N°129

Le dossier : Migrants mineurs

Entretien avec Geneviève AVENARD

Geneviève Avenard est Défenseure des Droits des enfants, Adjointe du Défenseur des Droits, chargée de la défense et de la promotion des Droits et de l’intérêt supérieur des enfants

Vous êtes adjointe au Défenseur des Droits en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant. Pouvez-vous d’abord nous présenter votre mission et la manière dont on peut vous interpeller ?
Geneviève Avenard : En vertu de la loi organique du 29 mars 2011, je suis chargée d’assurer auprès du Défenseur des Droits, autorité administrative indépendante, la défense et la promotion des droits et de l’intérêt supérieur des enfants tels qu’ils sont reconnus par la loi et par les engagements internationaux dûment ratifiés par la France, au premier rang desquels la convention internationale des droits de l’enfant.
Je rappelle que cette Convention, qui est aujourd’hui le traité le plus ratifié au monde, a été adoptée en 1989 par les Nations unies, et qu’elle reconnaît les enfants comme des sujets de droit à part entière. Mon rôle est donc de veiller à ce que tous les enfants, définis comme tout être humain âgé de moins de 18 ans résidant sur le territoire français, quelle que soit leur situation, puissent accéder à l’ensemble des droits consacrés par la Convention : droit à la santé, à la protection contre toute formes de violence, à un niveau de vie suffisant, à l’éducation, mais aussi droit à l’égalité et à la non-discrimination, ou droit à exprimer son opinion sur toute question les concernant.
Concrètement, nous sommes saisis de réclamations individuelles, ou portant sur plusieurs enfants, par des parents, la famille élargie, des associations, des professionnels, par les enfants eux-mêmes. La saisine est gratuite et simple, puisqu’elle peut se faire par tout moyen, y compris par le recours à l’un de nos 500 délégués présents sur l’ensemble du territoire français.
Cependant, nous constatons que la Convention internationale des droits de l’enfant reste largement méconnue dans notre pays, et que les recours au Défenseur des Droits se situent très vraisemblablement bien en deçà des réalités de dénis de droit auxquelles se trouvent confrontés les enfants : d’où le deuxième volet de ma mission, qui relève de la promotion, c’est-à-dire toute action visant à communiquer, informer, sensibiliser, former, les professionnels, le grand public et d’abord les enfants à leurs droits.

Makhlouf Boubeker

Sur l’ensemble des saisines que vous traitez, combien concernent les Mineurs non accompagnés ? Et pour quels types de problèmes ou de dysfonctionnements ?
G A : Sur l’ensemble des saisines traitées au siège de l’institution par le pôle Défense des droits de l’enfant, environ 15% concernent les Mineurs non accompagnés. Les délégués du Défenseur des Droits sont en outre sollicités dans le cadre de leurs permanences sur le sujet.
Sur les deux années écoulées, le Défenseur des Droits a été saisi de situations individuelles ou collectives concernant des Mineurs non accompagnés sur 56 départements.
Le Défenseur des Droits peut être saisi par les jeunes eux-mêmes, des associations, des travailleurs sociaux, des avocats mais il peut aussi se saisir d’office, soit parce que son attention a été attirée sur une situation par un article de presse, soit parce qu’il a été saisi par une personne n’ayant pas compétence pour le faire et que la saisine n’a pu être régularisée (par une lettre du jeune par exemple).
Parmi les motifs de sollicitations, on peut distinguer :

  • Les problèmes rencontrés dans l’accès à la prise en charge (difficultés d’accès à la mise à l’abri, dans le cadre de l’évaluation de minorité et d’isolement, difficultés d’accès au juge, décisions judiciaires de placement non exécutées…) ;
  • Les difficultés rencontrées dans la prise en charge elle-même (lieu d’hébergement – prises en charge à l’hôtel –, accompagnement éducatif et juridique, accès aux contrats jeunes majeurs…) ;
  • Et particulièrement les atteintes à des droits fondamentaux tels que le droit à la santé, à l’éducation…

