
La dénomination Mineurs non accompagnés a remplacé celle de Mineurs isolés étrangers. Comment expliquer la situation spécifique de cette catégorie d’étrangers au regard du droit ?
Sophie Hassid : La loi française ne distingue pas selon que le mineur soit étranger ou français, mais protège en général l’enfance en danger. La situation des Mineurs isolés étrangers (MIE) caractérisée ainsi, les rattache au droit commun de la protection de l’enfance, laquelle est de la compétence du département. Aux titres notamment des articles 375 du code civil et L221-1 du code de l’action sociale et des familles, l’État leur doit protection et assistance, qu’ils soient nationaux ou étrangers. En conséquence, le jeune MIE sera confié à l’Aide Sociale à l’Enfance qui dépend du département et, à Lyon, de la Métropole.
Deux principaux textes (la loi du 5 mars 2007 et celle du 14 mars 2016) ont précisé l’approche spécifique aux MIE en restant inscrits dans ce même esprit.
Quelle est la procédure quand un enfant étranger arrive en France ?
S H : Quand le mineur arrive sur le territoire, il doit être immédiatement protégé. Ainsi, le Parquet doit rendre une OPP (Ordonnance de Placement Provisoire) de 5 jours dans l’attente de l’étape suivante : la décision du juge pour enfant. Dans un second temps, le juge des enfants pourra (ou pas) prendre une décision d’assistance éducative qui justifie de le confier à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Celle-ci doit lui assurer hébergement, santé et éducation. Le cas échéant, il est possible de saisir également le juge des tutelles, au titre de son devoir de surveillance général, pour qu’il délègue l’autorité parentale au profit de l’ASE. La prise en charge par l’ASE aura lieu si, après évaluation par le département, la minorité est acquise.
Une fois les 18 ans atteints, le juge des enfants peut prononcer une ordonnance « jeunes majeurs » qui maintient jusqu’à l’âge de 21 ans la prise en charge.
Dans les faits, que se passe-t-il actuellement ?
S H : Les services d’accueil et d’évaluation d’un certain nombre de départements sont actuellement dans l’incapacité de réaliser rapidement leur mission. Nous le constatons notamment à Lyon depuis plusieurs mois. La MEOMIE (Mission d’Évaluation et d’Orientation des MIE) met au moins 2 mois à recevoir et évaluer les MIE. La presse en a fait état. Sans nier les difficultés rencontrées par l’administration, la Métropole doit assumer ses responsabilités en la matière. Et cela est possible.
Le positionnement du Parquet face à cette situation questionne également. D’une part, il ne prend actuellement plus d’OPP alors que les mineurs attendent entre 2 à 5 mois une décision du juge des enfants. Deux à cinq mois pendant lesquels ils dorment sous les ponts comme l’a montré un récent reportage de France 3. D’autre part, le Parquet conteste assez systématiquement l’âge des mineurs au travers de leurs actes de naissance.
Face à cette situation, associations et avocats mènent des batailles juridiques importantes. D’une part, nous saisissons le Tribunal Administratif de requêtes en référé liberté ayant pour finalité l’hébergement d’urgence des jeunes dans l’attente de la décision du juge des enfants.
Deux ordonnances récentes du Conseil d’État du 13/07/17 et du 25/08/17 doivent être soulignées. L’une contraint l’État à mettre en œuvre l’hébergement d’urgence pour les mineurs isolés, l’autre répond à l’argument du coût de la prise en charge opposé par un département mis en cause. Selon le Conseil d’État, l’argent n’est pas un argument lorsque la part consacrée à la prise en charge des MIE reste une infime part du budget global de ce département.
La Métropole a pour le moment toujours trouvé une solution d’hébergement dans les heures précédant l’audience. Mais la Métropole n’est pas astreinte à scolariser et prendre en charge la santé des mineurs. Combien de mineurs sans avocat, sans association pour les aider, attendent une prise en charge ?
