N°129

Notes de lectures

La mort aux frontières de l’Europe Retrouver, identifier, commémorer

Coordonné par Carolina Kobelinsky et Stefan Le Courant

par Bruno GUICHARD

Ed. le passager clandestin 2017

Le programme de recherche Babels, est à l’initiative de la parution de La mort aux frontières de l’Europe. Ce programme scientifique est placé sous la direction de Michel Agier, anthropologue, directeur d’études à l’EHSS. Il réunit une quarantaine de chercheurs répartis sur une quinzaine de sites en Europe et aux portes de l’Europe, et propose, à travers une ethnographie comparée des villes-frontières, des villes-refuges et des villes-carrefours, de questionner l’actuelle « crise migratoire » sur notre continent. Il s’agit également de penser la violence des frontières contemporaines et de réinventer une politiqué de l’hospitalité.
La mort aux frontières de l’Europe a été coordonné par Carolina Kobelinsky et Stefan Le Courant avec des contributions de Paola Diaz, Filippo Furri, Maél Galisson, Christine Moliner, Ana Pian, Sara Prestianni.

Quantifier les morts et les disparus a toujours été un enjeu politique majeur et cela pour plusieurs raisons, la première est de rendre visible une personne, son histoire, sa singularité, la seconde est de rendre visible une réalité pour lui donner la consistance d’un fait historique, car nous ne sommes pas dans la catégorie d’un fait divers ! L’importance inimaginable du nombre de victime nous oblige, si nous voulons rester des Hommes, à chercher à trouver des responsabilités et donc des responsables.
On ne peut pas mourir impunément sur les barques des passeurs ou les tunnels de la frontière franco-italienne entre Vintimille et Nice. L’Europe a décidé de fermer ses frontières. Le livre en trace l’histoire et ses conséquences dont l’une est le chiffre de 40000 morts entre le 1er janvier 1993 et le 31 décembre 2016. L’Europe et les européens ne peuvent pas regarder ailleurs. Le constat est terrifiant, il interroge bien évidement les conditions de la construction européenne. Aucune mesure sécuritaire n’a freiné le flux des migrants par contre elles font le jeu des passeurs et des marchands de dispositif sécuritaire.
Les associations d’aide aux migrants organisent régulièrement des cérémonies pour accompagner la mort de migrants ou rendre hommage, comme au dessus de Nice face à la mer au « pas de la mort », à celles et ceux qui resteront sans sépulture.
Avec de multiples témoignages le livre explique que les migrants ne meurent pas toutes et tous en mer, par exemple à la frontière franco britannique 49% des décès surviennent lorsque les personnes sont cachées dans ou sous un camion par suffocation, déshydratation, hypothermie ou écrasées par la marchandise et même par le véhicule.
Les auteurs nous font découvrir la création, par l’association Askavusa qui signifie pied nu, du musée
Porto M à Lampedusa qui présente les objets échoués sur les plages : des bibles, des chaussures, des Corans, des lettres et des photos, des bouteilles, des papiers… un menuisier de la ville récupère même le bois des barques pour fabriquer des croix. Des musées essentiels. Au fil des pages, nous découvrons également des initiatives prises par des artistes comme à Berlin en 2015 sur le thème « les morts arrivent ». Les artistes du Center for Political Beauty questionnent une nouvelle fois ce que nous avons appris de l’Holocauste. Ce collectif prendra même en charge le rapatriement du corps d’une migrante syrienne pour qu’elle puisse reposer près de son mari.
Le livre nous fait donc découvrir de nombreuses initiatives d’humanité, car face à la mort nous ne sommes ni dans la solidarité ni dans la compassion mais bien dans le respect de l’Etre Humain, dans la défense de la Dignité humaine. C’est un voyage au pays des morts que nous font vivre les auteurs.
Ces « crimes de paix » comme le dit Maurizio Albahi « sont des formes de violences institutionnalisées, justifiées par la conservation du système social occidental » et cela dans une violence inouïe contre les migrants.

