N°131

Le dossier : Les sentiers de la dignité

L’espace-temps migratoire

Une approche heideggérienne pour comprendre le vécu de la mobilité des Européens de l’Est vers l’Ecosse

par Sergueï V. SHUBIN

Cet article explore les expériences spatio-temporelles d’Est-Européens au cours de leur migration en Ecosse, contribuant à faire émerger des recherches sur les temps et les espaces de la migration en reprenant l’analyse développée par Martin Heidegger sur «  l’être en mouvement  » et en interrogeant les précédentes conceptions du temps et de l’espace reposant sur des formes géométriques et séquentielles mesurables. Il explore la complexité des espaces-temps à partir de leur degré d’ouverture et de coexistence et considère les vies des migrants comme ouvertes et incorporant une multiplicité de futurs, de présents et de passés. Il se conclue sur des observations conceptuelles et sur l’intérêt d’adopter des visions multiples et intersubjectives de l’espace-temps pour des recherches centrées sur les migrations.
En dépit d’un intérêt récent pour l’analyse temporelle des mouvements transfrontaliers (Cwerner, 2001. King et al, 2006) le fait est que «  les aspects variés de la question du temps ont été rarement abordés dans les études sur les migrations  » (Elchardus et al 1987, cité dans Cwerner, 2001). C’est encore vrai pour de nombreuses recherches contemporaines dans ce domaine. La récente résurgence des études sur les parcours de vie et l’intérêt croissant pour les transitions biographiques ont influencé la recherche sur les migrations et ont conduit à un changement de focus sur le processus par lequel les migrants négocient leurs espaces-temps [1].
Bien que l’analyse de la migration soit souvent vue comme un exemple emblématique de la théorie des parcours de vie dans les sciences sociales, il y a différents aspects qui émergent des interprétations de l’espace-temps dans ce contexte et que cet article tente d’aborder.
D’abord l’application aux études migratoires du principe de l’action humaine (Jasso, 2004) qui éclaire la capacité des individus à construire leurs parcours de vie par le biais de leurs propres choix et actions s’accorde mal avec les arguments plus larges qui, en géographie, soulignent le caractère hétérogène de la construction des espaces-temps.
Quand la migration est définie comme un processus pleinement planifié (Clausen, 1991), l’espace-temps est considéré comme corrélé à l’existence individuelle, donc il est vu comme interne à la conscience et sujet à divers mécanismes de mise en ordre et de manipulations. Cependant, comme May et Thrift (2001:5) l’avancent, les espaces-temps sont multiples et hétérogènes et ils ne peuvent pas être intériorisés dans la conscience car ils impliquent des parcours temporels variés et irréguliers s’étirant dans des directions différentes et divergentes à travers un champ social accidenté. De la même manière, Hörschelmann (2011:379), critique les recherches sur les parcours de vie car elles adoptent une chronologie bien établie et manquent d’attention envers le caractère multiple, réversible et incertain des transitions, ce qui, dans le contexte des études migratoires peut conduire à des interprétations plutôt limitées des séquences de la mobilité internationale et à une insistance sur les itinéraires se ressemblant (les trajectoires normales) et à l’exclusion des expériences déroutantes des espaces-temps.
En ce sens, l’attention à «  l’habiter dans la mobilité  » et à «  l’être en mouvement  » comme processus intersubjectifs d’émergence au monde comme Pons (2003) le démontre, peut fournir une occasion de déstabiliser la notion d’espace-temps comme uniquement ancrée dans l’expérience humaine. Construit sur ma précédente recherche qui explorait le voyage comme une manière d’être (Shubin, 2011), cet article aborde avant tout le problème de la description des espaces-temps comme des entités intellectuellement dépendantes dans l’application aux migrations de la théorie des parcours de vie.
Ensuite, plusieurs auteurs reconnaissent le besoin de considérer avec prudence l’application du principe des «  vies liées  » dans la recherche sur les parcours de vie dans les divers champs de la géographie de la population (Hörschelmann, 2011) incluant les études sur les migrations (Bailey, 2009, Griffith et al 2013)
Le focus sur les réseaux sociaux suggère ici des interprétations interdépendantes des vies, une plus grande attention aux liens familiaux en migration et aux opportunités offertes par les relations partagées (Apitsch et Siouti, 2007, Neven, 2002). Les chercheurs sur les migrations adoptaient l’approche sur les parcours de vie pour étudier le progrès social des migrants dans le temps en termes d’adaptation à la société d’accueil, aussi bien que pour comprendre le rôle du lien social sur les trajectoires des migrants décrites en termes d’acquisition de qualifications, de savoirs et de langue ( Silver et Lawson, 1999).
Cependant certains chercheurs ont souligné la nécessité de voir au-delà de la représentation sociale de l’espace-temps dans la théorie des parcours de vie afin de fournir des interprétations plus radicales de l’intersubjectivité et de l’interaction des migrants avec le monde (Smith et King, 2012 ). De la même manière Jarvis et al. (2011) appellent à s’attaquer à la multiplicité des mouvements et pas seulement à l’espace-temps social, tandis que Conradson et Mac Kay (2007) soulignent l’importance des sensations et des affects multi-localisés dans la construction des espaces-temps internationaux des migrations. Cet article s’ajoute à ces débats en explorant les manières par lesquelles les sensations et les expressions de l’être en mouvement peuvent être mieux articulées en relation à l’espace-temps des migrations.
