N°135

Dossier : Arcanes de la haine, Racisme et cætera...

Audition de Danièle Lochak du GISTI, par la Mission d’information sur l’émergence des différentes formes de racisme le 24 septembre 2020.

par Danièle LOCHAK

Le 24 septembre 2020, Danièle Lochak, professeure émérite de droit public et présidente honoraire du GISTI a été auditionnée par la « Mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter ». Dans son exposé, Madame Lochak a présenté une analyse de la législation relative aux étrangers et des pratiques constatées de la part des autorités publiques, démontrant en quoi une grande partie des inégalités de traitement fondées sur la nationalité constituent en fait des discriminations fondées sur les origines, voire des discriminations raciales. La réaction, agressive, du président de la mission, partisane et insultante vis-à-vis de l’intervenante comme du GISTI qu’elle représentait, a soulevé beaucoup de débats et de réactions [1] .
Avec l’aimable autorisation de Madame Lochak, nous reproduisons ci-dessous le texte qu’elle avait préparé en vue de cette audition. Il comporte des développements complémentaires par rapport à son intervention orale, qu’il nous a semblé intéressant de reproduire en raison de leur valeur informative [2] . Elle démontre comment la législation relative aux étrangers construit ces derniers en « corps d’exception » et comment ce traitement a des effets, au-delà des « étrangers » mêmes, sur leurs descendants.

Je vais vous parler des étrangers, puisque le Gisti a pour objet de faire reconnaître et respecter les droits des étrangers sur la base du principe d’égalité et de combattre toutes les formes de discrimination à leur égard.

On pourrait donc penser que je vais vous parler de xénophobie plus que de racisme. Mais, au sens large (récusé il est vrai par Dominique Schnapper dans son audition), la xénophobie est bien une forme de racisme, d’exclusion de l’autre, différent de soi (différent ici par la nationalité). Et surtout, le racisme, cette fois au sens strict, est bien presque toujours là, de plus en plus du reste, sous-jacent au traitement réservé aux étrangers. Parce que le rejet, la « phobie » des étrangers n’est plus, comme elle a pu l’être dans le passé, générale mais ciblée, elle ne vise pas indistinctement tous les étrangers. Elle est, si je peux dire, sélective, s’adressant prioritairement et parfois exclusivement à certaines catégories d’étrangers, en fonction de leur origine plus que de leur extranéité : Noirs, Arabes, musulmans, issus de l’immigration coloniale. Et pour cette raison, elle poursuit les descendants d’immigrés, alors même qu’ils sont devenus français. Les textes et les pratiques discriminatoires, de même, visent prioritairement voire exclusivement certaines catégories d’étrangers : celles que je viens de citer.
La manifestation la plus palpable de cette différenciation fondée sur l’origine plus que sur la nationalité, c’est la mutation opérée avec l’instauration de la citoyenneté européenne qui a déplacé la ligne de partage entre « nous » et « les autres ». Mais il y en a d’autres, bien sûr, comme le sort différent réservé à ceux qu’on soupçonne de venir chez nous poussés par la misère, les persécutions ou l’absence de perspectives de pouvoir mener une vie normale – et les étrangers qui viennent de pays où l’on vit bien.
Je me propose d’analyser ce qui, dans la politique, la législation et les pratiques administratives, ainsi que dans le discours qui les sous-tend, est porteur de discrimination à l’encontre des étrangers et entretient xénophobie et racisme, en examinant successivement :
1. L’obsession du « risque migratoire » et une législation articulée autour de la répression et de la suspicion qui confortent la stigmatisation des étrangers
2. La politique de la nationalité, reflet des polémiques récurrentes sur l’identité nationale
3. Les discriminations directement ou indirectement fondées sur la nationalité
4. La dénégation de la citoyenneté : d’une exclusion fondée sur la nationalité à une discrimination fondée sur l’origine

L’obsession du « risque migratoire » et une législation
articulée autour de la répression
et de la suspicion confortent la stigmatisation des étrangers

La législation non seulement reflète les stéréotypes négatifs mais elle contribue à les conforter. On encourage ainsi la xénophobie et le racisme à la fois dans la population générale et parmi les agents de l’administration, à commencer par ceux qui sont au contact avec les étrangers, dont les policiers. Ceci contribue à forger au sein de l’appareil d’État une forme de xénophobie institutionnelle.
• L’image de l’étranger qui se dégage du Ceseda intègre toutes les inquiétudes et tous les fantasmes qui s’attachent aujourd’hui à la personne de l’étranger. Au risque classique pour la sécurité est venu s’ajouter le risque migratoire puis le risque pour l’identité nationale. En ressort la vision d’un être dangereux, délinquant en puissance, mais aussi fraudeur, polygame, machiste, violent, qu’il convient d’éduquer en lui inculquant les « valeurs de la République ».