Les Mineurs non accompagnés relèvent de la Protection de l’enfance, mais l’âge majoritaire de leurs arrivées sur le territoire (entre 15 et 17 ans), les difficultés liées à l’évaluation de la minorité et aux moyens d’hébergement dans les départements, retardent souvent la prise en charge et les rapprochent de l’âge de la majorité qui fait intervenir également le droit des étrangers. On voit déjà pointer en quelque sorte une autre question qui est celle des « jeunes majeurs ». Quel est votre avis à ce niveau ?
G A : Le passage à la majorité des jeunes pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance continue d’une manière générale à représenter un moment extrêmement difficile et périlleux, dans un contexte financier qui conduit de plus en plus de départements à réduire significativement le nombre et la durée des contrats jeunes majeurs. Les Mineurs non accompagnés sont particulièrement concernés par le défaut majeur d’anticipation en termes d’insertion sociale et professionnelle. Ainsi, ils doivent avoir accompli une formation professionnelle qualifiante d’au moins six mois entre seize et dix-huit ans, pour pouvoir prétendre à un titre de séjour en France. Or, par exemple, nous sommes régulièrement alertés par les difficultés rencontrées par des Mineurs non accompagnés pris en charge par les services d’Aide Sociale à l’Enfance après leurs seize ans, pour obtenir les autorisations de travail nécessaires à la conclusion d’un contrat d’apprentissage.
C’est pourquoi, a minima, il faut rendre effectives et opérationnelles les dispositions de la loi du 14 mars 2016 fixant un entretien avec le jeune un an avant sa majorité, et que cet entretien enclenche un accompagnement personnalisé de ce dernier vers le droit commun des majeurs, à l’aide médicale d’État, dans le dépôt d’une demande d’asile lorsque c’est envisageable, voire dans l’élaboration d’un projet de retour dans le pays d’origine.
Ensuite, nous recommandons avec le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, que l’État s’implique de manière plus forte dans l’accompagnement des jeunes majeurs, en renforçant les dispositifs d’hébergement et d’insertion dédiés, et ce, quelle que soit leur situation administrative au regard du droit au séjour.
En plus de faciliter leur accès aux dispositifs d’urgence « adultes » via les Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation (SIAO), l’Etat doit absolument veiller à réduire les délais d’instruction des demandes de titres de séjour, et à envisager systématiquement en faveur du jeune, toutes les catégories de titres de séjour auxquelles il peut prétendre, sans se limiter à l’examen de la seule demande initiale, qui selon nos différentes observations, peut ne pas être adaptée et conforme à leur situation. Mais bien sûr, l’hypothèse la plus « simple » serait de faire bénéficier les Mineurs non accompagnés pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance de l’octroi de plein droit d’un titre de séjour dès lors qu’ils sont engagés dans un parcours d’insertion.

L’un des dispositifs de mise à l’abri des Mineurs non accompagnés mis en place dans certains départements par des opérateurs est l’hébergement en familles bénévoles. Que pensez-vous de ce type de dispositif et dans quel sens faudra-t-il le performer ?
G A : Je suis favorable à toute solution permettant à ces jeunes d’être accueillis, mis à l’abri et accompagnés de manière personnalisée et bienveillante, après les traumatismes de leur exil et de leur parcours d’errance : leur permettant de « poser leurs valises », de s’apaiser et de soigner leurs maux. De ce point de vue, l’accueil en famille me paraît une solution plutôt bien adaptée. Par ailleurs, le recours au bénévolat me semble une piste intéressante pour faire face aux enjeux critiques auxquels nous sommes confrontés. Il convient toutefois dans ce cas, de se doter de garanties suffisantes pour s’assurer des motivations de ces familles bénévoles, et de leurs capacités à répondre aux besoins des mineurs confiés, aussi de leur engagement sur le plus long terme : il faut en fait être vigilant à ne pas créer les conditions de nouveaux dangers ou risques pour ces adolescents déjà blessés.

Que vous inspire en fin de compte cette montée en charge de la circulation des mineurs dans le monde ? Autrement dit, à quel niveau (national, européen, international) le droit (ou le politique) doit opérer et comment pour garantir la protection de ces mineurs ?
G A : Depuis deux ou trois ans, nous n’avons de cesse, au niveau du réseau européen des défenseurs des enfants (ENOC) de défendre l’urgence d’une approche globale et d’un traitement international de cette problématique. En 2016 sur la base du rapport d’ENOC, le Défenseur des Droits a organisé une journée à l’UNESCO intitulée « Enfants, Europe, urgence - Protection et avenir des enfants migrants : un défi pour l’Europe » qui a rassemblé l’ensemble des associations de médiation et de défense des droits (l’AOMF Association des Ombudsmans et Médiateurs de la Francophonie, l’AOM Association des Ombudsmans de la Méditerranée et l’Institut International des Ombudsmans), les représentants de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe. La déclaration finale a été ensuite portée auprès des différentes autorités européennes et nationales, et nos réseaux ont continué à se mobiliser. Depuis quelques mois il semblerait que la question soit enfin prise en considération aux différents niveaux requis, il faut espérer que les déclarations d’intention se traduisent rapidement par des mesures concrètes conformes dans tous les cas à l’intérêt supérieur des enfants.