Enfin, le principe du rythme des vies dans la recherche sur les parcours de vie, qui assume la dépendance aux conséquences des transitions de vie sur leur rythme dans la vie individuelle (Elder et al, 2004) a aussi présenté des défis spécifiques dans son adaptation aux études sur la population et les migrations. Plusieurs chercheurs ont tenté d’élargir le terme «  transitions  » pour refléter «  l’imprévisibilité et la précarité des vies  » (Hörschelmann, 2011:379), réviser la signification de «  tournants de vie  » en examinant les chevauchements de transitions (Worth, 2009) et en insistant sur la nature de l’espace-temps comme «  en devenir  ». (Hockey and James, 2003).
De plus, les critiques de l’approche «  parcours de vie  » dans la recherche sur les migrations reconnaissent les contingences à la fois spatiales et temporelles dans les géographies des transitions de vie, se positionnant contre le focus simpliste sur les rythmes de vie au prix de l’abandon du thème de la spatialité (Bailey, 2009). En particulier, Smith et King (2012:130) défendent la nécessité de développer des conceptualisations plus critiques de l’espace et du temps, qui ne les considèrent pas comme une conjonction de phénomènes séparés mais comme intrinsèquement connectés. Cet article répond à ces tentatives de développer une conceptualisation plus large des espaces-temps qui conduise par-delà les géographies soigneusement cartographiables des parcours de vie de migrants à une analyse plus conceptuelle de la géographie de la vie même (Horton and Kraftl, 2008:286).

Conceptualisation
de «  l’être en mouvement  »
Cet article aborde ces vides conceptuels en utilisant les idées de Heidegger sur l’être, l’espace et le temps afin de théoriser les transitions et le vécu du mouvement des Est-Européens pendant leur migration vers l’Ecosse. Premièrement l’analyse des premiers ouvrages de Heidegger qui explore la «  mondialité  » des pratiques de vie aide à reconnaître la nature relationnelle des migrations dans le but de développer la «  compréhension relationnelle  » des migrations mise en lumière par les géographes (Findlay, 2005 :433).
Comme le suggère la lecture de Heidegger par Elden (2001 :17), les relations de l’être humain au monde «  ne sont pas d’abord déterminées par la géométrie et les distances mesurables mais par les notions plus prosaïques d’intimité et de proximité  ». Cette perspective prête une attention spécifique à la connexion mobile des migrants avec le monde (l’habiter) qui ne peut pas être explorée juste comme un voyage à l’intérieur d’une grille mais comme un déploiement de leurs relations avec d’autres êtres et d’autres choses.
Ensuite, le focus sur le mouvement dans les premières œuvres de Heidegger (Heidegger, 1996a :375) qu’il décrit comme «  être en mouvement  » (Bewegtheit) permet de remettre en cause les définitions traditionnelles de la migration fondée sur une conception binaire du lieu et de l’absence de lieu, «  la stabilité contre le mouvement, la permanence contre la temporalité… La résidence première et la résidence seconde  » (Smith et King, 2011, p 131). Comme le note Schatzki (2010:36), à la différence de Nietzsche et de Bergson, Heidegger ne voit pas la vie comme s’écoulant mais comme survenant, où «  le mouvement est l’opération par laquelle l’existence humaine survient et cela ouvre de façon constante le déploiement de l’espace-temps des activités humaines.  » (La localisation, le « da  »). En utilisant l’approche de Heidegger dans ses œuvres plus tardives il est donc possible de pénétrer les lieux ouverts de la dynamique migratoire, la survenance temporelle et spatiale du monde et se mettre en présence des choses matérielles non limitées à leur ordonnancement conceptuel (voir aussi mes arguments pour utiliser la métaphore de Heidegger sur l’habitat à propos de l’immigration, Schubin, 2012).
Comme l’avance Malpas (2008), la concentration de Heidegger sur «  l’être-dans  » (In-Sein) le monde et sur la localisation de l’être humain (le là du Da-Sein) renforce l’importance de l’attention et de la familiarité. L’intimité (heimisch) de l’être humain s’accomplit à travers une implication active dans la relation avec d’autres choses et d’autres personnes (l’espace et le temps existentiels). Une telle compréhension de la «  localisation  » décrite par Heidegger en relation avec le développement d’une région (Gegend) ou un ensemble de lieux (Plätze), imbriqués les uns dans les autres par des formes particulières d’activité et d’implication dans le monde (Malpas, 2008), recouvre la migration comme un mouvement révélant la dimension concrète et particulière du monde et de la propre vie des migrants. En termes heideggeriens, bien que les migrants aient affaire aux structures socio-spatiales dominantes qui encadrent leur présence en termes d’entités objectives, disponibles et utilisables (l’espace réduit à la distance entre deux points, le temps limité à des transitions rapides et calculables) ils sont aussi impliqués dans le véritable avènement de l’être, la venue temporelle dans la présence des choses et de leur constitution spatiale. Il résulte de cela qu’un migrant peut être vu comme toujours situé dans le monde et l’habitant avec les autres et jamais chez lui là où il est entraîné et partage des structures spatio-temporelles qui ne sont pas de son propre choix (Hoy, 2009).
