N°129

Le dossier : Migrants mineurs

Parcours migratoires et biographiques des Mineurs Non Accompagnés

Entre circulation migratoire et assignation territoriale

par Laurent LARDEUX
Makhlouf Boubeker

La représentation des exilés renvoie dans l’imaginaire collectif à des cohortes de réfugiés affaiblis et décharnés, amassés dans des camps d’Afrique ou d’Asie, dans l’attente d’une stabilisation sécuritaire dans leur région d’origine [1]. Cette imagerie médiatique produit des engagements en chaîne tout autant que providentiels des spectateurs, devenus témoins directs de situations de dénuement extrême. S’agissant des Mineurs non accompagnés (MNA) qui ont traversé les frontières de l’Europe et dont les motifs de la fuite (situation de guerre, famine, traite, errance) se révèlent dans bien des cas très proches, force est de constater que ce passage de la compassion à la réaction se révèle bien plus incertain. La production médiatique et sémantique s’est davantage focalisée ces dernières années sur le coût financier d’une prise en charge par les Conseils départementaux chargés de leur porter assistance au titre de la protection de l’enfance plutôt que sur la réalité tragique de leur parcours et sur les épreuves de la guerre, de l’errance et/ou de l’exploitation rencontrés par ces 4000 à 8000 mineurs isolés étrangers présents en France [2]].

L’une des clés de compréhension de ce changement de registre est bien la ligne de partage qui tend à s’établir entre ceux qui sont « dedans » et ceux qui « viennent de dehors », entre originaires et immigrés et, à travers cette ligne de démarcation, qui, comment et quand peut-on bénéficier des mesures de protection sociale (Fischer, 2012 ; Fassin, 2005). Au-delà du caractère moral d’une telle distinction, il importe de rappeler que, s’agissant des mineurs isolés étrangers, les conventions internationales, ratifiées par la plupart des États, soulignent l’inconditionnalité de l’assistance et de la protection pour les populations mineures. Pourtant, la figure de ces jeunes migrants continue de polariser différents types d’identité sous forme d’oppositions binaires (national/étranger, victime/criminel, enfant/adulte) dont l’inscription dans l’une ou l’autre de ces catégories sera décisive dans la construction de leur parcours biographique et institutionnel. Face à un discours juridique et moral ethnicisant et enfermant qui tend à occulter la dimension proprement réticulaire de ces mouvements migratoires, notre objectif est ici de rappeler la portée fondamentalement transnationale, non essentialiste et non-particulariste de ce phénomène.

Les mouvements de population des MNA posent aux États la question du contrôle de leur frontière dans un contexte où les flux observés s’organisent de plus en plus à partir d’un système réticulaire qui vient perturber le maillage territorial des États-nations. Deux conceptions du territoire s’opposent alors. Du point de vue subjectif, relationnel et cognitif, le territoire renvoie à l’univers de pratique et d’interprétation des mineurs non accompagnés. Ce « territoire circulatoire » pour reprendre l’expression du sociologue Alain Tarrius (2001), s’appuie sur des interactions délocalisées, transnationales, qui contribuent à bouleverser le référent stable de l’État-nation. Des liens invisibles, de solidarité et/ou de conflictualité, se créent par-delà les frontières, articulant de vastes territoires. Ni d’ici, ni de là-bas, mais ici et là-bas à la fois, les mineurs inscrits dans ce territoire circulatoire fondé sur un système réticulaire et agencé par des réseaux de pairs ou des systèmes mafieux de traite de mineurs, participent à construire des parcours biographiques et des « carrières migratoires » d’affiliation ou de désaffiliation avec la société d’accueil. A cette conception subjective et relationnelle du territoire circulatoire, vient s’ajouter la réalité matérielle de l’assignation territoriale des migrants dans les interstices des villes européennes et la fixation des MNA dans des espaces liminaires ou, pour reprendre la terminologie employée par Foucault, dans l’« hétérotopie » [3] de ses marges. Entre ces deux niveaux, il s’agit de voir dans quelle mesure le fonctionnement dialectique du couple migrations/territoires nous incite à repenser la relation entre organisation réticulaire et pavage territorial dans la construction des parcours biographiques des MNA.