D’autre part, nous nous élevons contre la mise en cause systématique des actes d’état civils étrangers qui devraient a priori être considérés valides (article 47 du Code civil). Jusqu’à janvier dernier, le Parquet engageait des poursuites pénales pour faux et usage de faux et escroquerie contre des MIE accusés d’avoir produit de faux actes de naissance pour prouver leur minorité et ainsi être pris en charge par l’ASE. Cela a pu conduire à des peines de prison et des condamnations à des dommages et intérêts (équivalents aux nombres de jours de prise en charge par l’ASE). Des arrêts de la Cour d’appel de Lyon de janvier 2017, ont relaxé les MIE en affirmant que le Parquet n’apportait pas la preuve de la majorité, le doute devant donc profiter au mineur.
Depuis, il n’y a plus de poursuites pénales, mais le Parquet poursuit sous d’autres formes sa politique pénale : des « rappels à la loi » sont notifiés aux MIE. Aucun débat n’a donc lieu devant le tribunal correctionnel. Sur cette base, la Préfecture peut ensuite décider de prononcer une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) contre ces jeunes considérés comme majeurs en situation irrégulière. Cela nous conduit à introduire de nouvelles actions en justice pour prouver la minorité.
Pour écarter les actes de naissance, l’État a recours à des expertises osseuses… méthode dont la fiabilité est depuis de très nombreuses années contestée par les médecins.
Comment apprécier cette évolution de la politique globale de l’État et des autorités publiques ?
S H : Tous ces éléments indiquent qu’il y a une défaillance prolongée de l’État et des autorités publiques dans leur devoir de protection de ces jeunes.La politique du Parquet, telle que nous la voyons mise en œuvre, peut effectivement être interrogée comme restrictive dans l’accès au droit des MIE.
Le Premier Ministre a publié le 20 octobre dernier un communiqué relatif à ce sujet laissant planer une incertitude inquiétante quant à la volonté de ce gouvernement. Le communiqué parlait de « clarifier les coûts de la gestion de la prise en charge des MIE » et avançait l’idée que « l’évaluation de la minorité et l’hébergement provisoire » deviendraient de la compétence de l’État.
On peut faire une double lecture de ce communiqué. En premier lieu, le Premier Ministre semble considérer que les mineurs étrangers relèvent de la gestion des flux migratoires. L’État deviendrait compétent, avec le risque que les mineurs étrangers isolés soient moins protégés. Par qui seront-ils pris en charge ? Dans quelles conditions ?
En second lieu, les coûts dictent la politique. Pourtant, en 2016, selon l’ONAS (Observatoire National à l’Action Sociale), sur 320 000 enfants pris en charge par l’ASE, seuls 18 000 étaient des MIE, chiffrage qui tend à relativiser l’importance des moyens et des coûts nécessaires à traiter leur situation.
A la lecture du communiqué ministériel, doit-on craindre une remise en cause des obligations légales, conventionnelles ou constitutionnelles de l’État vis a vis des mineurs isolés étrangers ? Ce serait un recul catastrophique sur le plan des droits de l’homme.
Malheureusement, les signaux identifiés sont inquiétants. Le Défenseur des Droits témoigne lui-même de son inquiétude. Lors d’une intervention au colloque du SAF à Lille le 30 septembre dernier, sa déléguée a fait état de 1000 saisines par an de violation des droits des MIE, violations « assumées par les autorités publiques qui défendent le principe de gestion de cette situation dans le cadre des flux migratoires ».
L’Étranger tend à primer sur la Minorité. L’État cherche des biais pour refuser leur prise en charge. D’où la crainte évoquée plus haut de voir l’État transcrire cette approche dans une redéfinition des compétences et des obligations des autorités publiques.
Les principaux textes juridiques internationaux de référence
Convention internationale des droits de l’enfant
- art 2 : principe de non discrimination
- art 3-1 : intérêt supérieur de l’enfant
- art 3-2 : Protection et soins de l’Etat si les représentants légaux ne sont pas en capacité
- art 20 : même protection entre mineurs étrangers et nationaux
Préambule Constitution française de 1946
(bloc de constitutionnalité)
- art 11 : garantie à des moyens convenables d’existence
- art 13 : garantie à l’instruction
Convention européenne des droits de l’homme
- art 2 : droit à la vie
- art 3 : Interdiction de traitements inhumains ou dégradants