L’étranger menace pour l’ordre public  : la notion d’ordre public irrigue aujourd’hui l’ensemble du Ceseda. Elle y apparaît sur un mode répétitif, tout au long du texte, et bien au-delà de l’hypothèse de l’expulsion. Pour beaucoup des catégories d’étrangers visées, la probabilité qu’ils représentent une menace pour l’ordre public est en réalité infime. A quoi peut alors servir cette référence réitérée comme un leitmotiv à l’ordre public, sinon à ancrer dans les esprits l’idée que l’étranger est par hypothèse dangereux, même si ce danger n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier son expulsion ?

L’étranger fraudeur : les étrangers sont suspectés de vouloir tourner les lois en se réclamant d’une qualité usurpée : très tôt, après la fermeture des frontières à l’immigration de main-d’œuvre, en 1974, on a vu ainsi l’administration faire la chasse aux « faux réfugiés », aux « faux étudiants », aux « faux touristes », puis aux « conjoints de complaisance » et mettre systématiquement en doute la réalité des craintes de persécution, la réalité et le sérieux des études, la réalité des liens familiaux. La suspicion qui sous-tendait les pratiques administratives imprègne aujourd’hui la législation elle-même, qui porte la marque de cette défiance systématique envers les étrangers, soupçonnés de détourner les textes ou les institutions à leur profit pour obtenir des avantages indus. Le soupçon pèse particulièrement sur les conjoints de Français et les parents d’enfants français, au point d’avoir érigé en délit le « mariage de complaisance » et la « reconnaissance de complaisance » lorsqu’ils visent exclusivement à obtenir un droit au séjour ou un accès facilité à la nationalité française. Des délits sélectifs, puisqu’ils laissent hors de leur champ, par exemple, les fonctionnaires qui se sont mariés uniquement pour bénéficier de la « loi Roustan » sur le rapprochement des époux ou tous les hommes, nombreux, qui reconnaissent un enfant qui n’est pas biologiquement le leur, pour des raisons dont ils restent seuls juges.

• L’étranger polygame :
le mot « polygame » ou l’expression « vivant en état de polygamie » reviennent dix-neuf fois dans le Ceseda. Il est clair que cette façon de toujours mettre au premier plan la polygamie dès qu’on parle d’immigration, comme si les deux phénomènes étaient nécessairement liés – alors que la polygamie ne concerne qu’une très faible fraction des étrangers résidant en France et reste cantonnée à certaines communautés –, n’est ni innocente, ni indifférente : accorder une importance disproportionnée à un phénomène statistiquement marginal, c’est céder à la facilité démagogique sachant que, à force de brandir à tout bout de champ le spectre de la polygamie, on accrédite dans l’opinion l’idée que les immigrés ne sont décidément pas intégrables.

L’étranger violent et exciseur : Dans la loi de 24 juillet 2006, les parlementaires ont tenu à préciser que la personne condamnée pour avoir commis sur un mineur de quinze ans des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente – ce qui vise concrètement l’excision – ne pourrait se voir délivrer de carte de résident. Or la condamnation pour crime ne laisse guère de chances d’obtenir un titre de séjour. Ici encore, l’effet sinon le but de la disposition ajoutée est bien de stigmatiser un peu plus les étrangers.

Un être machiste et irresponsable qu’il faut éduquer aux valeurs de la République : dans les obligations imposées à l’étranger ou dans le descriptif du contrat d’intégration on voit se dessiner en creux ce qui manque potentiellement à l’étranger et les gages qu’il doit donner pour obtenir un droit au séjour durable. L’image dominante qui ressort des textes, c’est bien celle du musulman qui opprime son épouse. Et les valeurs de la République qu’il faut lui inculquer s’énoncent ainsi : liberté, égalité, laïcité.

• Par ailleurs, la politique du chiffre en matière d’éloignements, conjuguée avec l’extension des possibilités d’interpellation pour vérifier la détention d’un titre de séjour, conduit inexorablement aux contrôles au faciès, théoriquement interdits mais toujours difficiles à prouver, en vue de repérer les sans-papiers.
• Enfin, la minorité des jeunes étrangers isolés est systématiquement mise en doute et ils sont ainsi exclus des circuits de l’aide sociale à l’enfance – quand ils ne sont pas désormais poursuivis pour fraude – et le cas échéant reconduits à la frontière.

journal du GUSTI
journal du GUSTI

La politique de la nationalité,
reflet des polémiques récurrentes sur l’identité nationale