Makhlouf Boubeker

Les « territoires circulatoires » des MNA

Si la population spécifique des mineurs étrangers isolés a longtemps été méconnue, les travaux de recherche et les rapports d’acteurs associatifs ou institutionnels [4], du Défenseur des Droits [5] ou encore de parlementaires [6] publiés ces dernières années en France ont permis de mieux appréhender cette population de jeunes migrants dans le contexte français. Pour autant, il est rarement fait état des travaux donnant la parole à ces adolescents isolés, tout comme il est fréquemment laissé dans l’ombre les recherches donnant des précisions sur les affiliations existantes ou passées reliant sociétés de départ et celles d’arrivée. Qui sont plus exactement ces mineurs qui ont traversé plusieurs milliers de kilomètres en situation de clandestinité pour arriver seuls et sans représentants légaux aux portes des grandes villes européennes ? Comme le montre Angélina Etiemble (2012) dans une version actualisée de la typologie portant sur les motifs de départ, certains de ces mineurs ont perdu leurs parents lors des guerres, conflits religieux ou ethniques qui sévissent dans leur pays (mineurs « exilés »). D’autres sont des enfants des rues, des « shégués » [7] selon le terme employé dans le contexte congolais, n’ayant plus de contacts réguliers avec leur famille et qui prennent la décision de tenter leur chance dans un pays d’Europe (mineurs « errants »), ou s’identifient à la figure héroïque de « l’aventurier » (mineurs « aspirants »). Dans d’autres cas, la famille, de façon directe ou indirecte, peut jouer un rôle important dans les motifs de départ, que ce soit dans le cas du mineur « mandaté » chargé de partir en Europe pour soutenir économiquement la famille élargie restée au pays, le « rejoignant » dont l’objectif initial est de rejoindre un parent proche, l’ « exploité » dans une situation d’emprise dans un réseau de traite (prostitution, mendicité, vol, travail forcé) ou le « fugueur », cherchant à fuir des situations de conflit ou de maltraitance familiale.
La typologie dressée par Angelina Etiemble a le mérite d’apporter une clé de lecture sur les multiples motifs de la migration, mais aussi sur les enchevêtrements, les recoupements et les contradictions qui peuvent apparaître entre ces différentes catégories, fondamentalement perméables et réversibles. Par ailleurs, et c’est sur ce point que nous souhaiterions revenir plus longuement, il ressort de cette variété de figures de MNA, différents niveaux de sociabilité inter- ou intrafamiliales, une pluralité de relations transnationales entre pays de départ et pays d’arrivée, et des degrés variables d’autonomie/d’emprise dans la décision de migrer.

Autonomie et emprise dans la construction des parcours migratoires

Sur l’un des pôles, se trouvent des mineurs sans soutiens et sans ressources, mineurs affranchis, dont le projet migratoire se construit en-dehors des projets familiaux et en l’absence du soutien familial. Dessinant la figure du « self-made-migrant » décrit par Mahamet Timera (2009), orphelin de la migration internationale et entrepreneur plus ou moins solitaire de sa mobilité, ces mineurs envisagent la migration comme un moyen de transformer le cours de leur existence. Exilés, errants ou fugueurs, ils s’engagent dans des circuits singuliers, plus accessibles aux candidats sans capitaux migratoires communautaires, qu’ils soient de type financier, humain ou logistique. Par ses aspects souterrains, informels, et dans bien des cas clandestins, ce phénomène est difficile à observer. Ces parcours font alors écho aux catégories identifiées par Claude-Valentin Marie (1996) dans les pays du sud avec des « migrations d’itinérance » pouvant rapidement devenir des « migrations de déshérence » dans le cas des mineurs qui se retrouvent bien souvent à leur arrivée embrigadés dans des réseaux de traite.

