Paris, été 2015. L’ancien lycée Jean-Quarré, situé place des Fêtes dans le 19e arrondissement, est occupé par des hommes exilés en provenance d’Afghanistan, d’Erythrée et du Soudan, dont le nombre passe de 150 à environ 1 400 individus en trois mois.
Cet événement [1], né de la confrontation entre services de l’Etat, représentants de la Municipalité, collectifs engagés dans la cause des réfugiés extérieurs au bassin de vie et résidents d’un quartier populaire, a fait l’objet d’une étude de la sociologue Isabelle Coutant [2]. Après une présentation du contexte géo-historique (ce que les éditorialistes appellent la « crise des migrants) dans lequel s’inscrit ce projet éditorial, l’auteure pose le cadre méthodologique de son intervention en expliquant que « son terrain » s’avère être aussi son lieu de vie. Elle choisit donc de s’exprimer à la première personne, certes en qualité de sociologue, mais également en tant que riveraine, militante associative ou encore parente d’élève. Ce qui fait l’originalité de la démarche, c’est en effet ce double regard de « citoyen-chercheur » dans l’analyse d’une expérience collective qui a bouleversé le quotidien des habitants du quartier. La sociologue multiplie ainsi les points de vue en donnant successivement la parole aux représentants des associations de quartier, travailleurs sociaux, immigrés, militants d’horizons divers engagés dans l’accueil, sans oublier les exilés eux-mêmes. Elle met ainsi en lumière des personnalités marquantes, aussi bien du côté des réfugiés que de ses propres voisins, accueillants ou méfiants. Ces portraits permettent de mieux comprendre la manière dont les différents protagonistes vivent et se représentent la relégation des exilés dans une enclave du quartier, à quelques dizaines de mètres de logements sociaux, d’un collège ou d’une école maternelle. A travers la description de cet événement, l’ouvrage montre que la volonté étatique d’invisibilisation des exilés produit une visibilité paradoxale, que le durcissement de la situation au fil du temps laisse éclater au grand jour place des Fêtes. La sociologue s’interroge également sur la posture de certains groupes de militants qui politisent la situation, au détriment de l’intérêt même de leurs protégés, et à mille lieux des enjeux du quartier. Le résultat est une cohabitation difficile entre différents habitants et usagers du territoire. Si les catégories sociales les plus favorisées ont été en première ligne pour défendre une politique d’accueil, les plus fragilisées socialement ont surtout vu dans cette cohabitation forcée une menace possible de déclassement. Dans cet ouvrage, Isabelle Coutant se montre enfin soucieuse de réinscrire les enjeux locaux dans une réflexion plus globale sur le contexte de l’accueil des populations en migration à l’échelle européenne, en posant une question fondamentale à l’heure où les métropoles s’enorgueillissent d’être des villes-monde : à quelles conditions les quartiers populaires peuvent-ils continuer d’assurer la fonction d’accueil qui leur est de fait confiée ?
Philippe Hanus.