N°135

Notes de lectures

Littérature algérienne Itinéraire d’un lecteur- Charles Bonn, entretiens avec Amel Maafa

par Abdellatif Chaouite

Littérature algérienne
Itinéraire d’un lecteur

CHARLES BONN,
ENTRETIENS AVEC AMEL MAAFA.
POSTFACE PAR NAGET KHADDA
EL KALIMA ÉDITIONS, 2019

littérature algérienne itinéraire d'un lecteur
littérature algérienne itinéraire d’un lecteur

Itinéraire et lecteur. Ces deux mots situent cet entretien où Charles Bonn revient sur son itinéraire de professeur des Universités à Constantine, Fès, Paris 13 puis à Lyon. Itinéraire qui l’a transformé en grand spécialiste de la littérature maghrébine. « Nommé par hasard » en début de sa carrière à l’université de Constantine, il y découvrit Le Polygone étoilé de Kateb Yacine et fut pris dans la résonance de cette lecture qui ne le quitta plus lui faisant découvrir l’univers des « périphéries » : la sienne en tant qu’alsacien, celle de son premier « centre » d’intérêt littéraire (les autodidactes) puis celle de la littérature algérienne (et maghrébine), non considérée alors par l’Institution littéraire et universitaire. Cette résonance (à la fois initiation et travail de transformation et d’auto-transformation) va lui permettre de construire une approche à l’antipode de l’exotisme et du simplisme documentariste dominant les premières analyses de cette littérature, plutôt attentive à l’exigence et à la complexité de celle-ci (à la « spatialité du texte » d’abord, à ses opacités et au dialogue qu’elle instaure avec son lecteur, ensuite à une réinvention du « tragique »).
Charles Bonn s’explique longuement dans cet entretien sur les tenants et aboutissants de ce travail dans ses aspects théoriques sur les plans littéraire et politique, dans ses affres (ostracismes et scandales institutionnels) comme dans ses moments de bonheur (rencontres avec des œuvres et des auteurs – notamment le lien privilégié avec Mohammed Dib –, diversité des publics enseignés et grand nombre de thèses dirigées, découvertes et auto-découvertes), voire dans ses aspects autobiographiques quasi intimistes. Au passage, ce sont des éclairages importants sur les enjeux de la francophonie ou du comparatisme. Ce livre introduit donc le lecteur et avec bonheur dans l’atelier de son auteur et surtout dans la fabrique de la littérature maghrébine comme discipline universitaire dont il est l’un des pionniers et l’un des maîtres d’œuvre comme d’ouvrage.
Si Amel Maafa a su donc faire « confesser » Charles Bonn, Naget Khadda qui a partagé avec lui cette aventure (« choc frontal » d’abord puis « collaboration » universitaire et amicale), dans sa postface, souligne en quoi « Le travail de Charles a été précurseur et s’est déroulé sur deux versants : le plus urgent était d’arracher cette littérature à une lecture intuitive qui, si elle a pu produire quelques interprétations subtiles, reste toujours tributaire de la subjectivité de son auteur ; le travail à plus long terme était de sortir la francophonie de son autarcie exotique pour l’introduire dans le comparatisme universel. » Ce à quoi il faut rajouter la réalisation difficile et souvent assez solitaire à laquelle Charles a consacré un certain nombre d’années : le programme documentaire Limag, devenu rapidement « le point de départ incontournable pour tout travail universitaire sur les littératures du Maghreb ».
Itinéraire donc d’un lecteur, il nous fait voir non seulement comment il fut celui d’un lecteur actif, un lecteur-écrivain en quelque sorte, impliqué dans son objet (il faudra ici compléter cette lecture par celle au moins de cette autre autobiographie intellectuelle parue sous le titre Lectures nouvelles du roman algérien en 2016, aux éditions Classique Garnier), mais surtout mesurer le pas de géant accompli dans la connaissance et la reconnaissance de cet objet (la littérature algérienne et maghrébine) auquel Charles Bonn a contribué de manière décisive.

Abdellatif Chaouite