Mais l’enrôlement dans des réseaux mafieux survient plus souvent en amont qu’en aval de la migration. Dans ce cas de figure, le parcours migratoire ne se réalise pas de façon autonome mais se trouve étroitement relié à divers types de réseaux criminels dont l’infiltration est une condition d’accès à l’espace migratoire. Dans ce second pôle, correspondant à la figure des mineurs embrigadés, les jeunes migrants se trouvent sous l’emprise de passeurs dont l’action conditionne leur projet de vie à court ou moyen terme : il s’agit de rembourser les intermédiaires en travaillant clandestinement dans différents secteurs dans lesquels les mineurs peuvent être attendus (y compris certains secteurs à grande consommation de travail occasionnel et clandestin comme le petit commerce, l’emploi domestique, le bâtiment ou le travail agricole). A un niveau plus extrême encore, les mineurs se trouvent sous l’emprise de réseaux de prostitution dont les mécanismes ont notamment été dévoilés par Bénédicte Lavaud-Legendre à travers le cas des mineures nigérianes sexuellement exploitées en France (2014). Dans ce cas particulier, des « Madams », aussi appelés « sponsors », anciennes exploitées devenues « associées », tirent profit du désir migratoire des mineures pour mettre en place un mécanisme élaboré d’aliénation et de domination physique et psychologique sur fond de pratiques vaudou. Ce mécanisme repose sur la souscription d’un contrat et sur la situation d’isolement une fois la mineure arrivée en France, laquelle n’aura plus la possibilité de rentrer en contact avec sa famille sous peine de voir, en cas de dévoilement de l’activité criminelle, les menaces physiques mises à exécution. Dans le cas de l’exploitation sexuelle de rue des jeunes filles d’Europe de l’est, comme le montre Olivier Peyroux (2013) dans ses travaux, le système de traite peut se révéler différent, se limitant à des groupes moins organisés, qui s’appuient sur une base géographique, communautaire ou familiale.

Entre ces deux figures extrêmes, on retrouve des mineurs dans des situations plus nuancées, interstitielles, à mi-chemin entre l’embrigadement et l’affranchissement, où les relations préexistantes dans le pays de départ jouent un rôle central dans la construction des parcours migratoires et conditionnent leur installation en France. Le soutien de la famille peut dans certains cas se révéler problématique dans la mesure où cet appui appelle généralement un « retour sur investissement » et accentuera de ce fait le risque de retrouver le mineur dans différents types d’exploitation (Jaksic, 2011 ; Fischer, 2012). Dans le cas du « fosterage » [8], certains jeunes se trouvent confiés à des membres de la famille résidant en Europe qui, pour diverses raisons, refusent ensuite de les prendre en charge (Razy, Rodet, 2011). De façon plus générale, que le départ ait été organisé avec ou sans le soutien de la famille, ces jeunes migrants ont intégré l’idée qu’un soutien en Europe pouvait intervenir à un moment de leur parcours : « Instances d’adaptation et réservoirs de ressources stratégiques, les réseaux migratoires, pour les adultes comme les mineurs, contribuent à maintenir les logiques sociales de la mobilité » (Duvivier, 2008 : 228). Ces migrations sont fortement inscrites dans des réseaux familiaux ou communautaires qui apportent une aide à la migration des jeunes migrants. Les mineurs sont alors porteurs d’un projet collectif, aussi symbolique soit-il, qui contribue à définir les types de relations engagées entre les différentes polarités de la migration.

