Vous pouvez identifier d’abord votre service ? Comment est-il composé ? Par quels profils de métiers ? Etc.
La responsable du service : Le service est composé aujourd’hui d’une vingtaine de personnes, avec différents corps de métiers. Onze référents sociaux, deux référentes familles, deux référents chargés de l’accueil, une chargée d’évaluation des mineurs de moins de quinze ans, une référente santé, une juriste et une assistante.
Pour combien de jeunes accueillis aujourd’hui ?
La responsable : Pour un peu plus de six cents jeunes. En 2016, on a accueilli sept cents jeunes. Et cette année, on était déjà à six cent cinquante jeunes accueillis au moins de juin. Il y a eu une interruption de l’accueil des mineurs suite à débordement. Et, depuis le mois d’octobre, avec la reprise des admissions, on est sur des arrivées plus importantes par an. Nous avons eu quasiment cent soixante arrivées sur un mois.
En gros, quelles sont les origines d’arrivées de ces jeunes ?
La responsable : En majorité Guinée, Mali, Côte d’Ivoire un peu, et Maghreb avec l’Algérie principalement.
Parmi vous, il y a des référents sociaux. Vous pouvez nous expliquer d’abord en quoi cela consiste ?
Référente sociale : Il y a deux types de référents sociaux : les référents pour les jeunes confirmés mineurs et une référente pour les jeunes de moins de 15 ans en évaluation. Les référents pour les jeunes confirmés font de l’accompagnement social global des jeunes, que ce soit au regard de leur situation administrative, en lien avec la juriste, de leur scolarité, de leur accueil en familles, en lien avec les référentes familles, de la santé, en lien avec la référente là-dessus. Et, en principe, on travaille sur leur réorientation en lien avec les référents ASE. Mais là, c’est un problème parce qu’il n’y a plus de référent ASE. L’objectif reste pour nous de régulariser la situation des jeunes à dix-huit ans, et, auparavant qu’ils puissent avoir éventuellement un diplôme professionnalisant pour qu’à terme ils s’autonomisent, et pour que la prise en charge ASE dure le moins longtemps possible.
R S : On travaille également entre-temps, en attendant leur confirmation, sur de « l’occupationnel », notamment avec ceux qui ne bénéficient pas encore d’une scolarisation. Que ce soit avec des associations sportives par exemple ou d’autres qui se proposent de les accueillir. Les périodes d’attente sont parfois longues pour eux, ça peut aller jusqu’à six mois ou un an durant lesquels ils attendent une confirmation de leur minorité. Donc, l’objectif, c’est de leur permettre de pouvoir se projeter quand même, par le biais des associations et d’un certain nombre d’activités gratuites mises en place à l’aide de bénévoles, comme l’apprentissage de la langue française et d’autres ateliers de ce type.
R S : Le but c’est quand même de les accompagner sur ce qu’on pourrait appeler leur intégration. On ne fait pas de « l’occupationnel » juste pour occuper le temps, mais de manière à ce que ce temps d’attente puisse profiter au jeune pour mieux construire des relations avec son environnement.
R S : Accompagner à l’intégration, cela se fait par tous les biais : culturel, sportif, linguistique, etc., afin qu’une fois l’évaluation terminée, le jeune puisse disposer d’un bagage qui lui permette d’avoir le plus rapidement possible les mêmes droits que les mineurs confirmés rapidement et que cette attente lui fasse perdre le moins de temps possible pour trouver les accroches de son intégration. Du coup, nous travaillons actuellement également à des conventions de stages avec différentes entreprises. Ce qui permet aux jeunes de se sensibiliser avec le monde du travail, de découvrir différents métiers et de commencer à concevoir des projets et des perspectives pour savoir éventuellement, une fois l’évaluation terminée, où ils peuvent potentiellement être orientés, pour un éventuel CAP ou une autre formation.
Et les entreprises jouent le jeu ?
