Smaïn Laacher est reconnu pour ses multiples travaux et enquêtes autour des questions de l’exil [1] ; il collabore régulièrement à notre revue depuis sa création.
De 1999 à 2014 Smaïn Laacher a été juge assesseur représentant le Haut Commissariat des Nations unies pour les refugiés ( HCR) à la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Il a été un des deux juges assesseurs qui, avec le juge président, constituent la « formation » chargée d’étudier l’ultime recours des requérants déboutés du droit d’asile en première instance. Il est alors au cœur de l’institution qui applique la politique souveraine du droit d’asile.
Mais comment juger du destin d’une femme ou d’un homme qui de surcroît ne parle pas français et dont les faits objets de la décision de justice qui s’appliquera se sont déroulés à plusieurs milliers de kilomètres de Paris sans témoins pour témoigner, sans réelles preuves et dans un contexte de spécificités religieuses, historiques, culturelles, linguistiques dont seuls les anthropologues et historiens pourraient venir éclairer la Cour. Dans ce livre lucide, incisif, foisonnant, l’espèce humaine, pour reprendre le terrible titre du livre de Robert Antelme, est à la manœuvre !
Smaïn Laacher nous fait remonter aux sources de l’exil des exils. Il nous fait remonter aux sources de la géopolitique des migrations depuis les années 1970 tout en constatant que les débats d’aujourd’hui se multiplient « du fait d’une grande confusion conceptuelle dans laquelle l’inculture des uns et des autres en la matière paraît devoir être compensée par des raidissements d’ordre strictement idéologique ». A travers des histoires individuelles nous découvrons la violence et la multiplicité des causes du départ, la violence faites aux femmes durant ces si longues traversées en solitaire même si les femmes sont toujours « accompagnées ». Nous remontons également aux sources de la justice avec ces deux questions qui concernent toute la société : c’est quoi la vérité ? Comment se construit l’intime conviction d’un juge pour rendre un jugement ?
Fidèle à ses idéaux, il précise dans le dernier chapitre intitulé « les maux ont un sens : « tous les migrants ne relèvent pas forcement du droit d’asile, mais chacun (sans statut, clandestin, sans-papier, provisoirement dans un camp…) nous oblige tous, et oblige moralement et politiquement les Etats en premier lieu, à inventer ce que l’on pourrait appeler un droit à « l’inclusion politique » en d’autres termes un « droit de l’homme à la politique ». ».
L’important appareil de notes et de bibliographie donne enfin à appréhender une des complexités de notre monde contemporain, celui du déplacement des populations.
Bruno GUICHARD