Territoire circulatoire : des mineurs entre ici et là-bas

Les études émanant des rapports institutionnels ou associatifs sur la question des MNA restent habituellement très attachées à l’approche segmentée et dichotomique de la migration (ici ou là-bas), telle qu’elle peut être employée dans le langage politique ou juridique habituel. Or, depuis les travaux scientifiques initiés sur la thématique des réseaux transnationaux de la mobilité et des migrations internationales (Basch, Glick Schiller, Szanton Blanc, 1994 ; Tarrius, 1991 ; Portes, 1999), il est régulièrement rappelé, d’une part, les limites de l’approche « stato-centrée » des faits migratoires marquée par la séparation de l’analyse spatiale - l’émigration d’un côté, l’immigration de l’autre - mais aussi, d’autre part, l’unilatéralité de la démarche privilégiant généralement le point de vue du pays d’arrivée au détriment du lieu et du pays de départ (Simon, 2006). Cette perspective induisant une segmentation rigide de l’espace effectivement traversé doit faire place à une approche élargie, plus souple des mobilités ou des identités territoriales. Ces sentiments d’appartenance pluriels, cumulatifs plutôt qu’exclusifs - se déploient dans des contextes mouvants. Tous les mineurs ne sont pas amenés à circuler sous forme de « va-et-vient » entre les différentes polarités de la migration, encore que cette situation soit dans certains cas observables concernant les mineurs roumains (Peyroux, 2013), mais toutes ces migrations s’inscrivent dans un « territoire circulatoire » à travers lequel circule non pas tant des hommes, des femmes ou des enfants, mais plus largement un imaginaire à forte charge symbolique porteur pour le jeune migrant d’espoirs, d’utopies ou de mythes profondément enracinés dans les consciences collectives. Pour Alain Tarrius, « la notion de territoire circulatoire constaterait, si elle pouvait être assise, une certaine socialisation des espaces supports aux déplacements. Les individus se reconnaissent à l’intérieur d’un territoire qu’ils délimitent au cours d’une histoire commune initiatrice de lien social original » (Tarrius, 1992 : 130). La charge symbolique de ce territoire circulatoire demeure ainsi dans la force des représentations capables de structurer et de modifier continuellement, au gré des échanges et des transmissions d’informations, l’architecture d’un espace social transnational.
Les situations citées précédemment, se trouvent dans la plupart des cas liées à une pluralité de modes d’organisation qui se structurent et s’organisent toutefois essentiellement autour de leur réseau social, familial ou communautaire, lequel se trouve être inscrit à un niveau transnational. L’étude du parcours migratoire sous le prisme des systèmes de relations entre pays d’arrivée et pays de départ invite à renouer les fils de la trajectoire reliant ces deux contextes. Entre eux s’inscrivent à différents degrés les situations d’emprise ou d’isolement, et à partir d’eux circulent les projets et les errements, les espoirs et les retours. Indéniablement, le parcours de ces jeunes migrants ne pourrait être saisi sans rendre compte du système réticulaire dans lequel il s’organise. Ce dernier ne s’arrête pas aux limites d’un état-nation clairement délimité et formellement circonscrit aux limites de ces frontières, mais les dépasse, les outrepasse, les déborde. L’étude de ces itinéraires et des voies empruntées invite à percevoir autrement leur migration et le sens de leur présence dans les différents territoires qu’ils traversent ou sur lesquels ils s’installent. Ces migrations, dans leurs diverses dispositions, indiquent ce processus de transition entre « ici et là-bas » (Simon, 2008). Entre un pays de départ et un pays de destination, ces mineurs en situation de migration sont amenés à rencontrer ce jeu d’échelle au moment de leur inscription dans des configurations spatiales, sociales, économiques, politiques et culturelles résolument transnationales, c’est-à-dire à la fois inscrites dans un réseau migratoire existant et en même temps génératrice de nouvelles formes de mobilité. De la sorte, le jeune migrant est à la fois agi et agissant, au centre de forces qui le dépassent et en même temps acteur des luttes dont il est partie prenante. Ces mineurs ne sont pas seulement « absorbés » par des flux migratoires qui les transportent vers des territoires inconnus, mais ils peuvent aussi devenir acteurs de la migration en mesure de donner une nouvelle trajectoire aux flux existants. Il ne s’agit bien entendu pas de surévaluer la capacité de ces jeunes à surmonter les situations de dénuement dans lesquelles ils se trouvent, argument par ailleurs abusivement évoqué par certains services de l’Aide Sociale à l’Enfance pour ralentir ou refuser les demandes de prise en charge (Bricaud, 2006), mais de voir comment certains jeunes détiennent un savoir spécifique, un « savoir circuler » [9], qui leur est nécessaire dans leur parcours sans pour autant les considérer « fautifs », « coupables » ou « responsables » des situations de marginalisation rencontrées. Comme le montre à ce sujet Emilie Duvivier (2008) au sujet des mineurs isolés étrangers se trouvant sur le territoire de Calais, les mineurs au contact des autres migrants rencontrés au fur et à mesure de leur parcours apprennent les « ficelles de la route » et sont en mesure de tirer profit de ces savoir-faire sur les territoires qu’ils traversent et par lesquels ils s’affirment. A partir de ces parcours, se construit une mémoire collective et renouvelée des mobilités, une mémoire qui est, pour reprendre Tarrius « avant tout, souvenir des accords de parole, des échanges d’honneur qui fluidifient les circulations, qui permettent d’échapper aux régulations étatiques formelles, de contourner les règles de construction des frontières entre territoires et univers de normes, celles qui disent les conditions de passage d’une sédentarité à une autre » (Tarrius, 2001 : 45). En ce sens, les relations matérielles autant que symboliques entretenues au niveau transnational incitent à la fois à prendre en compte les différents espaces traversés par les jeunes migrants (espace d’origine et d’accueil, d’implantation, de transit) mais aussi la perception subjective et immédiate qu’ils peuvent en avoir, c’est-à-dire l’« espace de vie » tendu entre l’origine et l’implantation, entre « ici » et « là-bas ».