R S : C’est encore nouveau, ça vient d’être mis en place avec le département, mais on peut dire déjà que cela permet aux jeunes, pendant trois semaines, d’être en immersion professionnelle. C’est un peu l’équivalent des stages de découverte que l’on fait en troisième dans le cadre de l’Éducation nationale. Le réseau est en train de se constituer et on va essayer de toucher le plus d’entreprises possible. Ce n’est pas forcément simple, car dans certains corps de métiers, il faut quand même une certaine base de compétences.
R S : Il faut signaler cependant que certains jeunes se débrouillent par eux-mêmes pour trouver seuls des conventions de stages et y arrivent, même certains qui ne maîtrisent pas bien le français. C’est vraiment intéressant, ces jeunes en veulent vraiment. Par ailleurs, on constate, notamment par le biais de ceux qui cherchent des stages dans le cadre de l’école, qu’il y a aussi des entreprises qui refusent ces jeunes. C’est pour cela qu’il nous faut développer ce réseau d’entreprises en les sensibilisant aux enjeux de ces jeunes, pour qu’ils les prennent en stages. Nous sommes vraiment à l’amorce de quelque chose. Autant par exemple dans le bâtiment, il n’y a pas de problème, autant des métiers comme la boulangerie restent fermés alors qu’il y a beaucoup de jeunes qui sont intéressés. Il faut arriver à débloquer ces réticences.
Quelles sont les autres difficultés que vous rencontrez dans votre accompagnement ?
La Responsable : D’abord au niveau du temps. Le temps d’attente peut être très long et ce n’est pas la même approche selon que le département confirme relativement vite la minorité d’un jeune, en trois semaines par exemple, ou demande le contrôle de l’autorité judiciaire. Cela peut prendre jusqu’à quatorze mois. En sachant que les jeunes qui arrivent ont entre 15 ans et 18 ans, mais que la majorité arrivent après leur 16e année. On met en permanence du coup en tension le doute concernant leur état civil et l’urgence de faire des démarches administratives pour régulariser leurs situations. Et ça, c’est quelque chose de très compliqué à appréhender, pour les jeunes d’abord, qui risquent de devenir majeurs dans ce laps de temps, mais aussi pour les acteurs.
R S : Il y a également le fait que nous avons beaucoup de jeunes à suivre chacun. Un référent peut suivre jusqu’à soixante jeunes ! C’est quand même important, cela devrait interroger.
R S : C’est une vraie difficulté. Vu que les jeunes n’ont plus de référents sociaux autrement, ils se trouvent bloqués dans un dispositif d’urgence qui n’a pas les moyens d’une structure classique de protection de l’enfance. Et du coup, les jeunes sont dans une attente permanente. Elle se termine pour certains à 18 ans, voire plus.
La Responsable : Et là du coup, on est dans le paradoxe complet. On a des jeunes qui ont 19 ans et qui sont maintenus chez nous, dans un dispositif d’accueil d’urgence de mineurs, de manière pérenne avec des contrats jeunes majeurs d’un an. On a l’impression qu’à partir du moment où ils sont à l’ADATE, personne ne se pose plus de questions. Sauf que pour ces jeunes, cela n’a plus de sens. Certes, nous assurons leur hébergement, mais le reste n’avance pas.
R S : En plus, ils restent du coup avec des mineurs, alors que dans un dispositif plus adéquat de protection, ils seraient avec d’autres jeunes de leurs âges, ce qui serait probablement mieux pour eux à tous les niveaux. Ils sont hébergés dans des familles certes mais ne sont plus dans une logique d’accompagnement social, ou uniquement par l’ADATE où les professionnels ne sont plus non plus disponibles pour eux. Ce qui leur laisse peu de possibilités d’avancer et peu d’attention. Ce n’est pas très professionnel et ce n’est pas simple pour ces jeunes.
