N°129

Le dossier : Migrants mineurs

L’intérêt supérieur des enfants

doit primer sur toute considération

par Jacques TOUBON

La prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe fondamental, inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant.
Au regard des missions qui lui ont été confiées par la loi organique du 29 mars 2011 et par le comité des droits de l’enfant de l’ONU, le Défenseur des Droits veille à l’application de la convention relative aux droits de l’enfant en France et considère que l’intérêt supérieur des enfants doit primer sur toute considération, y compris celle concernant les politiques migratoires gouvernementales.
A cet égard, le Défenseur des Droits rappelle, qu’un mineur isolé étranger est d’abord un mineur en danger. Secondairement, et sans que cela doive entraver ses droits, ce mineur est de nationalité étrangère.

Selon la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France le 7 Août 1990, « un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable ».

La Convention internationale des droits de l’enfant

Makhlouf Boubeker

L’article 2 de la convention indique que « Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation. »

Dans son article 3, la Convention relative aux droits de l’enfant prévoit que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait (…) des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Il résulte de ces dispositions, comme le rappelait le Comité des droits de l’enfant dans son observation générale N°6 du 1er septembre 2005, que « la jouissance des droits énoncés dans la Convention n’est [donc] pas limitée aux enfants de l’État partie et doit dès lors impérativement, sauf indication contraire expresse de la Convention, être accessible à tous les enfants y compris les enfants demandeurs d’asile, réfugiés ou migrants, sans considération de leur nationalité, de leur statut au regard de l’immigration ou de leur apatridie ».

Les obligations juridiques qui en découlent comprennent tant des obligations de faire, que des obligations de ne pas faire. L’État a, en effet, la responsabilité de prendre des mesures visant à garantir l’exercice de ces droits sans discrimination, mais également de s’abstenir de prendre certaines mesures attentatoires aux droits de ces enfants.

Le Défenseur des Droits est, depuis plusieurs années, particulièrement saisi de situations de mineurs non accompagnés en errance sur le territoire, qui ne parviennent pas à être pris en charge et donc ne bénéficient pas d’une mesure de protection telle que prévue par la Convention internationale des droits de l’enfant.

Il relève que, dans la plupart de ces situations, ces jeunes voient leur identité, leur âge, leur histoire et leur parcours remis en cause, sinon déniés par leurs interlocuteurs.

Par ailleurs, dans de nombreuses situations dont le Défenseur des Droits a eu à connaître, les mineurs non accompagnés pris en charge par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance ne bénéficient que d’une intervention limitée, parfois à un accueil de type hôtelier, sans accompagnement éducatif, sans recherche ou possibilité de scolarisation ou de formation professionnelle, sans démarche constructive sur le long terme, visant à élaborer avec eux un projet de vie, à leur assurer un avenir et une possibilité d’intégration dans la société dans laquelle ils vivent.

La vigilance du Défenseur des Droits

Le Défenseur des Droits est opposé à la création d’un droit « spécial » pour les mineurs non accompagnés. Il reste vigilant quant au potentiel glissement du droit applicable à ces jeunes, de la protection de l’enfance vers un droit spécifique, qui ferait sortir ces jeunes du cadre protecteur de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).
Or, le 20 octobre 2017, le Premier ministre, devant l’Assemblée des Départements de France, déclarait que « l’Etat assumera l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineures entrant dans le dispositif [de protection de l’enfance], jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée »
Le Défenseur des Droits ne considère pas que la mise à l’abri et l’évaluation relèvent de l’État et est opposé à ce que les mineurs non accompagnés sortent du dispositif de droit commun de protection de l’enfance.
En 2016, la France s’est dotée d’un arsenal législatif et réglementaire important, au premier rang duquel la loi n°2016-297 du 14 mars 2016, venue donner un cadre légal à la répartition nationale des mineurs non accompagnés (MNA), ce qui a permis de relancer effectivement cette répartition, bloquée un temps suite à l’arrêt du Conseil d’État du 30 janvier 2015.
Plusieurs textes relatifs aux MNA ont été adoptés pour l’application des dispositions de cette loi (décret n° 2016-840 du 24 juin 2016, arrêté du 28 juin 2016 du Garde des Sceaux relatif aux modalités de calcul de la clé de répartition et arrêté du 17 novembre 2016, relatif aux modalités de l’évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille).
A leur tour, les départements ont mis en place un certain nombre de dispositifs de mise à l’abri, d’évaluation et/ou de prise en charge pérenne des mineurs non accompagnés Ces dispositifs, pour beaucoup centrés sur l’évaluation de la minorité de ces enfants et la réalité de leur isolement, ont parfois eu pour effet de retarder la prise en charge éducative des enfants. Les disparités territoriales quant à l’évaluation de la minorité et la qualité de la prise en charge de ces jeunes, sont par ailleurs extrêmement fortes.
Au regard des multiples saisines du Défenseur des droits, il s’avère en effet que les dispositions relatives aux modalités de l’entretien social d’évaluation sont encore méconnues et mal appliquées pour ces jeunes.
Aussi, le Défenseur des Droits insiste-t-il, sur l’impérieuse nécessité de poursuivre les efforts d’harmonisation des pratiques d’évaluation sociale.

