Le profil des familles d’hébergement
Le concept de famille d’hébergement a d’abord séduit des familles sensibles à la cause des étrangers en France, parfois déjà engagées dans d’autres activités d’aide aux migrants. Il semble cependant que le fonctionnement et surtout l’objectif de ce dispositif en ont peu à peu éloigné certaines. S’agissant de mettre à l’abri les mineurs non accompagnés, il est prévu en effet que ce soit limité au strict temps de l’évaluation de la minorité et de l’isolement de ces jeunes, laquelle peut conduire soit à une confirmation de celle-ci, soit à son infirmation – laquelle nécessite du coup une exclusion du dispositif de protection de l’enfance. Il peut en effet sembler incohérent, mais surtout humainement très éprouvant, d’ouvrir la porte de son domicile et de s’engager personnellement et familialement auprès d’une personne et de devoir, dans un second temps, la remettre à la rue, suite à une décision administrative qu’on n’approuve pas nécessairement.
Ainsi, le profil des familles d’hébergement a peu à peu évolué, intégrant d’autres types de familles, et a permis par là-même de soulever deux questions auxquelles il a fallu trouver des réponses dans le dispositif.
D’une part, il s’est révélé que le statut de bénévole indemnisé peut présenter pour certaines familles l’avantage d’être perçu comme une source de revenus légale et certaine, de sorte qu’il a pu devenir une des motivations de certaines candidatures. Certaines familles se disaient prêtes à accueillir un plus grand nombre de jeunes (au lieu d’un ou deux selon les conditions et comme défini dans le dispositif), au risque-même de porter préjudice à l’équilibre affectif familial, ce qui ne peut se concevoir dans le cadre d’un dispositif relevant de la protection de l’enfance.
Par ailleurs, a également pu être constatée une montée continue de l’engagement familial que l’on pourrait dire « communautaire », avec une montée de candidatures de familles d’hébergement elles-mêmes issues de l’immigration. Si l’on peut reconnaître là une sensibilité d’expérience aux parcours de ces jeunes, il peut également interroger sur deux travers possibles. D’une part ce qu’on pourrait appeler une « ethnicisation » de la mise à l’abri (certaines familles souhaitant accueillir de préférence des jeunes issus de leur pays d’origine ou qui parlent la même langue, par souci de mode de convivialité et de communication au quotidien) ; d’autre part, une concentration de cet hébergement dans certains quartiers particuliers de la métropole. Ces deux dérives ont nécessité de mettre en place des modalités diversifiées et élargies de sensibilisation et de recrutement des familles d’une part et, d’autre part, un accompagnement adéquat par deux travailleuses sociales « chargées de familles », dont le rôle, au-delà de « placer » les nouveaux arrivants dans des familles, est de veiller le mieux possible à une meilleure régulation de ces dimensions.
L’urgence qui fait déborder le dispositif
Si ce dispositif s’avère efficace du point de vue d’une mise à l’abri et d’un accompagnement adéquats aux jeunes MNA, il souffre de travers qui dépendent du contexte dans lequel évolue cette question. En effet, les flux importants des mineurs dans le département et la lenteur administrative associée au traitement de ceux-ci a rapidement conduit à ce que le dispositif soit débordé. Initialement conçu pour mettre à l’abri trois jeunes simultanément pour une durée maximale de trois jours, il accueille aujourd’hui plus de cinq cents jeunes, dont une bonne partie depuis plus d’un an, y compris des jeunes confirmés mineurs qui devraient en principe être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance-ASE (saturée également) dès confirmation de leur minorité .
Ce débordement crée des déséquilibres non seulement en terme d’urgence à gérer le premier accueil de ces jeunes par les professionnels, au détriment parfois d’un accompagnement satisfaisant des familles, mais également en termes d’incidences sur les jeunes eux-mêmes. De même que pour les familles en effet, certains jeunes, et notamment quand leur situation d’hébergés dure trop longtemps, s’installent dans des exigences qui vont au-delà des nécessités premières de mise à l’abri et de protection. Si la chose semble compréhensible et indique finalement que le dispositif joue pleinement son rôle à ce niveau, il soumet aussi parfois à des tensions, incompréhensions ou incompatibilités la relation entre les familles et les jeunes. Et ceci surcharge de fait le travail des professionnels.
Certaines de ces tensions peuvent se comprendre en se référant aux parcours migratoires souvent compliqués, voire traumatisants de ces jeunes – la plupart proviennent d’Afrique noire et ont vécu de véritables traumatismes lors de leur traversée du Sahara, de la Libye ou autres pays du Maghreb et de la Méditerranée. Ces parcours conditionnent parfois les comportements de ces jeunes, vis-à-vis des familles d’origine maghrébine par exemple, ou entraînent des exigences, d’ordre alimentaire ou vestimentaire ou de conditions d’horaires, en eux-mêmes compréhensibles, mais difficilement compatibles avec ce que suppose un dispositif d’hébergement d’urgence.
Un dispositif à performer
La mise à l’abri au sein de familles d’hébergement représente l’avantage incontestable de permettre à des mineurs (ou jeunes majeurs) d’intégrer la société par la grande porte en quelque sorte, en en comprenant les rouages par le biais du vécu quotidien des familles. Ils y expérimentent les rythmes concrets de la vie sociale de même que les limites et les astreintes liées à ces rythmes, en même temps, ils y sont à l’abri. Cet espace offre donc d’autres avantages que les espaces plus impersonnels (hôtels, foyers, etc.), un accompagnement familial notamment (attention, partage de la vie familiale, suivi scolaire pour les scolarisés, etc.) en plus de l’accompagnement social assuré par les professionnels. De surcroît, il est moins connoté d’ambiguïtés (extra-territorialité, marginalité, etc.). C’est un espace qui leur permet de mieux accorder les temporalités qui se croisent à leur niveau (institutionnelles, personnelles, incertaines en attente de leur confirmation, etc.).
Pour autant, les difficultés que rencontrent les institutions elles-mêmes (lenteur des procédures, saturation des espaces adéquats pour la protection de l’enfance, etc.), combinées au manque de moyens à la hauteur des afflux croissants des MNA, maintiennent ce dispositif et ses professionnels dans un fonctionnement d’urgence (prioriser la mise à l’abri) qui retarde les nécessités de sa performation.
Au moins deux axes seraient nécessaires à développer (en dehors des difficultés institutionnelles qui ne sont pas ici de notre ressort) : l’accompagnement des familles d’hébergement en intégrant une formation de celles-ci aux problématiques de ces mineurs (les outiller d’un minimum d’éléments nécessaires sur le plan des connaissances des profils de ces mineurs, de leurs problématiques, de leurs trajectoires, de leurs cultures, etc., mais aussi sur ce que héberger et accompagner veut dire). En même temps, il faudrait introduire dans le dispositif une compétence de médiation spécialisée entre ces jeunes et ces familles (mais aussi avec d’autres partenaires accompagnateurs) pour améliorer ses performances.