
Ce qu’ils font est juste parce-qu’ils mettent la solidarité et l’hospitalité à l’honneur, lit-on. Mais Enki Bilal préface le livre en disant : ce qu’ils font est juste « parce qu’ils ont essuyé des orages, nagé, ont peur, comptent sur nous… parce qu’ils sont humains (comme nous ?) ». Les yeux qu’il leur a dessinés nous regardent et disent mieux encore que les mots cette interrogation (comme nous ?). Le fait même de la poser ou de se la poser fait peur ! Ce à quoi répond Philippe Claudel : « Roya / Roya / Le cri qui roule sur les cailloux et chante / Roya » ou encore : « Ici le vent pousse la vie / S’ouvrent les cœurs / Comme s’ouvrent grand les portes des granges / Le beau foin nouveau est ton sommeil / Roya / Royaume ici-bas du passe-vent ». Et plus d’une vingtaine d’écrivain.e.s. également qui ont pris la plume dans ce livre pour se rendre complices d’un acte, l’hospitalité d’un étranger (un « indésirable » ?), dont, par temps dits de « crise », on tend à faire un délit.
Cette histoire n’est pas nouvelle, elle dure depuis le fameux article de loi L 622 qui date de 1938, élaboré dans un climat de méfiance vis-à-vis des étrangers, voire de racisme et d’antisémitisme comme le rappelle Béatrice Vallaeys dans la post-face de ce livre. Comme elle rappelle comment s’est construit dans cette lancée le « délit d’hospitalité » ainsi que disent les acteurs solidaires des migrants. Cet article (texte apparemment « unique en Europe ») a été objet d’un renvoi de la balle entre différents gouvernements ces dernières décennies, avec promesse de l’abroger (de la part des socialistes), non tenue, comme le vote local des étrangers et certains autres. En 2012, il a été simplement aménagé (élargissement du champ des immunités). Aujourd’hui encore, comme chacun sait (exemple de la vallée de la Roya), des citoyens français se trouvent poursuivis pour avoir apporté aide et assistance à des étrangers.
Oui « l’immigration, ça fait toujours des histoires » ! Des petites histoires que les uns et les autres se racontent, oubliant souvent qu’elle fait aussi l’Histoire et qu’il faudra faire avec, et aujourd’hui et demain plus encore qu’hier. Les dits migrants l’ont compris à leur façon, « ils ne laissent pas le monde » uniquement à ceux qui veulent le façonner à leur détriment, comme dirait le poète. Les acteurs de l’hospitalité également, ils ne laissent pas non plus le monde uniquement à ceux qui ne veulent pas le partager.
Abdellatif Chaouite