Makhlouf Boubeker

Pavage territorial et hétérotopie de l’installation

Organisés sur un mode fondamentalement réticulaire qui dépasse les maillages traditionnels de l’ordre de l’État-nation, les mouvements migratoires des mineurs non accompagnés n’en sont pas moins dépendants des logiques binaires de l’inclusion et de l’exclusion, de la fixation et de la marginalisation. Si nous sommes entrés de plein pied dans une ère de la circulation, des échanges et de l’information (Castells, 1998), les frontières restent dans le même temps non seulement au centre des décisions sociétales, mais aussi au cœur des devenirs individuels. Cet ère du « mondialisme clôturé » (« gated mondialism ») pour reprendre l’expression de Cunningham (2001) où « frontiérisation » et mondialisation apparaissent comme des processus allant de pair, se matérialisent aux portes des grandes villes européennes et à la sortie des ports, des aéroports et des gares par l’avènement de l’assignation territoriale des laissés-pour-compte de la migration. Figure paroxystique de cette situation, les MNA, avant toute prise en charge dans une structure d’aide sociale à l’enfance, se trouvent enfermés dans une incertitude juridique autant que biographique. Cette incertitude s’incarne physiquement dans les lieux d’installation provisoire, devenus miroirs grossissants de l’indétermination des parcours biographiques de ces mineurs. En France, ces espaces se situent bien évidemment autour des points d’entrée cruciaux sur le territoire français : Paris avec ses différentes gares ferroviaires, la Seine Saint-Denis avec l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, le Nord et le Pas-de-Calais comme zones de transit avant le passage vers les terres anglo-saxonnes et les Bouches-du-Rhône avec ses différents ports d’arrivée. A la transnationalisation du réseau migratoire vient alors répondre la fixation des MNA dans les interstices de la ville ou, pour reprendre la terminologie employée par Foucault, dans l’ « hétérotopie » de ses marges, dans ces « lieux-autres », ces « sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux bien que pourtant ils soient localisables » (Foucault, 1994). Ces lieux-autres peuvent être gouvernés par une institution chargée de leur donner une existence légale comme c’est le cas des zones d’attente. Ils peuvent aussi être des zones de relégation auto-organisées par les migrants eux-mêmes, « à la marge » de l’ordre urbain, dans des hangars, bâtiments laissés vacants, terrains vagues, bouts de forêt. Ces hétérotopies se constituent d’abord comme des « dehors » placés sur les extrémités ou les limites de l’ordre normal des choses. Comme le souligne à ce sujet Michel Agier (2011), ces lieux d’installation, conçus dans une temporalité de l’urgence tout en étant inscrits dans la longue durée, sont le plus souvent des établissements humains séparés de l’ordre social qui mettent en œuvre trois principes d’extériorité : l’extraterritorialité, l’exception, l’exclusion. Trois dimensions de l’espace traversé par les mineurs non accompagnés avant leur prise en charge éventuelle par les services de protection de l’enfance et sur lesquels nous souhaitons revenir plus en avant.

Extraterritorialité
Dans bien des cas, la toute première expérience du MNA arrivé sur le territoire national n’est ni l’inclusion, ni l’exclusion, l’entrée ou la sortie, mais l’indétermination absolue du lieu dans lequel il se trouve. Les hétérotopies sont caractérisées par le confinement et par l’extraterritorialité, c’est-à-dire, pour reprendre Foucault, par la création de morceaux d’espace dans lesquels les individus sont « enfermés dehors », maintenus à la marge, sans connaître les conditions de sortie de ce lieu-autre, ou les possibilités d’entrée dans la société d’arrivée. La figure exemplaire de l’extraterritorialité est constituée par la zone d’attente où les mineurs sont retenus à la marge du territoire en tant que migrants dépourvus de documents et se voient, de fait, privés de protection et des droits inhérents à une procédure régulière accordée aux autres mineurs isolés se trouvant sur le territoire national [10]. Du point de vue de l’administration qui décrète l’hétérotopie, les mineurs enfermés dehors se trouvent alors dans l’entre-deux, l’interstice, dans la contrainte paradoxale d’un dedans inaccessible et d’un dehors sans substance. Comme le souligne à ce sujet Michel Agier, « quels que soient leurs gestionnaires effectifs (humanitaire, administratif ou communautaire), les espaces ainsi placés en hétérotopie ont pour caractéristique commune d’écarter, de retarder ou suspendre toute reconnaissance d’une égalité politique entre les occupants de ces espaces-autres et des citoyens ordinaires ».
Mais l’extraterritorialité n’est pas qu’une manifestation institutionnelle de la relégation. Il peut s’agir de campements auto-organisés hors de tout cadre légal dans des hangars ou bâtiments laissés vacants, terrains vagues, fragments de forêt, où les jeunes migrants tentent de reconstruire, dans l’attente et l’indétermination de leur situation, aux marges des espaces physiques et sociaux, une vie collective à côté de l’ordre social dominant. Cette reconstruction trouve l’une de ses manifestations dans la constitution du campement El Gallinero situé dans la périphérie madrilène où vivent près de 200 mineurs d’appartenance rom. Comme le précise à ce sujet la recherche PUCAFREU (2013), ces jeunes migrants tentent d’organiser leur installation dans cet espace liminaire en reconstruisant une vie collective à côté de la société qui passe par diverses activités illégales composées de travail non déclaré, petite délinquance ou mendicité.