Ensuite, l’article apporte des arguments aux débats sur la connectivité et la mutuelle dépendance de l’espace et du temps ou de l’espace-temps (Zeit-Raum) qui émerge des travaux de la dernière période de Heidegger. Dans l’analyse que fait Heidegger du poème de Hölderlin l’Ister (1996b) il insiste sur la combinaison entre le maintenant et le ici de cette rivière qui décrit son mouvement en termes différents pour séparer la cartographie des relations spatio-temporelles dans le système des coordinations. Une telle approche exprime non seulement le fait de voyager (Wandershaft) comme un procédé temporel entrant simultanément dans l’espace-temps de ce qui a été et de ce qui va venir mais met en relief l’origine commune de l’espace et du temps dans l’ouverture unitaire au monde.
Comme Elden (2002:41) le soutient, Heidegger comprend l’espace et le temps comme ayant une commune origine ; l’un appartenant à l’autre tandis que le mouvement de la rivière Ister est exprimé comme un passage et un événement du monde (la lumière, Lichtung) se révélant comme rassemblant les choses, les expériences et les sujets. En s’appuyant sur cette interprétation de l’espace-temps, la migration peut être vue comme en constante évolution et dépassant la nature régulatrice des points finaux en marquant divers événements de la vie. De plus la vision co-construite de l’espace-temps aide à prendre en compte ce que Schatzki (2010) considère comme une approche conjointe dans la recherche sur la migration qui considère l’espace-temps individuel comme étant simplement la combinaison des propriétés spatiales et temporelles provenant de processus sociaux spécifiques et de localisations liés à la migration.
Enfin, cet article contribue aux discussions des aspects «  plus qu’humains  » de la dernière pensée de Heidegger sur le temps et l’espace dans la littérature géographique. Tandis que chez le premier Heidegger l’existence humaine et l’ouverture spatio-temporelle au monde semblaient coïncider, dans ses dernières œuvres la spatialité apparaît comme dérivée de la temporalité, le focus se déplace de l’existence humaine à l’ek-sistence (Ek-sistenz) insistant sur une ouverture au monde non fondée sur l’expérience humaine (Schatzki, 2010). Une telle approche met en lumière l’intersubjectivité dans la migration et met en cause la vision réductionniste des espaces-temps des migrants comme consciemment construits à travers les expériences individuelles. Comme l’explique Malpas 52008 :306) la pensée de Heidegger place l’intersubjectivité dans l’ouverture de l’espace-temps, «  le fait quotidien de la constante et continuelle rencontre de ce qu’est le monde… une rencontre dans laquelle les choses, les personnes et nous-mêmes viennent à la lumière  ». L’unité de l’espace-temps exprime donc la possibilité de venir en présence des choses matérielles et des gens, «  une possibilité qui n’est jamais sortie de nos propres actes puisque l’espace-temps signifie que le «  là  » est déjà là  » (Joronen, 2013  : 634). Une telle approche aide à aller au-delà de l’humano-centrisme dans les recherches sur les migrations et de prendre en compte le dualisme appliqué à la conception de l’espace et du temps. De plus, la pensée de Heidegger au sujet de l’incomplétude de la subjectivité incite à explorer les relations entre l’espace-temps des migrants en termes de coexistence du futur (qui ne peut jamais être plus qu’une possibilité), le passé (qui n’est pas sous le contrôle de l’être humain mais qui est constitutif de ce qu’il est) et le présent (le contexte existentiel) et prenant ensuite en compte les stéréotypes des trajectoires migratoires.

Contexte et méthode
Cet article cherche à illustrer l’argumentation conceptuelle en puisant parmi les exemples fournis par une étude sur les migrants est-européens dans le Nord-Est de l’Ecosse qui avaient été sélectionnés comme objet de recherche pour plusieurs raisons. Premièrement, les représentations de ce groupe de migrants dans le discours académique et politique renvoie à une conception plutôt simpliste de la compréhension de l’espace-temps comme évident dans les études sur les parcours de vie.
Les discours politiques britanniques interprètent les changements du mouvement spatio-temporel des Est-Européens comme problématiques et présentent les expériences des migrants sous une forme d’étapes successives souvent liées au succès ou à l’échec dans leur tentative de s’établir au Royaume-Uni (Shubin et Dickey, 2013). L’être spatio-temporel des Est-Européens est en outre réduit à une construction sociale utilisée pour renforcer leurs stéréotypes de non-citoyens comme atemporels et dé-spatialisés (Shubin, 2012).
De plus l’être mobile de ces migrants du fait qu’ils sont citoyens de l’U.E et disposant en droit de possibilités d’emploi et de droits civiques égaux est souvent négligé ou souvent réduit seulement à une relation aux structures externes (normes socio-temporelles du pays d’origine et du pays de destination) formant des biographies individuelles (Spence, 2006).