La législation et les pratiques administratives relatives à l’acquisition de la nationalité reflètent elles aussi, en même temps qu’elles les renforcent, les préjugés à l’encontre de la population immigrée ou issue de l’immigration, présumés non intégrable, même lorsqu’il s’agit de personnes nées en France. La place jugée excessive de l’immigration non européenne, autrement dit « colorée », et souvent musulmane, est censée représenter une menace pour l’identité nationale. Sont plus particulièrement ostracisés les descendants des anciens colonisés, au point qu’on peut y voir une forme d’inconscient raciste postcolonial.
Les polémiques sur l’identité nationale – une première fois dans la période 1986-1993, puis à nouveau à partir de 2003 avec comme point culminant le grand débat sur l’identité nationale initié par Éric Besson – ont laissé des traces. À vingt ans d’intervalle, on a vu surgir le thème de l’identité nationale. Une vision ethnicisée de l’identité nationale a servi d’argument, dans les années 1980, pour réclamer et finalement obtenir en 1993 une réforme du code de la nationalité rendant moins aisé l’accès à la nationalité française, notamment en subordonnant à une « manifestation de volonté » son acquisition, jusque-là automatique à la majorité, par les jeunes nés en France de parents étrangers.
À la fin des années 1990 et au début des années 2000, d’autres syntagmes tout aussi fortement idéologisés ont pris le pas sur l’identité nationale : le « modèle républicain », puis le « modèle d’intégration à la française » et enfin, issu de l’amalgame des deux précédents, l’« intégration républicaine ». Le « modèle républicain » ne correspond à aucune réalité concrète. Il n’est convoqué que pour conjurer le spectre d’un communautarisme largement fantasmé, dont la mise en exergue est une façon de stigmatiser la population immigrée réputée rétive au respect des principes républicains et de la laïcité, qu’on ne peut donc lui inculquer que par la contrainte. Sa consécration législative de ce nouveau syntagme lexical a été opérée par la loi du 26 novembre 2003 qui a subordonné l’accès à la carte de résident « à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française ». Logiquement, les conditions d’acquisition de la nationalité française ont elles aussi été modifiées pour inclure dans la condition d’assimilation l’obligation pour le postulant de « justifier de son adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République ». L’invocation de la République remplit la même fonction que l’identité nationale : elle a pour effet sinon pour objet de maintenir les immigrés et leurs descendants à distance du reste de la société française.

Recul dans l’attribution
de la nationalité française à la naissance

Les conditions d’acquisition de la nationalité française par les jeunes nés en France, telle qu’elle existait depuis 1889, n’a pas été intégralement rétablie par la loi de 1998. Celle-ci a abrogé le système de la « manifestation de volonté » imposée par la loi de 1993. Mais les jeunes concernés ne peuvent désormais devenir français par déclaration qu’à partir de l’âge de 13 ans, alors qu’initialement cette déclaration pouvait être faite par leurs parents dès leur naissance. L’argument avancé à l’époque pour justifier ce dispositif reflète bien la méfiance dont on parlait plus haut : à 13 ans, a fait valoir le Gouvernement, ils ont été scolarisés pendant plusieurs années, donc on peut faire l’hypothèse qu’ils sont intégrés. Or l’acquisition possible dès le plus jeune âge visait précisément à favoriser leur intégration en en faisant des Français comme les autres.

Une application discriminatoire
des critères de naturalisation

Les plus évidentes sont les discriminations fondées sur les ressources et/ou les connaissances linguistiques et culturelles ainsi que sur la religion. Dans la pratique, l’entretien dit d’assimilation cible spécifiquement les personnes de confession musulmane ou présumées telles, soupçonnées systématiquement de ne pas adhérer aux « principes et valeurs essentiels de la République ».
Les lois Sarkozy de 2003 et 2006 et la loi Besson de 2011 ont inclus des dispositions sur la nationalité qui ont clairement pour objet de mettre des obstacles supplémentaires à l’accès à la nationalité française de tous ceux qu’on soupçonne de ne pas être intégrables… ou que l’on ne souhaite tout simplement pas intégrer parce qu’ils ne correspondent pas à l’image que l’on veut promouvoir de l’identité nationale.
Pour remplir la condition d’assimilation le postulant doit justifier non plus seulement de sa connaissance suffisante de la langue française mais aussi de l’histoire, de la culture et de la société françaises et des droits et devoirs conférés par la nationalité française et justifier de son adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République.
Le défaut d’assimilation est de plus en plus souvent invoqué au vu de comportements liés à la pratique de l’Islam : port du foulard ou a fortiori du voile intégral, propos ou mode de vie incompatibles avec les valeurs de la société française, appartenance à des mouvements religieux fondamentalistes musulmans dont les thèses sont jugées incompatibles avec les valeurs républicaines.

marche des solidarités
marche des solidarités

L’entretien d’assimilation, qui vire souvent à l’examen de connaissances de l’histoire, des institutions et de la société française, ainsi que de l’adhésion aux « principes et valeurs essentiels » de la République, comporte surtout des questions pièges portant sur des sujets polémiques lorsqu’on a devant soi des personnes musulmanes. Comme lorsqu’on demande à un postulant (dont le niveau d’étude est peu élevé, mais qui serait capable de le faire au pied levé ?) de donner une définition acceptable des mots « laïcité » et « démocratie » ou lorsqu’on demande à une femme de dire si elle est pour ou contre l’interdiction du foulard à l’école ou l’existence d’horaires séparés pour les femmes et les hommes dans les piscines.