Makhlouf Boubeker

Exceptionnalité
Les rapports nationaux et internationaux font régulièrement état du « vide juridique » dans lequel se trouvent les mineurs non accompagnés arrivés en France. Si, par définition, le vide juridique renvoie à l’absence de normes applicables à une situation donnée, il n’en est pas moins porteur de sens dans le cadre des hétérotopies qui ne peuvent être saisis sans rendre compte du régime politique et juridique d’exception auquel ils sont associés. Agamben écrivait au sujet de l’état d’exception qu’il n’est « ni extérieur ni intérieur à l’ordre juridique et le problème de sa définition concerne un seuil ou une zone d’indistinction, où intérieur et extérieur ne s’excluent pas, mais s’indéterminent. La suspension de la norme ne signifie pas son abolition et la zone d’anomie qu’elle instaure n’est pas (ou du moins prétend n’être pas) sans relation avec l’ordre juridique » (Agemben, 2003 : 43). Figure exemplaire de l’état d’exception, l’élargissement des conditions d’instauration des zones d’attente dans le cadre de la loi relative « à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité » votée en octobre 2010 par le Parlement français qui donne la possibilité aux autorités de créer des zones d’attente en tout lieu où un groupe d’étrangers en situation irrégulière pose le pied dans l’objectif de le considérer juridiquement en-dehors du territoire national. De façon plus générale, le régime d’exception qui gouverne les hétérotopies suspend le temps et l’espace, introduit l’incertitude des règles communes d’existence et par là-même pose la question de la limite du statut des mesures exceptionnelles en tant que tel. Au sujet des refoulements à la frontière, comme cela est régulièrement rappelé par des instances nationales et internationales mais aussi par la Cour de cassation [11], les jeunes étrangers seuls sur le sol français ne peuvent être expulsés avant leurs 18 ans et ne peuvent être détenus en raison de leur statut de migrant. En dépit des engagements internationaux de la France, c’est pourtant bien cette situation d’exception qui semble être devenue la règle pour tout mineur intercepté aux frontières [12]. Dans ces lieux-autres, le droit qui inclut les individus en tant que formes de vie, peut en même temps les exclure dans une suspension du droit par lui-même. En somme, l’exception juridique se caractérise, pour reprendre la formule d’Agamben, par « la forme légale de ce qui ne peut avoir de forme légale » (Agamben, 2002).

Exclusion
A l’exceptionnalité au niveau juridique et à l’extraterritorialité au niveau de l’organisation des espaces et des frontières, s’ajoutent, avant toute prise en charge éventuelle par les services de protection de l’enfance, l’exclusion et l’absence de place accordée aux jeunes migrants dans la structure sociale et étatique. Les lieux d’installation informels ne sont pourtant guère éloignés des centres villes, quand ils ne sont pas en plein cœur des capitales, comme c’est le cas à Paris, dans le 10e arrondissement, à proximité du siège de la PAOMIE où les mineurs espèrent obtenir le soutien des structures associatives qui interviennent en lien avec la permanence d’accueil et d’orientation. Au bord des boulevards, des périphériques, des autoroutes, des gares, des fleuves ou des ports, plus généralement à proximité immédiate des axes de circulation, les mineurs isolés tendent à se rassembler dans des lieux de passage instantanément visibles par tous, mais qui restent paradoxalement invisibles des regards fuyants. L’absence de reconnaissance institutionnelle se matérialise alors par la marginalisation de l’espace où se trouvent les Mineurs non accompagnés, par sa mise à l’écart, au sens politique autant que physique du terme. Cette « ghettoïsation » et cette marginalisation restent alors très souvent perçues comme relevant d’une logique identitaire intrinsèque, un « choix communautaire », une « marque de fabrique » d’une ethnie ou d’une communauté, et beaucoup moins comme une logique de pouvoir de retenir et de maintenir à la marge des populations indésirables. Comme le rappelle Michel Agier, c’est précisément la force de l’État que de définir ces espaces liminaires, et donc de définir la distance de ses occupants à l’ordre institué. Ce qui définit le ghetto, et plus généralement tout espace liminaire, ce n’est pas l’origine sociale, ethnique, géographique de ses occupants, mais la distance à l’État, et la puissance de ce dernier de les maintenir à la marge (Wacquant, 2006 ; Agier, 2011).