Le résultat est qu’en assumant l’existence de similarités entre les valeurs temporelles chez soi et à l’étranger, les réactions des Est-Européens envers l’espace-temps public au Royaume Uni reste inexploré.
Ensuite le focus sur l’espace-temps des migrants est-européens au Royaume-Uni peut permettre d’éviter l’essentialisation des expériences de la migration et révéler les relations plus complexes entre les ruptures et les continuités qui placent l’être humain dans le monde. En conceptualisant les Est-Européens comme «  installés dans la mobilité  » et vivant dans le mouvement plutôt qu’installés au Royaume-Uni, les chercheurs sur les migrations surévaluent souvent la fonction sociale des réseaux dans la construction de l’existence des migrants en formant des séquences de leurs rôles définis socialement (Burrel, 2006). Il en résulte que les espaces-temps des migrations sont souvent considérés en relation aux états idéaux de stabilité et de certitude et de transitions de vie «  normales  » ( Hörshelmann, 2011).
En ce sens le focus sur la complexité des espaces-temps peut apporter de l’attention à l’imprévisibilité de leurs vies et problématiser la compréhension des transitions de vie.
L’analyse conceptuelle dans ce papier s’appuie sur une étude conduite en 2009-2011 dans le Nord-Est de l’Ecosse (Moray, la ville d’Aberdeen, l’Aberdeenshire) qui inclue des entretiens semi-directifs avec des migrants est-européens post-2004 (29 au total) et de l’observation participante. La plupart des interviews durent une heure trente. Ils ont été menés en anglais et en russe puis retranscrits et traduits par l’auteur, indexés et systématiquement examinés comme partie de l’analyse empirique. La plupart des migrants ont été interviewés chez eux ou dans des espaces protégés dans des centres communautaires afin de garantir leur intimité. Les questions des interviews ont été utilisées rapidement pour faciliter l’exploration des attitudes des migrants par rapport au voyage et à l’expérience du temps.

A-spatialité et atemporalité
Nous allons explorer les deux manières par lesquelles les migrants est-européens en Ecosse peuvent être absorbés par l’espace-temps objectif et situer les événements et autres phénomènes principalement en termes de l’utilité qu’ils peuvent avoir par rapport à leurs problèmes actuels. Dans ce cas, l’expérience de l’inachèvement et de l’adaptation à cet état de fait devient une partie de la vie des migrants qui sont décrits comme vivant entre deux horizons temporels. D’abord une telle expérience de la distanciation et de la temporalité est décrite par Heidegger (1996a :316) comme «  le présent perdu  » quand il analyse le cas des gens qui n’ont jamais assez de temps. Quand les migrants considèrent le temps et l’espace comme des objets, ils se sentent en dehors de leur place et gaspillent le temps comme ils se perdent eux-mêmes dans les distractions de la vie quotidienne. Un jeune homme travaillant dans une usine de conserves de poissons exprime une telle perte de temps et d’espace dans son univers de tous les jours.
«  Je tue le temps en Ecosse, comme mon objectif principal est maintenant de gagner assez d’argent d’abord pour payer mes dettes puis pour acheter une voiture, épargner assez pour acheter une maison. Tu choisis les offres d’heures supplémentaires de travail qui se présentent les unes après les autres mais tu ne vas pas n’importe où comme les choses deviennent plus chères quand tu rentres en Lituanie. Tu es toujours derrière ceux qui sont arrivés ici plus tôt, tu sens que tu as toujours manqué des opportunités et tu oublies que ce travail dans cette usine n’est pas ce que tu voulais faire dans ta vie. Ton attention est fixée sur chaque vendredi quand tu reçois ta paye  ».
Comme le suggère cet exemple, l’existence des migrants est subordonnée à des objectifs prioritaires et utilitaires  : l’espace-temps d’un travail particulier, le remboursement des dettes. Donc l’espace-temps est interprété en relation à une constellation d’objectifs présents comme les heures supplémentaires et éloigné des aspirations fondamentales par rapport à leur vie. Ce mode de compréhension de l’espace-temps est associé à l’anonymat. On est un parmi une multitude dans le système public de découpage du temps (les semaines se finissent le vendredi). Allant dans le sens de cet exemple, Miller et Bukova (2010) dans leur étude sur les Est-Européens travaillant au pair au Royaume-Uni se réfèrent à un mode de compréhension aliéné de l’être en mouvement, comme à la dérive, sans désir d’activité et tentant de faire avec leur sentiment d’être en dehors de la place. Dans ce cas les migrants considèrent le temps qu’ils ont épargné en termes d’unités mesurables et de moments «  à prendre  » (quand leur emploi du temps leur permet de le faire) et leur espace «  libre  » comme juste à côté de leur localisation immédiate (de sorte que des activités sans but comme le shopping deviennent une fuite en dehors de l’espace où ils sont confinés.)
