensibiliser les élèves à la question du racisme.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux espaces d’interculturalité ou s’expérimentent et s’éprouvent les relations culturelles. Des champs divers sont présentés et étudiés en repérant les obstacles pour la mise en œuvre d’une politique interculturelle, notamment la prise en compte de cette dimension dans les projets urbanistiques. L’étude des textes et conventions établis par l’UNESCO démontre qu’a travers l’invention de la diversité culturelle, notion devenue pilier du droit international, l’interculturalité est seulement au seuil de la normativité. Les deux autres terrains proposés sont l’école et l’hôpital. L’école se heurte à la difficulté de construire un récit national commun avec les descendants des immigrés à partir d’un passé colonial non assumé. L’enjeu est d’être dans une réelle éducation interculturelle, levier d’éducation et d’apprentissage pour les élèves. Enfin, pour l’hôpital, dans le contexte suisse, la prise en compte de la différence culturelle dans l’activité soignante, à travers l’analyse de séquences d’enregistrements entre migrants et personnel soignant permettant d’analyser les discours en action, est construite à partir de catégories vagues, floues, ou tout simplement non construite, et donc non prise en compte.
La dernière partie est l’analyse d’un autre « espace » d’interculturalité : l’espace de fiction ou s’inventent des modèles transculturels dans les interactions entre individus, véritable source d’inspirations pour les modèles sociaux actuels.
Au final, la lecture de cet ouvrage est passionnante, car elle permet de se saisir d’une question sous-jacente : l’interculturalité comme pensée complexe peut-elle être un levier de (re)conquête de nos démocraties et d’une citoyenneté renouvelée ?

Farid Righi