Le traitement discriminatoire des descendants d’anciens colonisés :
un usage contestable de la « désuétude »

Il s’agit d’une question extrêmement complexe sur le plan juridique. Ce qu’on peut en retenir, c’est que, sur la base d’une interprétation des textes très contestable de la Cour de cassation découlant d’une série d’arrêts rendus en 2019, on empêche les descendants d’anciens colonisés de conserver la nationalité française ou de faire la preuve qu’ils sont français, même quand leurs parents, après l’indépendance, le sont restés.
Au moment des indépendances africaines, puis de l’indépendance de l’Algérie s’est posée la question de la conservation ou non de la nationalité française pour les ressortissants de ces territoires. Si le principe retenu à l’époque consistait dans la perte automatique de la nationalité française par les personnes vivant sur un territoire devenu indépendant, des hypothèses de conservation automatique de la nationalité française ont néanmoins été prévues et certaines personnes sont donc restées françaises après les indépendances. Aujourd’hui, les enfants de ces personnes restées françaises revendiquent la nationalité française par filiation. Le sort réservé à leurs demandes, tant par l’administration que par les tribunaux, témoigne d’une volonté de les exclure de la nationalité française. On leur oppose en effet la « désuétude », terme qui désigne la situation de celles et ceux qui ont perdu leur nationalité par « non-usage ». L’idée est que les personnes résidant à l’étranger, dont les ascendants français sont eux-mêmes restés fixés à l’étranger depuis un demi-siècle sans avoir la « possession d’état de Français » ont perdu la nationalité française. Mais les personnes restées françaises après les indépendances ont justement le plus grand mal à établir la preuve de cette nationalité, les critères ayant été considérablement durcis au cours des deux dernières décennies. Obtenir un certificat de nationalité française est devenu un véritable parcours du combattant, souvent conclu par un refus qui prive les intéressés de la possibilité de disposer d’éléments prouver la possession d’état de Français et d’échapper ainsi à la désuétude. La Cour de cassation, par plusieurs arrêts rendus en 2019, a estimé que même dans le cas où le parent français qui a vécu à l’étranger pendant plus de cinquante ans serait admis à faire la preuve de sa nationalité à tout moment, ses descendants, eux, sont irrémédiablement présumés l’avoir perdue. Il s’agit bien d’une réaction de rejet face aux binationaux issus de la décolonisation auxquels on refuse le caractère automatique de la transmission de la nationalité française par filiation.

Les discriminations directement ou indirectement
fondées sur la nationalité subsistent en grand nombre

Si nous parlons ici de « discriminations », même lorsqu’elles sont entérinées par la loi, c’est parce que la majorité des différences de traitement fondées sur la nationalité ne sont pas justifiées par une différence de situation ou un intérêt général (ce sont les deux critères utilisés par le juge constitutionnel, le juge administratif et la Cour européenne des droits de l’Homme pour décider qu’une différence de traitement est ou non admissible au regard des principes d’égalité et de non-discrimination).

Les emplois fermés

Les « emplois fermés », par exemple, c’est-à-dire soumis à une condition de nationalité, continuent d’exister malgré les nombreux rapports qui ont préconisé sinon leur suppression du moins leur restriction. Le dernier rapport en date, en 2010, dont l’auteur était le député Daniel Goldberg, n’a pas été suivi par l’Assemblée nationale. Ces exclusions, qui représentent plusieurs millions d’emplois, dépassent de loin le seul champ de la fonction publique. Même dans la fonction publique elles restent critiquables et manifestement discriminatoires puisqu’on n’hésite pas à embaucher les personnes à qui on refuse l’accès à la fonction publique d’État, territoriale ou hospitalière sur une base contractuelle, pour exercer exactement les mêmes fonctions que les titulaires. L’intérêt général y trouve d’autant moins son compte qu’on pourrait logiquement préférer mettre devant les élèves des professeurs titularisés après avoir passé des concours que des contractuels recrutés sans les mêmes garanties de compétence. Rien ne s’opposerait à ce qu’on applique aux ressortissants des États tiers les critères appliqués aux citoyens de l’Union : accès a priori possible, même dans la fonction publique, dès lors qu’il ne s’agit pas d’emplois faisant participer à des tâches de souveraineté. D’une façon générale, l’existence de ces emplois fermés crée un cercle vicieux et amorce un cycle de discriminations systémiques : on ferme à toutes ces personnes une partie très importante des emplois, avec plus de difficultés à en trouver un, plus de chômage, moins d’ambition pour les enfants….
L’énumération qui suit n’est pas exhaustive :
Fonction publique : fermée aux ressortissants des États tiers – sauf enseignement supérieur et recherche.
Entreprises publiques : personnel titulaire de la SNCF [3] - Commissariat à l’énergie atomique.
Professions judiciaires : huissiers de justice - greffiers des tribunaux de commerce ou celle d’un État membre : notaires - avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation - commissaires-priseurs judiciaires - administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires - avocats (avec plus d’exceptions).
Professions de santé : médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes : la condition de nationalité a été supprimée pour les personnes titulaires d’un diplôme français ou équivalent délivré par un État membre de l’UE. Un système complexe d’autorisations dérogatoires existe par ailleurs pour les médecins étrangers ou français à diplôme étranger - Pharmaciens et vétérinaires.
Autres professions libérales : commissaires aux comptes - architectes.
Activités diverses : fabrication et commerce des armes - débitants de tabac - courtiers de marchandises assermentés - commissaires en douanes - directeurs ou membres du comité de direction d’un casino et personnel employé à un titre quelconque dans les salles de jeux - directeur ou enseignant dans une école maternelle ou élémentaire privée ou dans un établissement d’enseignement technique (sauf autorisations d’enseigner données par le recteur) - membre d’équipage à bord des navires battant pavillon français.