« Quand tu choisis l’occasion de gagner de l’argent cinq jours par semaine et que tu essayes durement de l’économiser tu deviens éventuellement apathique et tu perds le sens du temps. Je travaille avec des gens qui ne veulent pas parvenir à quelque-chose, qui sont trop occupés à gagner et économiser l’argent et ça, ça me tue. Je manque d’épanouissement personnel. »
Pour ce migrant le présent semble conduire nulle part et le passé ne peut pas être convoqué pour servir de guide à l’action. Comme l’explique Heidegger dans «  Etre et temps  » (1996a :463) dans de telles situations la personne se pense elle-même en termes par lesquels les événements très intimes qui surviennent dans une telle façon de construire le présent retombent eux-mêmes sur lui de différentes façons. Très occupé, il se perd lui-même dans l’objet de ses soucis et il y perd aussi son temps. Dans les dernières œuvres de Heidegger, cette «  perdition  » reflète la tendance des migrants à oublier même ce qui les touche de plus près quand le calcul public et ordonné de leur espace-temps se déconnecte de la question plus large de leur développement propre.
Ensuite Heidegger considère le mode de «  faire le présent  » comme un résultat de l’absorption et de la dispersion de l’être humain dans son environnement. Dans ce cas l’existence humaine semble coïncider avec l’oubli des configurations passées de l’espace-temps et avec l’ébranlement de la signification des espaces-temps émergeant dans le futur. Les migrants pris dans ce mode de compréhension de l’espace-temps sont absorbés par l’objet de leurs soucis présents mais ne renvoient plus le présent au passé ou n’évaluent les événements à venir qu’en termes d’utilité par rapport à leurs préoccupations du moment. Une jeune femme employée de bureau avance qu’une telle construction du présent conduit les migrants à oublier les questions importantes ou sans importance et à se perdre eux-mêmes dans le cours quotidien des événements.
« Quand tu mesures ta vie en Ecosse principalement en paiement de salaires, tu deviens comme une tomate dans un magasin de fruits et légumes. Tout est OK Tu peux acheter plus de choses mais tu es vide à l’intérieur. Tu travailles huit heures et tu dors dix heures, toutes tes attentes sont liées à ton travail du moment. Tu perds l’expression de toi-même, tu es perdue en tant que personne » ( A, Lettonie, 2010).
Ces propos donnent un exemple de la subjugation des choses et de leurs relations dans le cadre d’une a-spatialité et d’une atemporalité uniformes. (Joronen, 2013), quand la vision des migrants par eux-mêmes comme des entités complexes (et potentiellement cohérentes) allant de la naissance à la mort, se trouve obscurcie. Le résultat d’une telle préoccupation avec l’espace-temps du seul présent (l’espace-temps comme étendue mesurable) de ces vies de migrants qui se mesurent en paiements de salaires est effectivement dispersé dans les demandes publiquement dictées par le travail (le job du moment) qui les concerne. Comme l’avance Malpass (2008) en puisant dans les œuvres de la dernière période de Heidegger, l’avènement au monde ne peut pas être expliqué en termes de simples connexions entre les divers éléments. Donc l’être en mouvement des migrants ne peut pas être réduit à une simple présence statique. Cette approche suggère qu’il est nécessaire de regarder au-delà des interprétations de l’espace-temps qui sont enracinées en termes d’objets disponibles et mesurables et de considérer l’interrelation des différents modes spatio-temporels.

La possibilité de vies connectées
En contraste avec la perdition dans le quotidien, il y a une autre manière de comprendre la vie propre des migrants qui ne présuppose pas la conception objective d’un espace-temps. Heidegger (1996a) avance que les humeurs et les accoutumances qui viennent avant le découpage objectif du temps, sont les seules voies pour les êtres humains d’empoigner la complexité de leur existence spatio-temporelle. Dans cette étude, les connexions entre les migrants et leur environnement sont exprimées à travers leurs humeurs du moment comme la joie, l’anxiété et l’ennui qui révèlent le monde dans son sens primordial. Qu’elles soient effrayantes, intéressantes ou ennuyeuses, les choses se révèlent dans l’importance qu’elles prennent pour eux. L’anxiété par exemple n’est pas reliée à une chose particulière (on ne sait pas pourquoi on est préoccupé) mais elle concerne à peu près tout dans le monde. L’anxiété aide les migrants à s’éloigner des choses particulières qui les préoccupent et à atteindre un point de vue sur leur être dans sa totalité. Un homme d’âge mûr, travaillant dans un centre communautaire explique  :
«  J’ai commencé à me sentir déstabilisé par rapport à tout ce que je fais. Habituellement, j’aime travailler avec les gens mais le travail commence à me stresser. Les choses autour de moi ne changent pas du tout. La vie est si conservatrice, il n’y a pas de défis. Je peux gagner assez d’argent mais maintenant quand je regarde en arrière, que je vois d’où je viens, je m’inquiète de savoir où je serai en train d’aller d’ici trois ans.  » (M. Lituanie, 2011).