Référente Évaluation : Pour les moins de quinze ans, c’est l’ADATE, par convention avec le département, qui fait les entretiens d’évaluation de la minorité. Cela se fait sur la base d’une trame respectant les circulaires et textes de loi en vigueur. Ce sont des questions que l’on pose aux jeunes dans le but d’établir un faisceau d’indices pour savoir si la personne a bien moins de 15 ans ou plus. Évidemment, il ne s’agit pas de déterminer un âge, ce qui est quasiment impossible. Il s’agit surtout d’établir un faisceau d’indices en posant des questions de façon ouverte, de manière à ce que le jeune s’exprime le plus aisément possible. Et en appui sur des formations et des échanges d’expériences avec d’autres évaluateurs. Après, ces jeunes sont pris en charge par le Charmeyran [foyer de la protection de l’enfance qui accueille des enfants de moins de 15 ans] au niveau de leur hébergement comme de leur accompagnement social. L’ADATE ne fait que les entretiens d’évaluation, puis passe la main.
Cela permet de faire la transition justement avec l’hébergement dans les familles. En quoi consiste ce dispositif précisément ?
Chargée de famille : Nous sommes deux personnes référentes des familles. Notre travail en principe c’est de faire le lien entre les jeunes et les familles qui les hébergent. C’est-à-dire bien connaître ces familles, être présentes quand elles ont besoin de nous à propos de questions particulières, les rencontrer régulièrement, faire des visites, etc. ceci dit, nous sommes en vrai happées, absorbées par des urgences pour assurer notre mission première, à savoir mettre les jeunes à l’abri. Quand un jeune arrive, il faut lui trouver de la place dans une famille qui répond aux conditions ; mais c’est aussi et souvent changer les jeunes de familles pour des raisons diverses et variées (de santé, de calme pour le travail scolaire, d’humeurs aussi, de langue, de nourriture, etc.). Cela nous prend beaucoup de temps qui est du coup du temps en moins sur les visites. Une partie du travail est également de recruter les familles, parce qu’on a actuellement plus de deux cent trente familles validées sur le dispositif, et ce n’est pas suffisant. Elles sont toutes à deux jeunes voire trois et parfois plus quand nous sommes dans l’urgence. Or, les jeunes arrivent tous les jours et il faut toujours en chercher si on veut garder les conditions minimales d’un bon hébergement. Donc, il faut constamment trouver des nouvelles familles, les informer, aller chez elles pour valider leur hébergement, etc. et en même temps continuer à être disponibles pour les familles qui sont déjà dans le dispositif, donc c’est des réunions que l’on organise tous les quinze jours avec elles, c’est des visites à domicile que l’on souhaite pouvoir faire plus régulièrement, etc. En résumé, je dirais que ce dispositif est une super-idée mais il est tout le temps engorgé vu le nombre de jeunes à prendre en charge. C’est un dispositif qui fonctionne bien quand il est équilibré, c’est-à-dire quand on connaît bien les familles, quand on connaît bien leurs logements, etc. Ce qui n’est pas complètement le cas actuellement, on en connaît un peu plus du tiers, le reste est en retard. Donc, pour nous, c’est forcément stressant d’envoyer des jeunes dans des familles dont on ne connaît pas bien le fonctionnement.
Ces familles sont recrutées comment ?
Ch. de F. : C’est du volontariat. On fait souvent des appels à candidature disséminés un peu partout sur la ville, mais c’est beaucoup du bouche à oreille. Donc, c’est souvent des familles qui sont déjà familles d’hébergement qui en parlent à leur entourage, à leurs voisins, etc. De ce côté-là, ça marche bien, mais avec un inconvénient : c’est qu’on arrive parfois à des concentrations de familles, parfois jusqu’à trente familles, dans certains quartiers plus spécifiquement. Ce qui n’est pas forcément une bonne chose.
Avec probablement un profil de familles issues de l’immigration vous voulez dire ?