Des conditions d’accès
discriminatoires aux droits sociaux

Si on a supprimé formellement la condition de nationalité pour l’accès aux droits sociaux (décision imposée par le Conseil Constitutionnel (CC) en 1990 mais intégrée dans la loi seulement en 1998), on l’a remplacée par une condition de régularité du séjour. Les étrangers en situation irrégulière ne peuvent donc ni être affiliés à la sécurité sociale, ni toucher de prestations, avec quelques rares exceptions comme l’assurance accidents du travail, l’aide médicale État, l’aide sociale à l’enfance ou l’aide sociale en cas d’admission en centre d’hébergement. Et cela alors même que les réformes successives ont rendu de plus en plus difficile l’obtention des titres de séjour. Si la frontière paraît passer désormais entre ceux qui n’ont pas de papiers et ceux qui en ont, la réalité est bien plus complexe, car tous les titres de séjour ne confèrent pas les mêmes droits : beaucoup de prestations sociales, en particulier, sont subordonnées à la détention d’un certain type de titre de séjour – souvent la carte de résident – ou à une durée de détention minimale du titre possédé. Or ces différences de traitement sont bel et bien fondées finalement sur la nationalité puisqu’on impose aux étrangers des conditions plus strictes qu’aux Français – même si le CC s’est refusé à y voir des discriminations illégitimes, prétextant l’existence d’une différence de situation.

• Des prestations réservés en droit ou en fait aux étrangers disposant d’une carte de 10 ans, excluant les titulaires de carte d’un an.

  • Il s’agit d’abord des prestations familiales, de l’AAH (allocation adulte handicapé) et de l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées) pour les étrangers résidant à Mayotte – sachant que la carte de résident n’est presque pas attribuée dans ce département).
  • En métropole, des étrangers détenteurs d’un titre d’un an sont privés des prestations de chômage quand bien même ils ont travaillé et cotisé, dès lors qu’ils ne sont titulaires que d’une carte d’un an portant par exemple la mention « visiteur », « étudiant », « commerçant », « travailleurs temporaires », etc.
  • Pour l’accès au RSA, l’étranger qui n’a pas de carte de résident, doit répondre à une double condition : disposer d’un titre d’un an ouvrant droit au travail et disposer d’un tel titre depuis plus de 5 ans et même 15 ans à Mayotte.
  • La situation vaut également pour l’ASPA et l’allocation supplémentaire invalidité. La durée pour obtenir le bénéfice ces deux prestations ayant même été portée à 10 ans en 2011. La condition s’applique aussi aux titulaires d’une carte de résident.

• Les titulaires d’un titre d’un an peuvent aussi se voir privés de leurs droits sociaux durant la période de nouvellement de leur titre.
Une carte de résident ou une carte pluriannuelle reste valable 3 mois après sa date d’échéance pour l’accès aux droits sociaux, ce qui permet d’éviter les ruptures de droits, mais une telle disposition n’est pas prévue pour les titulaires de titres d’un an. Certes, la plupart des listes de titres de séjour pour accéder aux prestations sociales prévoient qu’est aussi valable le récépissé de renouvellement d’un titre de séjour d’un an ; mais, du fait des pratiques préfectorales, nombre d’étrangers en situation de renouvellement ne se voient pas remettre immédiatement un tel récépissé et reçoivent à la place d’autres documents : APS (autorisation provisoire de séjour) ou convocation… ce qui conduit à une rupture de leurs droits sociaux.