Comme ce cas le suggère, la question du sens de la vie d’un migrant survient avec la reconnaissance du risque potentiel de ressentir du stress avec tout ce qui l’entoure. L’anxiété révèle l’unité de l’espace-temps et présente une possibilité d’habitation, de localisation de son être dans un lieu précis. Comme expliqué plus haut, Heidegger (1995:294) considère qu’il y a une opportunité de fusion du spatial et du temporel dans un court moment de vision (Augenblick, coup d’œil). Durant ce moment, les êtres humains parviennent à saisir les ressources disponibles en relation avec leur réalité individuelle et à éviter de se laisser distraire par des choses moins importantes (Mulhall, 2005).
Heidegger (2002:295) avance qu’un tel moment «  n’est pas quelque-chose que je possède dans ma main mais au contraire quelque-chose qui m’obsède  ». Ce moment est le lieu au sens à la fois spatial et temporel où le passé, le présent et le futur arrivent ensemble. A la différence des moments pivotant à moitié dépendants ou des points de changement pris en compte dans les études des parcours de vie, un moment de «  vision  » n’est pas compris en termes temporels comme partie du temps chronologique mais comme un moment indéterminé (kairos) d’un niveau d’intensité parmi les plus élevés qu’on puisse ressentir dans sa vie quand les êtres humains peuvent comprendre leur propre ontologie et être libre d’être eux-mêmes. Une femme mariée, d’âge mûr décrit ainsi ce moment de vision.
«  Il y a de ça environ six mois, il m’est venu comme un choc que notre pensée a changé. D’abord nous vivions en Ecosse comme nous vivions chez nous à l’époque soviétique – nous ne pouvions pas penser à l’avenir, faisions des boulots basiques et ne portions que les choses nécessaires, économisions certaines choses «  en cas d’incendie  ». Nous avions l’habitude d’acheter des choses en discount comme si nous venions de pays de privation, de pays de disette, nous aurions acheté dix paquets de beignets même si on n’avait besoin que d’un seul –… Puis il nous est venu à l’esprit que nous pouvions regarder devant nous, respirer et cesser simplement de supporter la vie.  » (A. Lettonie, 2011). [2]
Comme ces propos le suggèrent, l’expérience de revisiter la période soviétique ramène à l’esprit qu’il y a différentes manières de vivre à l’étranger. Le «  moment de la vision  » offre une occasion pour cette migrante de questionner son existence prise dans la conception quotidienne de l’espace-temps (les choses, les boulots basiques, les objets prêts à utiliser, de fabrication courante). Alors que chronologiquement l’époque soviétique est finie, sa signification est transformée par la relation à la période de vie personnelle de la migrante.
De façon similaire, un autre migrant reflète son passage entre son «  attente en Lituanie  » et sa tentative de saisir les opportunités pour devenir quelqu’un de différent en migrant au Royaume-Uni.
«  J’avais un emploi stable dans la construction en Lituanie mais il m’est tout à coup venu à l’esprit que je manquais peut-être quelque-chose. Vous savez, en Lituanie, à moins que vous ayez de la chance, sans haut niveau d’éducation vous allez travailler toute votre vie avec une pelle sur un chantier. A cause de tous ces changements politiques les gens croient qu’il est prudent de rester sur place. J’ai soudainement su que je ne voulais pas rester avec un simple job. Je savais que le pouvais mieux faire, alors je suis parti pour le Royaume-Uni. Ici je travaille dans l’industrie pétrolière et je suis actuellement en train d’apprendre le travail, donc j’espère progresser dans ma vie future. »(T. Lituanie 2009).
Heidegger insiste sur le fait que le «  moment de la vision  » rompt l’installation dans l’espace-temps ordinaire. Dans le cas des migrants ci-dessus, les expériences précédentes (récupérer les vieilles affaires comme une protection contre les aléas économiques ou s’accrocher à un travail après les changements politiques), jouent un rôle important dans ce que sera leur vie à venir en Ecosse. Le «  moment de la vision  » appelait ces migrants à agir dans la perspective du futur. Elle appelait les migrants à la fois à ne pas se perdre dans les soucis du quotidien (l’attente) et à arrêter de simplement «  se débrouiller  ».
Ce mode de temporalisation suggère qu’il y a une possibilité de contrecarrer la dispersion de son individualité dans les demandes dictées publiquement. Les migrants qui adoptent ce mode de considération de l’espace-temps peuvent échapper à la perdition dans les structures publiques de l’espace-temps et trouver l’opportunité de dépasser l’a-spatialité et l’atemporalité de la banalité de leur existence. S’arrêter sur ce cas implique la reconnaissance de la finitude de l’être humain destiné à la mort (Malpas, 2028). C’est précisément en faisant face à la mort comme une possibilité de l’impossibilité de chaque mode d’existence que l’être humain est capable de s’éprouver lui-même dans le moment de la vision comme incomplet et inachevé comme une possibilité de potentialité de l’être. En rencontrant le vide de la mort, l’être humain est capable de s’ouvrir au moment de vision et de se révéler à lui-même (accéder à son propre être) dans sa globalité (comme un tout et non pas comme une structure compartimentée en un corps et un esprit). Une telle possibilité de se connaître dans le moment de la vision est souvent offerte par la migration, comme l’explique cet homme d’âge mûr, spécialiste de l’électronique.