Ch. de F. : Pas toutes mais une bonne partie. Avec aussi un profil économique de base. C’est à la fois intéressant, parce qu’il y a une vraie sensibilité et une vraie volonté de solidarité qui puise sans doute dans une expérience de vie. Elles sont toutes bénévoles. Et, en même temps, elles touchent une indemnité forfaitaire par jeune et par jour pour couvrir les frais de cette prise en charge des jeunes (les repas, les vêtements à acheter, les nécessaires de toilette, la consommation quotidienne en eau et électricité, etc.). Ce qui est tout à fait normal et coûte moins cher de toute façon que l’hébergement dans des hôtels. Mais c’est probablement aussi pour cela qu’il faut arriver à assurer un suivi plus important et plus pertinent au profit des jeunes. Qu’il n’y ait pas de malentendu là-dessus, une indemnité c’est une aide à la prise en charge, ce que les familles comprennent bien. Le dispositif en soi est vraiment intéressant, parce que ce sont des familles bénévoles, et donc la meilleure cellule socialisante pour un mineur. On le constate chaque jour (entre parenthèse, la plupart des jeunes appellent les mères des foyers qui les accueillent « Maman »). En même temps, les moyens que nous avons pour le faire marcher actuellement ne sont pas satisfaisants. Ni pour nous, les professionnels, ni parfois pour les familles bénévoles. Il nous faut plus de moyens pour assurer un suivi adéquat.
Ces moyens ne vous permettent pas entre autres de mettre en place un système de formation des familles…
Ch. de F. : Exactement. Les seuls temps officiels avec les familles sont les temps des informations collectives où on explique le dispositif, ses règles et ses objectifs, tous les quinze jours. On y aborde toutes les questions et c’est évidemment important, c’est bénéfique pour les familles, ça leur permet d’échanger, mais cela ne remplace pas une formation avec des thématiques particulières sur l’accueil des mineurs, sur les migrations d’aujourd’hui, etc. C’est un des manques pour parfaire ce dispositif.
A propos d’accueil, comment se fait le premier accueil des mineurs dans l’association ?
Référente accueil : L’accueil premier, quand les jeunes se présentent pour la première fois, consiste à les accueillir le mieux possible, à leur expliquer le dispositif, à les informer sur la démarche d’évaluation de leur minorité par des acteurs du département, ce qui se passe si leur minorité est confirmée ou non, etc. Toutes les informations donc qui permettent au jeune de se situer dans son parcours. Et, bien sûr, on explique le dispositif d’hébergement et d’accompagnement de l’ADATE. Après on se met en relation avec les chargées de familles pour leur en trouver une. Puis, et jusqu’à la réponse sur leur confirmation, ils viennent souvent nous solliciter pour plein de choses.
Vous arrivez à savoir comment les jeunes arrivent à l’ADATE ?
R A : Souvent, quand ils arrivent à la gare, quelqu’un les accompagne ou leur indique le chemin. Souvent des inconnus, c’est ce qu’ils disent en tout cas ! Ce sont souvent des jeunes qui arrivent par l’Italie en passant par la Libye pour 90 à 95 %. Et, Grenoble étant une des villes proches de l’Italie, ils y débarquent en passant par Nice ou Briançon ou Modane. Mais pourquoi Grenoble ? On va dire que cela reste un peu un mystère !
En tant que praticiens, et connaissant donc de l’intérieur les difficultés et les limites inhérentes aux conditions actuelles de cet accueil des Mineurs non accompagnés, quelles seraient les éventuelles propositions que vous feriez pour améliorer la prise en charge et l’accompagnement de ces mineurs ?
R S : Pour désengorger le dispositif qui a été mis en place, et en accord avec la département, l’ADATE a ouvert un nouveau dispositif d’appartements en colocation pour les jeunes entre 17 et 19 ans. L’idée, c’est d’y accueillir des jeunes en colocation. Les jeunes, pour l’instant une quinzaine, disposent d’une allocation qui leur est versée une fois par semaine et ils doivent gérer dans un certaine autonomie, accompagnée évidemment par des référents. La visée est toujours la même, l’obtention d’un diplôme professionnalisant et d’un titre de séjour permettant de rester en France, et leur insertion. C’est une expérimentation pour l’instant, elle dure depuis deux mois seulement, mais on en voit déjà les effets, car contrairement au dispositif classique, on accompagne les jeunes dans une visée de leur autonomie. Et c’est pertinent, cela révèle les capacités de ces jeunes et, de plus, on s’aperçoit qu’un travailleur social pour 15 jeunes, c’est possible ! C’est un accompagnement social qui a du sens, ce que le dispositif classique ne permet pas. C’est un dispositif qui gagnerait à être développé.
Propos recueillis par Abdellatif Chaouite