• Les prestations refusées aux étrangers en situation régulière ne disposant ni de carte de 10 ans, ni de carte d’un an.
Certaines prestations sont strictement réservées aux étrangers disposant d’une carte de résident ou d’une carte de séjour temporaire, telle l’AAH. De nombreux étrangers malades, maintenus par la préfecture avec des APS parfois renouvelées pendant de longues périodes, ne peuvent jamais accéder à la prestation malgré leur handicap. Comme ils ne peuvent non plus prétendre au RSA, ils sont privés de ressources nécessaires pour vivre.
Les étrangers sous APS sont encore privés d’autres droits sociaux si leur APS ne répond pas à certaines caractéristiques : elle doit par exemple être d’une durée égale ou supérieur à trois mois pour toutes les prestations d’aide sociale conditionnées à la régularité du séjour ou encore d’une durée strictement supérieure à trois mois pour les prestations familiales et les aides au logement.
Il en va de même des étrangers sous convocation, qui sont souvent des étrangers à qui la préfecture aurait pourtant dû délivrer, si ce n’est plus rapidement un titre de séjour, au moins un récépissé de demande.

Les entraves à la scolarisation
des enfants d’immigrés et des mineurs isolés

Les refus de scolarisation touchent principalement les enfants dont les parents sont en situation irrégulière ou ceux dont la famille a un hébergement précaire dans la commune : hôtel social, squat, occupation de terrain, les enfants roms. Alors que le droit à l’instruction garantit à chaque enfant l’accès à l’école, certaines communes utilisent des motifs illégaux pour ne pas les inscrire. Pendant longtemps, les refus de scolarisation d’enfants de nationalité étrangère émanaient essentiellement de maires exigeant illégalement le titre de séjour des parents. Cette pratique perdure mais les motifs de refus se sont considérablement diversifiés, dessinant parfois une véritable politique de discrimination à l’égard de certaines populations. Les exigences abusives en matière de preuve de la résidence sur le territoire de la commune, l’opposition du « manque de places » dans les écoles, l’occupation précaire ou illégale du lieu de vie de la famille sont devenus des motifs récurrents de refus. Par ailleurs, les atteintes au droit à l’instruction ne touchent plus seulement les enfants en âge d’entrer à l’école primaire. Elles concernent de plus en plus les mineurs isolés et les jeunes allophones qui souhaitent s’inscrire au collège ou au lycée, en particulier celles ceux âgés de plus de 16 ans qui ne sont plus soumis à l’obligation scolaire et qu’on n’accepte que « en fonction de la place ».
Ces atteintes se traduisent souvent par des pratiques dissuasives visant à décourager les familles et les jeunes. Les exigences de l’administration en matière de pièces à fournir sont démesurées : le dossier n’est jamais complet, il manque toujours un document pour que la demande soit traitée [4].

La précarité de la situation administrative
entrave l’exercice des droits théoriquement reconnus..
.

On ne vise pas ici seulement les sans-papiers qu’on maintient dans l’irrégularité ou les personnes qui auraient droit au séjour mais qui échouent dans leurs démarches : on entend évoquer la généralisation de la délivrance de titres de séjour de courte durée. Rappelons que la carte de résident créée en 1984 devait être attribuée de plein droit à tous les étrangers ayant des attaches familiales ou personnelles en France. La garantie de stabilité du séjour avait été alors considérée comme un facteur favorisant l’intégration. À partir de 2003, la logique s’est trouvée inversée : désormais l’étranger doit prouver qu’il est intégré pour obtenir un droit au séjour stable, et il est maintenu dans une situation précaire aussi longtemps qu’il n’a pas donné des gages d’intégration. Outre qu’on maintient ainsi des centaines de milliers de personnes qui ont vocation à rester en France dans une situation de précarité et de vulnérabilité qui, à coup sûr font obstacle à toute véritable intégration, on les prive ou on leur rend plus difficile l’accès à une série de droits, y compris ceux qui leur sont théoriquement reconnus : accès aux soins, au logement, au travail, à un compte bancaire.
Un titre précaire hypothèque le droit au séjour pour l’avenir proche de l’étranger, il est source d’insécurité pour l’étranger mais aussi pour les interlocuteurs auxquels il fait face. Il crée de l’incertitude, génère la suspicion et favorise un traitement différent, discriminatoire en comparaison de ce que serait ce traitement si l’étranger présentait toutes les garanties d’un titre stable. Les droits, formellement identiques, sont donc entravés ou empêchés en pratique pour les étrangers disposant d’un droit au séjour précaire. En matière d’accès à l’emploi, plus généralement, un employeur qui veut embaucher, renouveler un CDD ou le transformer en CDI y réfléchit à deux fois si la stabilité du séjour du salarié, et donc la fiabilité de la relation de travail, n’est pas assurée. Les problèmes se posent aussi pour accéder aux services bancaires, ouvrir un compte, obtenir un prêt bancaire. Pour accéder au logement, quand il s’agit de rassurer et convaincre un bailleur d’accepter votre candidature, de préférence à d’autres personnes, avoir un titre précaire est particulièrement handicapant. L’accès à la propriété du logement n’est pas plus aisé, car entravé par la difficulté d’obtenir un prêt bancaire.