« En Lettonie, je travaillais trop vite. Pour nourrir ma famille, j’étais l’homme à tout faire  : je posais des carreaux, je faisais de la plomberie, je réparais les ordinateurs. J’étais tellement dans l’action que je n’avais plus de temps pour penser ou ressentir. J’étais tellement occupé que je ne pouvais plus survivre longtemps comme ça et ma famille aurait été privée de moi… Ce fut une bénédiction de partir à l’étranger. J’avais devant moi un choix de possibilités. Alors je suis arrivé à faire le travail électronique qui me plaisait  ».
Comme le montrent ces propos, ce migrant fait constamment face à la fragilité et à la vulnérabilité de ce à quoi il tient, en l’occurrence sa famille et le moment de son ouverture existentielle lui révèle que sa vie ne se mesure pas seulement en termes de tâches quotidiennes relatives à une sorte de structure fermée et totalitaire (je n’avais pas le temps de ressentir). En prenant anxieusement conscience de sa finitude, ce migrant devient ouvert à l’être et il entre en relation avec un choix de possibilités. La migration lui offre une opportunité de comprendre sa vie en relation avec une accoutumance particulière au monde qu’il saisit pour faire des choses qu’il aime. Au lieu de perdre son individualité à travers le refoulement et l’oubli qu’il s’impose à lui-même, le migrant se projette vers des possibilités qui lui permettent de se réaliser dans son authenticité propre. Au lieu de suivre une chronologie d’instants successifs où la signification du temps n’existe plus, une telle temporalisation donne à l’étirement du temps sa signification en relation avec les fondements existentiels du migrant.
Ce chapitre montre que la perdition dans les structures publiques temporelles du monde auxquelles on subordonne son individualité pour accomplir des tâches définies de façon impersonnelle est une position inévitable pour bien des gens et spécifiquement pour les migrants. Cependant, comme l’analyse ci-dessus le suggère, les calculs ordinaires par rapport au temps ne peuvent pas expliquer pleinement les vies des migrants en relations avec leurs possibilités d’être authentiquement eux-mêmes. En allant au-delà de la conception objective de l’espace-temps, il est donc possible d’identifier des opportunités pour les chercheurs de créer une plus riche compréhension de l’expérience des migrations et des voies par lesquelles les migrants peuvent intervenir pour changer leurs pratiques du quotidien.

Conclusions

Cet article s’efforce de contribuer à la recherche géographique sur les migrations en utilisant les différentes réflexions au sujet du temps et de l’espace développées par Martin Heidegger. D’abord, le focus de Heidegger sur «  l’être dans le monde  » éclaire l’importance d’une compréhension de l’espace-temps qui est à la fois objective (puisqu’il est lié à la possibilité de rencontrer des entités dans le monde en étant avec les autres) et subjective (puisque c’est une condition de la possibilité de l’existence humaine). Cet article avance que cette approche aide à avoir une compréhension plus large de la vie des migrants et à dépasser l’habituel problème consistant à identifier l’espace-temps des migrants soit comme un cadre structurant leurs mouvements (comme des objets régulés à l’intérieur des structures publiques existantes) soit comme des entités intellectuellement dépendantes. Ce faisant, cet article répond à l’appel à «  saisir la complexité en théorisant la migration internationale  » et à développer une approche intégrative des espaces-temps objectifs et subjectifs des migrations  » (Jon et Lindquist, 1995 :344). En utilisant des exemples tirés d’une recherche empirique, ce travail insiste sur le rôle des humeurs existentielles en révélant la complexité de «  l’être au monde  » des migrants et tente d’articuler leur localisation avec la notion d’extension spatio-temporelle mesurable. Il explore «  l’être en mouvement  » au-delà de la présence statique (relative aux expériences d’a-spatialité et d’atemporalité) qui compte sur une structure spatio-temporelle ordonnable et mesurable qui est disponible pour tous et n’appartient à personne.
Par ailleurs le texte éclaire le rôle des sentiments dans la création des moments d’ouverture existentielle, ces «  moments de vision  » qui offrent aux migrants des opportunités pour intervenir et changer leur expérience des pratiques quotidiennes. En insistant sur le fait que ces moments d’affectivité ne sont pas maîtrisés par les migrants, cet article s’oriente vers des recherches plus compliquées sur les «  moments centraux  » dans les études sur les trajets de vie. Comme les exemples empiriques le démontrent, la mise en présence de l’être ne dépend pas des humains (elle ne provient jamais de leurs propres actes) comme ils ne sont pas déjà englobés par le fait «  d’être-au–monde  ». A partir de cette analyse le texte suggère que le besoin de bouger au-delà de l’insistance sur l’expérience propre des migrants et insiste sur la nature plus que personnelle de la grille d’intelligibilité faisant des migrants des «  êtres au monde  ». Il milite pour la nécessité d’explorer la richesse et le caractère non exhaustif de «  l’être en mouvement  » en tenant compte à la fois de la dimension objective (la présence ordonnable et mesurable des entités) et des espaces-temps existentiels (fondés sur l’habiter) mais sans insister sur la primauté de l’action humaine qui prévaut dans les études sur les trajets de vie.