Des traitements disparates

Le Défenseur des Droits constate en outre que le recours aux examens médicaux d’évaluation de l’âge est toujours très important dans de nombreux départements.
Le Défenseur des Droits réitère avec fermeté son opposition à la pratique de ces examens (les tests osseux comme on les appelle souvent) et déplore que sous prétexte de les encadrer, la loi du 14 mars 2016, les ait inscrits dans la loi, qui plus est sous une forme rédactionnelle qui prête largement le flanc à la critique.
Le Défenseur des Droits, avait à ce titre, relevé l’imprécision des notions de « documents d’identité valable », d’âge allégué « vraisemblable », et de « doute ».
Ces imprécisions du législateur font perdurer des traitements très disparates suivant les juridictions et les magistrats, entraînant des inégalités de traitement majeures sur le territoire.
Par ailleurs la réalisation même de ces examens, leur lecture, les lieux où ils sont réalisés sont loin d’être les mêmes sur l’ensemble du territoire. Il est impératif, si le gouvernement ne souhaite pas en abolir définitivement le principe, ce que le Défenseur des Droits ne pourrait que déplorer, d’harmoniser les pratiques médicales, d’imposer la double lecture des résultats par des médecins spécialement formés en la matière et d’en interdire formellement la réalisation en dehors d’une unité médico-judiciaire (UMJ).
Il doit être par ailleurs rappelé que le mineur doit consentir à l’examen et que son refus ne pourait être interprété comme un aveu de majorité.

Pour un administrateur ad hoc

Le constat des difficultés persistantes rencontrées par ces jeunes dans leur accès aux droits et à la justice conduit le Défenseur des Droits à préconiser la création d’un véritable administrateur ad hoc, indépendant, financé par l’État, nommé pour le jeune se disant mineur non accompagné, jusqu’à la décision définitive le concernant.
Qu’on le nomme gardien, administrateur ad hoc ou tuteur provisoire, il est aujourd’hui nécessaire afin de se conformer notamment aux préconisations des différentes instances internationales (Conseil de l’Europe, Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, réseau européen des défenseurs des enfants - ENOC) de prévoir que les jeunes se déclarant mineurs puissent être accompagnés par un adulte qualifié, qui veillera à garantir les droits de la personne dans toutes les procédures relatives à la vérification de sa minorité et de son isolement. Enfin, une fois pris en charge, les enfants isolés étrangers sont encore trop souvent écartés du droit à l’éducation, à un soutien et un accompagnement socio-éducatif de qualité et du droit à une aide psychologique et sanitaire, nécessaire pour ceux qui ont vécu les épreuves de l’exil, des parcours longs et douloureux et pour certains des violences, notamment sexuelles.
Les mineurs isolés ont besoin d’être protégés, que leurs droits soient respectés afin qu’ils puissent bénéficier d’une prise en charge adaptée

Pour cela, le Défenseur des Droits considère qu’il est impératif aujourd’hui de donner aux services d’Aide Sociale à l’Enfance dans tous les départements, des moyens appropriés de réaliser cette mission.