… et conforte des formes de discrimination systémique

La discrimination systémique, parfois dénommée discrimination structurelle, désigne « une forme de discrimination inhérente à des modèles sociaux, des structures institutionnelles, des conduites individuelles, voire à des dispositifs législatifs qui créent, reflètent et reproduisent des pratiques désavantageuses pour des personnes présentant l’une des caractéristiques protégées par le droit de la non-discrimination (sexe, origine, religion, nationalité…) » (Cyril Wolmark).
On doit se féliciter à cet égard de la décision rendue par le conseil de prud’hommes de Paris, le 17 décembre 2019, reconnaissant l’existence d’une « discrimination systémique » à l’encontre de salariés maliens en situation irrégulière. Ces travailleurs étaient cantonnés aux métiers les plus pénibles de manœuvres et aux tâches les plus dangereuses, l’employeur profitant de leur situation de vulnérabilité particulière en tant que travailleurs sans-papiers. Voici des extraits du jugement :
« Il existait sur le chantier concerné un système pyramidal d’affectation professionnelle en raison de l’origine et ce, au détriment des travailleurs maliens. Les responsables de la société mise en cause considéraient les travailleurs maliens comme des entités interchangeables et négligeables et les plaçaient ainsi en bas de l’échelle de l’organisation du travail. Ainsi, il apparaît que tous les travailleurs maliens étaient des manœuvres assignés aux tâches les plus pénibles du chantier, à savoir les travaux de démolition consistant à casser les murs et les plafonds à la masse, dans des conditions extrêmement dangereuses. […] Les tâches subalternes confiées aux travailleurs maliens s’avèrent donc particulièrement pénibles à la fois par la force physique qu’elles requièrent que par leur dangerosité avérée. […] Chaque groupe est ainsi prédestiné à certaines tâches et cela, non en fonction de ses compétences réelles, mais semble-t-il uniquement en fonction de son origine, origine qui lui attribue une compétence supposée, l’empêchant ainsi de pouvoir occuper un autre positionnement au sein de ce système organisé de domination raciste ;

manifestation à Lyon
manifestation à Lyon

L’analyse de ce système pyramidal au sein du chantier de la Villa Ségur, à la lumière des études du sociologue Nicolas Jounin, permet de caractériser l’existence d’une discrimination systémique en termes de rémunération, d’affectation, d’évolution professionnelle à l’égard de ces 25 travailleurs maliens en situation irrégulière employés par la société MT-BAT Immeubles, cantonnés aux métiers les plus pénibles de manœuvres et aux tâches les plus ingrates.
Le contexte de discrimination systémique en lien avec l’origine décrit ci-dessus, auquel est venu s’ajouter en l’espèce le fait que les salariés se trouvaient en situation irrégulière au regard du droit au séjour et au travail, a conduit l’employeur à violer délibérément ses obligations, niant aux travailleurs concernés l’ensemble de leurs droits légaux et conventionnels ».
Le Défenseur des droits qui avait déposé des observations dans cette affaire expliquait : « C’est ainsi l’analyse de la somme et de la répétition des actes visant à stigmatiser, exclure et/ ou défavoriser un groupe considéré, lesquels relèvent bien souvent d’un système organisationnel et d’un processus historique, qui va conduire à la reconnaissance d’une discrimination systémique. Ce cumul de critères, nationalité et origine, produit pour le groupe stigmatisé – les travailleurs maliens en situation irrégulière – un désavantage qui n’est pas ponctuel, mais récurrent, permettant de mettre en évidence, au-delà de discriminations multiples, une discrimination systémique ».

La dénégation de la citoyenneté :
d’une exclusion fondée sur la nationalité à
une discrimination fondée sur l’origine

La promesse d’accorder le droit de vote aux résidents étrangers n’a jamais été tenue avant d’être finalement reportée sine die. La revendication est née du constat que les étrangers étaient pour la plupart établis durablement en France, avec leur famille, et sans perspective de retour, sinon à très long terme, dans leur pays d’origine.

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Accorder le droit de vote aux résidents étrangers, c’est leur donner la possibilité de prendre part aux décisions qui les concernent, prolongeant ainsi les droits qu’ils ont acquis comme travailleurs dans l’entreprise ou comme usagers des services publics, et faciliter leur participation à la vie de la cité. C’est aussi renforcer leurs chances de voir leurs intérêts et leurs besoins mieux pris en compte par les élus, plus sensibles aux demandes émanant des habitants lorsqu’ils sont électeurs.
L’intégration a aussi une dimension symbolique. Il s’agit de reconnaître que les résidents étrangers font partie de la cité, qu’il existe bien une communauté d’intérêts et de destin entre tous les habitants d’une même ville, indépendamment de leur nationalité. L’ouverture du droit de vote aux étrangers contribue à l’intégration de leurs enfants qui, même lorsqu’ils ont, comme c’est souvent le cas, la nationalité française, sont d’autant moins incités à exercer un droit dont leurs parents sont privés.
Mais il s’agit aussi de mettre fin à une discrimination fondée sur l’origine qui ressemble fort à une discrimination raciale. Car l’inégalité traditionnelle entre nationaux et étrangers au regard du droit de vote a pris une coloration nouvelle avec l’adoption du traité de Maastricht et l’instauration d’une citoyenneté européenne, dès lors que celle-ci confère aux ressortissants des États membres un droit dont les ressortissants des États tiers sont privés.

