
La résidence des Landiers est une résidence ADOMA en Savoie. Comme beaucoup d’autres résidences sociales, elle héberge encore un certain nombre de chibanis (mot qui signifie en arabe « celui qui a des cheveux blancs » et désigne les personnes âgées). C’est le nom que l’on donne depuis quelques années aux immigrés maghrébins arrivés jeunes dans les années 50, 60 et 70 pour répondre aux besoins de main d’œuvre sur les chantiers français. Ils ont construit routes, stations balnéaires et écoles…
Ils témoignent : « En 1969, je suis venu avec le contrat. Le contrat de travail par le service de l’immigration. A ce moment-là c’était la France qui a commandé les immigrés au Maroc. Il y avait besoin de beaucoup de gens... », ou encore : « L’usine c’était à Pontcharra. Ils sont au courant. Ils nous attendent avec un car. On était au moins une trentaine de personnes. Ils nous ont amenés directement à l’usine. C’était une usine de fonderie. On ne savait pas si on allait travailler dans une usine de fonderie. »
Les temps ont changé : on (le système actuel) n’a plus « besoin de beaucoup de gens », ce registre (du besoin de la main d’œuvre) est apparemment révolu avec la société industrielle. Les chibanis comme les anciens ouvriers autochtones ont été parmi les derniers à le vivre. D’où l’intérêt ces dernières décennies de recueillir leur mémoire. Elle nous en dit long sur leur temps mais aussi sur le nôtre : ils n’ont pas construit que des bâtiments et des routes mais aussi fécondé démographiquement, socialement et culturellement la société qui avait fait appel à leurs forces.
Vulnérables en tant que travailleurs (salaires faibles, discriminations dans les formations et les évolutions), ils le demeurent souvent en tant que retraités (petites retraites, décalage par rapport aux structures et services du troisième âge). Le sociologue Abdelmalek Sayad avait forgé à leurs propos la notion de « double absence » (absents ici de là-bas et là-bas d’ici). A leur retraite, ils sont surtout intermittents entre l’appel de là-bas (où souvent ils ont perdu leur place) et « l’habitude » d’ici (où leur place a toujours été précaire).
Pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli total, l’association ADDCAES (Association départementale pour le développement et la coordination des actions auprès des étrangers de la Savoie) et la résidence des Landiers à Chambéry leur ont consacré une exposition et un catalogue : Mémoires (Dhakira).
Abdellatif Chaouite