Bruno GUICHARD

Dans le prolongement du livre La mort aux frontières de l’Europe, il faut saluer le journal allemand Der Tagesspiegel. Dans un document exceptionnel de 48 pages, ce journal a publié le 10 novembre 2017, pour la Journée internationale contre le fascisme et l’antisémitisme, le nom, l’âge et la nationalité de 33293 migrants, morts sur la route de l’Europe. 33293 personnes qui ne seront donc jamais ni refugiés ni sans papiers… 33293 lignes pour dire une ligne de vie, une ligne de mort ! Une histoire individuelle qui un jour peut être sera racontée. Pour l’instant « les assis » peuvent dormir tranquille… La presse européennes s’est fort justement honorée de ses papiers sur les diverses fraudes et évasions fiscales « Panamapapers et Paradise papers » ; là nous trouvons sans surprise toute la « jet set » financière, industrielle et culturelle. Mais quel silence sur ce travail journalistique de la presse allemande ; une brève par ci, tout de même ! Une brève par là... mais vite retournons aux choses sérieuses, la finance et ses dérives ; mais ces arrangements financiers ne sont une surprise que pour les aveuglés du système.

La liste des morts couvre quarante-huit pages, beaucoup sont devenus des NN pour « nomen nescio » (nom inconnu), sans nom certes, mais leur existence est enfin reconnue. Les journalistes allemands avec l’association UNITED pour l’action interculturelle(1) (Réseau européen contre le nationalisme, le racisme, le fascisme et le soutien aux migrants et aux réfugiés) ont tenté de rassembler toutes les données disponibles : nationalité, âge, date et causes de la mort. Tous ne sont pas morts en mer : comme par exemple Samarawit, érythréenne de 17 ans qui a perdu la vie près de Calais, Milet, érythréen de 16 ans qui a été percuté par un camion il y a un an, sous un tunnel à la frontière franco-italienne, un Somalien de 17 ans qui est mort dans la ville allemande de Schmoelln le 21 octobre 2016, poussé par des militants d’extrême-droite depuis un immeuble, d’autres sont morts en centre de rétention, d’autres se sont suicidés….
« Nous voulions honorer leur mémoire », a écrit l’éditorialiste de Der Tagesspiegel pour expliquer ce travail colossal, « Rappeler par là-même que derrière chaque ligne il y a une histoire, et que cette liste continue de s’allonger jour après jour ». Les dernières lignes datent du 29 mai 2017.
Pour présenter cet immense et si nécessaire travail UNITED for Intercultural Action a choisi le 9 novembre car c’est durant la nuit du 9 novembre 1938 que fut commis le pogrom « Kristallnacht », la nuit de Cristal qui, fut la première nuit menant à l’extermination des Juifs européens par les nazis « Aujourd’hui, nous pouvons observer une indifférence et une xénophobie similaires d’une grande partie de la société envers les réfugiés et les demandeurs d’asile qui caractérisaient la société européenne dans les années 1930 contre les Juifs, les Roms, les homosexuels et les handicapés mentaux, ennemis du régime nazi »... « Le 9 novembre, nous voulons attirer l’attention des gens sur le fait que nous devons nous engager à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher la persécution, l’oppression et les génocides par des régimes totalitaires avant qu’ils ne puissent se manifester. »
Et l’association de préciser que « Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, certains pays qui hésitaient à accorder l’asile aux victimes de l’Holocauste ne veulent pas non plus soutenir les réfugiés et les demandeurs d’asile aujourd’hui ; nous devons rester fermes et nous opposer à la rhétorique anti-immigrés et aux récits populistes qui aboutissent à l’ampleur de la violence motivée par des préjugés que nous observons de nos jours dans toute l’Europe. Si nous restons immobiles et n’agissons pas contre la violation des droits des autres, nous contribuons pratiquement à ce que le fascisme gagne du terrain et que la démocratie s’efface. »

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