AFROPEA
Utopie post-occidentale et post-raciste
LÉONORA MIANO,
ED. GRASSET 2020

Léonora Miano nous offre avec son livre des pistes, des perspectives pour sortir des enfermements identitaires. C’est un livre politique et culturel qui s’attelle à la tâche de définir l’Occident et l’occcidentalité, et à refonder l’africanité à travers l’histoire en reprenant en exergue une citation d’Édouard Glissant : « l’Occident n’est pas dans l’Ouest, ce n’est pas un lieu c’est un projet ».
Léonora Miano est née en 1973 à Douala au Cameroun. Elle obtenu en 2006 le prix Goncourt des lycées pour Contours du jour qui vient, le prix littéraire d’Afrique noire en 2011 pour l’ensemble de son œuvre et le prix Femina en 2013 pour La saison de l’ombre.
Elle fait partie de cette génération de femmes qui ne veut surtout pas nous faire croire que les lendemains « font chanter » mais que les lendemains doivent voir enfin la couleur de l’égalité, de la dignité et la fraternité. Elle a demandé et obtenu la nationalité française à la naissance de sa fille pour « avoir une même nationalité » car le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité. Elle explique qu’elle pense en français, ressent en douala et rêve en trois langues : français, douala et anglais.
Le titre de son ouvrage trouve sa source dans la présidence de N.Sarkozy qui a « ouvert les vannes d’une parole raciste jusque-là plus inhibée ». Il devint pour elle nécessaire « d’appréhender cet impensé qu’est la présence afropénne ». Elle a voulu nommer les concernés pour souligner l’expérience afrodescendante sur le sol européen, mais « je ne souhaitais pas souscrire à une terminologie raciale. Si sa valeur politique est attestée, elle reste impuissante à dire les humains, à faire en sorte que l’on se reconnaisse en eux ». Le nom AFROPEA a été choisi dans cette perspective. Ce nom va être rejeté, parce que perçu comme un renoncement, dans une partie de ce qu’elle nomme la « Noirie » (« terme ironique mais néanmoins affectueux que j’emploie dans mes romans ») ; car « il existe désormais chez les subsahariens et les afrodescendants, des racialistes convaincus, de hauts gradés de l’essentialisme, lesquels omettent un peu vite que ces conceptions ne font pas partie de la vision du monde qu’avaient ces ancêtres subsahariens auxquels ils vouent un culte ». L’enjeu de ce livre est entre autres dans cette description de l’état des faux débats qui nous envahissent, des allumeurs de brasiers de toutes sortes qui pullulent actuellement.
L’intérêt du livre réside également dans le retour à l’histoire de l’esclavage et du colonialisme. L’auteure y rend hommage à Christine Taubira pour la page ouverte par la reconnaissance de l’esclavage comme un crime contre l’humanité. En quelques lignes et pages, Léonara Miano propose de réfléchir collectivement à la restitution des biens spoliés en Afrique durant le colonialisme et à la valorisation de celles et ceux qui ont refusé l’esclavage, qu’ils soient africains ou européens, mais d’abord les esclaves eux-mêmes : « le monde vers lequel nous désirons nous acheminer exige cette mutation ». Contre Colbert elle propose de rendre hommage à Pierre Delgres qui a lutté contre le rétablissement de l’esclavage par Napoléon et notamment à sa déclaration du 10 mai 1802 : « A l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir. C’est dans les plus beaux jours d’un siècle, à jamais célèbre par le triomphe des Lumières et de la philosophie d’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir, que se voit obligé de lever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître, lorsqu’elle aura disparu, son innocence et ses malheurs... ». C’est ainsi que nous pourrons sortir de l’occidentalité.
Ce livre important nous dit, en plus de 200 pages, les conditions de la réalisation d’une politique de la relation prenant appui sur une poétique de la relation, il casse les barrières identitaires en expliquant la multiplicité de leurs enfermements et des échecs déjà subis par cette idéologie.
Bruno GUICHARD