Ensuite, en développant les idées de Heidegger sur l’interdépendance du temps et de l’espace dans le cadre de cette recherche, le texte explore les processus de voyage et d’installation qui sont ceux des migrants dans une tentative de développer une nouvelle compréhension de leurs rapports à l’espace et au temps. Il argumente qu’il y a nécessité à considérer que les migrants sont au-delà d’un positionnement marqué par la localisation et les dates du calendrier (et des domaines séparés du futur, du passé et du présent) mais il étudie au contraire les possibilités et les ouvertures créées par leurs mouvements spatiotemporels. En éclairant les réflexions de Heidegger sur la capacité humaine d’être à la fois au-devant, derrière et à côté de soi-même, le texte insiste sur le besoin de réévaluer la manière dont les projets des migrants, leurs buts et leurs attentes sont explorés dans les recherches sur les migrations. En utilisant Heidegger, l’article considère que le migrant n’est pas un objet que l’on peut englober statiquement mais une créature en plein développement qui vit sa vie et dont l’existence se projette toujours vers l’avenir. Puisque la possibilité existentielle n’est pas dirigée vers un but, ce papier insiste sur la nécessité d’aller au-delà de l’évaluation des projets de vie des migrants simplement en termes d’objectifs futurs auxquels ils sont assujettis. Le fait d’être un migrant particulier ne peut vous soumettre à aucun objectif à venir. Il est donc important de remettre en cause les jugements négatifs sur les migrants qui ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs particuliers en termes d’intégration dans leur nouvelle communauté et de progression dans leur carrière, jugements qui sont enracinés dans une interprétation statique du temps. En considérant les potentialités futures des migrants, les chercheurs peuvent mieux comprendre les voies par lesquelles une personne mobile s’engage vers le futur soit en le considérant comme actuel (en sautant d’une opportunité à la suivante) soit en attendant et en saisissant les possibilités qui se présentent (pour se libérer de sa capacité d’individualité).
En réaffirmant l’ouverture au possible et au rassemblement spatiotemporel des choses dans la migration, cet article considère en outre la manière «  d’arriver au monde  » des migrants comme non limitée au mode particulier par lequel il se produit (par exemple un mode décrit comme résultant de l’achèvement de leur éducation). En explorant la multiplicité des relations et la multiplicité des futurs dans lesquelles s’inscrit la migration des Est-Européens, ce texte insiste sur l’ambiguïté (l’indétermination) et l’excès dans les vies mobiles et refuse la réduction des événements de la vie à des paradigmes spécifiques montrant comment arrivent les transitions de vie. Comme les conclusions de ce texte le démontrent, l’adoption d’une telle vision de l’espace-temps ne doit pas le réduire à un contenu calculable mais plutôt révéler l’être du migrant comme simultanément ouvert au passé, au présent et au futur. En insistant sur la multiplicité des transports vers le futur, le passé et le présent, les chercheurs peuvent remettre en cause les antinomies entre le temporaire et le permanent, l’existence réelle ou idéelle fréquentes dans les travaux sur les migrations et aussi questionner la séparation du temps et de l’espace dans des domaines logiquement distincts. Une telle approche peut aussi aider à explorer les possibilités d’émergence d’autres espaces-temps de la migration qui ne proviennent pas des migrants eux-mêmes et donnent lieu à des rencontres spatio-temporelles intersubjectives (comme l’espace-temps de la mobilité religieuse, Shubin 2012).
En adoptant la pensée conceptuelle de Heidegger sur l’espace et le temps, cet article apporte à la recherche sur la migration un focus nécessaire sur l’espace-temps. Il est vital pour les théories de la migration de mieux refléter la multiplicité des futurs des migrants créés tout au long du passé et du présent et conditionnant la plénitude du présent. La prise en compte des idées de Heidegger sur l’espace-temps aide à exprimer la complexité des vies de migrants qui ne suivent pas les modèles prévisibles. En explorant les rencontres intersubjectives, les interruptions et les trajectoires désordonnées non orientées vers des buts utilitaires, ce texte espère en outre rendre compte de la richesse et du caractère non exhaustif de «  l’être en mouvement  » (Malpas, 2008 :250) et restaurer l’ouverture de la migration souvent couverte par la gestion calculée des mouvements internationaux.

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[1Suivant en cela Shatsky (2010) j’adopte le terme d’espace-temps trouvé dans l’œuvre de Heidegger (1999) où l’ordre des termes temps et espace n’implique pas une priorité du temps sur l’espace mais considère les deux termes comme mutuellement constitués.

[2Shevchenko (2002) discute les habitudes de consommation des anciens pays communistes à l’époque soviétique quand la tendance des gens à acheter des choses vieilles et obsolètes était justifiée comme un moyen de se protéger de l’inflation et du rationnement alimentaire. Faire des économies «  en cas d’incendie  » était un moyen de se protéger et de réduire la vulnérabilité des individus en cas de changements politiques ou économiques.