Marseille 73,
Une histoire française
DOMINIQUE MANOTTI
ÉDITION LES ARÈNES, 2020
Pour les anciens, et surtout ceux qui ont été proches des luttes des immigrés en France, 1973 est une année noire. Au niveau étatique, arguant de la crise économique, l’exécutif venait de décider de contrôler le flux migratoire par la circulaire dite Marcellin-Fontanet qui exigeait un contrat de travail et un logement décent pour l’obtention d’un titre de séjour. De fait, beaucoup de travailleurs immigrés sont devenus des clandestins menacés d’expulsion. Suite à l’assassinat d’un conducteur de bus par un Algérien, qualifié de malade mental par la presse, le gouvernement algérien décide, le 19 septembre 1973, de suspendre l’émigration de main-d’œuvre. La France avait connu une série d’assassinats ciblés sur des Arabes, surtout des Algériens. On les tirait à vue, on leur fracassait le crâne. En six mois, plus de cinquante d’entre eux ont été abattus, dont une vingtaine à Marseille, épicentre du terrorisme raciste. C’est l’histoire vraie, onze ans après la fin de la guerre d’Algérie. Les anciens de l’OAS venaient d’être amnistiés et beaucoup d’entre eux ont été intégrés dans l’appareil d’État et particulièrement dans la police. Parallèlement, certains d’entre eux créent l’Union des Français Repliés d’Algérie (l’UFRA). Le 5 octobre 1972 avait eu lieu le congrès constitutif du Front National pour l’unité française, communément appelé Front National. Des individus qui avaient mal avalé la fin de la colonisation avaient appelé à plastiquer les institutions représentant l’État algérien. L’extrême gauche post-68, encore vivante à l’époque, les associations de solidarité avec les travailleurs immigrés, des avocats et des journalistes engagés, s’étaient mobilisés à l’époque. Ce fut aussi la naissance du MTA, le Mouvement des Travailleurs Arabes
Dans Marseille 73, passionnant polar, à dominante politique, Dominique Manotti revient sur les agressions et les meurtres de Maghrébins qui ont eu lieu dans le sud de la France pendant cette période. Elle construit une fiction à partir de faits réels sur lesquels elle s’est très bien documentée, comme à son habitude. Son personnage fétiche, le commissaire Théodore Daquin est dégoûté par l’atmosphère raciste de la ville de Marseille. Il pense venir à bout d’une enquête sur l’assassinat odieux d’un jeune dans une cité et quitter la ville ensuite. Dans son fief de la Criminelle, ou l’Évêché, il s’entoure de deux inspecteurs de confiance, un Marseillais pur jus, qui connaît bien le milieu et un jeune qui vient d’arriver du Sud-Ouest. Des personnages que beaucoup de vieux Algériens pourraient qualifier de « vrais Français », pour les distinguer de ceux qu’ils ont eu à connaître pendant la guerre d’Algérie. Leur enquête s’oriente progressivement vers le milieu proche des anciens de l’Algérie Française. Rares sont les écrivains en France qui, comme Dominique Manotti, ont le courage d’aborder des sujets aussi graves et de les traiter avec autant de talent.
Abdelkader Belbahri