  • D’abord, cette différence de traitement conduit à des situations paradoxales, voire iniques : comment faire admettre qu’un Allemand ou un Italien établi en France depuis quelques années, et qui n’envisage pas nécessairement de s’y établir définitivement, puisse voter aux élections locales, voire être élu conseiller municipal, mais non la personne de nationalité algérienne ou sénégalaise qui vit dans la même commune depuis dix, vingt, voire trente ans ? On peut bien sûr invoquer l’appartenance des premiers à l’Union européenne pour expliquer juridiquement cette différence de traitement, mais on n’empêchera pas qu’elle soit vécue comme discriminatoire.
  • Ensuite et surtout, la citoyenneté européenne conduit à substituer à l’ancien partage, fondé sur un critère purement juridique : la distinction national/étranger, une distinction bien plus ambiguë puisqu’elle conduit à distinguer, sinon en droit, du moins en fait, les personnes originaires du Nord – les Européens –, des personnes originaires du Sud, donc à entériner un partage fondé sur l’origine. La « citoyenneté européenne » engendre ainsi une nouvelle forme d’exclusion, qui vient redoubler l’exclusion économique et sociale dont sont déjà victi¬mes les ressortissants des États tiers, et souvent du tiers-monde. À tel point qu’un historien comme Patrick Weil, qui était absolument hostile au droit de vote des étrangers – en vertu d’une conception républicaine qui ne me paraît pas relever de l’évidence, mais que partagent Dominique Schnapper et quelques autres – a modifié sa position à partir du moment où ce droit a été accordé aux ressortissants européens.
    Il faut aussi être attentif aux non-dits, aux implicites qui sous-tendent les argumentaires qui tendent à discréditer la revendication. On pense notamment à la façon de mettre en avant, ici, encore, le spectre du communautarisme, de façon purement fantasmée. Mais il n’y a aucune rationalité dans tout cela : le communautarisme, on le sait, est forcément musulman.
    L’argument a été largement repris pendant les débats au Sénat en 2011. « Dissocier le droit de vote de la nationalité française, c’est prendre le risque de communautariser le débat public » (François Fillon) ; « Accorder le droit de vote sans demander d’adhérer à nos valeurs de la République, c’est prendre le risque d’ouvrir la porte à tous les communautarismes et au vote identitaire dans notre pays » (Bruno Retailleau) ; « Je le dis solennellement, offrir la possibilité d’une représentation communautaire au sein des conseils municipaux ouvre la voie au communautarisme » (Claude Guéant), etc. On a du mal à comprendre comment, en autorisant les résidents étrangers à entrer dans le même bureau de vote que tous les autres habitants, à pénétrer dans l’isoloir puis à glisser dans l’urne leur bulletin, choisi parmi ceux offerts à l’ensemble des électeurs, on favoriserait le communautarisme. Le droit de vote est un droit individuel, il atomise, il est par essence anti-communautariste ; dans le secret de l’isoloir, l’attache « communautaire » ne compte plus et toute pression éventuelle est réduite à néant.

[1Voir sur le site du Gisti : https://www.gisti.org/spip.php?article6492

[2On trouvera sur le site de l’Assemblée nationale : la vidéo
intégrale de l’audition <http://videos.assemblee-nationale.f...> et sa retranscription :http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus racisme/l15racisme1920029_compte-rendu

[3On doit à cet égard se féliciter du combat récemment gagné par les cheminots contre la SNCF. Par un arrêt du 31 janvier 2018 la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes en
2015 et condamné la SNCF à verser plus de 160 millions d’euros d’indemnités à ceux qu’elle avait recrutés sous le statut dit « PS25 » dérogatoire par rapport au statut des cheminots, afin d’engager des travailleurs étrangers, généralement des Marocains – les chibanis de la SNCF. Le traitement différencié réservé aux salariés qui ne remplissaient pas la condition de nationalité pour
accéder au régime du cadre permanent est qualifié par le juge de discriminatoire : impossibilité d’évolution vers les fonctions d’agent de maîtrise et de cadre, refus d’accès aux examens ou
absence de prise en compte des résultats de ces examens en cas de réussite pour l’évolution dans la carrière, quasi-absence de formations, accès différencié aux soins, prestations sociales moins favorables, impossibilité enfin de bénéficier du régime spécial de retraite réservé aux cheminots du cadre permanent et pensions de réversion moins avantageuses pour les conjoints.

[4Voir : Gisti, Romeurope, « La scolarisation et la formation des jeunes étrangers », Cahier juridique, 2020