Conclusion

Les caractéristiques contemporaines de la migration des mineurs non accompagnés mettent en évidence les liens problématiques entre circulation et territorialité, entre mobilité et sédentarité, entre déplacement et assignation territoriale. A travers ces oppositions, les parcours institutionnels et biographiques des mineurs en situation de migration sont mis en tension, quand ils ne sont pas en suspension. Si les formes d’organisation sociale de la migration des plus jeunes mettent en évidence des degrés d’autonomie extrêmement variables tant dans le choix de migrer que dans les soutiens moraux et sociaux pour se déplacer, la plupart des parcours se basent sur la « multipolarité » de la migration (espaces de départ, espaces d’arrivée, espaces de transit) et l’« interpolarité » des relations entretenues dans un espace fondamentalement extraterritorial (Ma Mung, 1999). Cette caractéristique essentielle participe à relativiser l’image du « double-absent » évoqué par Sayad (1999) et à travers lequel s’articule ou se désarticule le traditionnel tryptique « nation-territoire-identité ». Elle invite bien plus à souligner les multiples interconnexions du « co-présent », entre « ici et là-bas », à travers lesquelles s’élaborent de nouveaux liens sociaux transnationaux, un imaginaire, des projets et des symboles qui participent à déplacer le paradigme de l’intégration en le réinterrogeant sous le double prisme des frontières nationales des États d’accueil et du fonctionnement réticulaire des mobilités transnationales. La « vision cosmopolitique » défendue par Beck (2006) trouve ici un terrain d’analyse particulièrement fécond pour penser autrement l’insertion des mineurs isolés étrangers dans le territoire national. Dans une optique cosmopolitique, qui se révèle doublement inclusive, le jeune migrant est en position de rechercher une intégration raisonnée dans la société d’accueil en même temps qu’il cultive des attaches multiples et tire profit de sa mobilité et des appartenances acquises dans plusieurs univers sociaux et géographiques. La prise en compte de ces univers invite à saisir les mécanismes à travers lesquels ces migrations peuvent articuler, plus qu’opposer, de nouvelles structurations sociales dans les sociétés d’accueil d’une part et des dynamiques d’appartenance sociale par-delà les frontières étatiques d’autre part. Si nous suivons en effet l’approche cumulative plutôt qu’exclusive développée par Beck, « l’identité cosmopolitique ne trahit pas (comme l’optique nationale le prétend et le reproche) l’identité nationale et locale, au contraire : elle la rend possible » (Beck, 2006).

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[1Cette contribution est une version remaniée d’un chapitre publié dans le rapport de l’observatoire de la jeunesse : F. Labadie (dir.), Parcours de jeunes et territoires. Rapport de l’Observatoire de la jeunesse 2014, Paris La Documentation Française, 2015.

[2Chiffres évoqués par la sénatrice I. Debré dans le rapport de 2011 sur les Mineurs isolés étrangers en France. Devant l’extrême volatilité de cette population et sa difficulté de recensement, aucun chiffre fiable et définitif ne peut être obtenu, seuls des ordres de grandeur sont habituellement employés. [Cette estimation aurait atteint 13000 en décembre 2016. Rapport au Sénat N° 598. NDLR

[3Concept créé par Michel Foucault, l’hétérotopie (du grec « topos » - lieu - et « hétéro » - autre - littéralement « lieu autre ») est une localisation physique de l’utopie. Par opposition aux utopies qui sont des lieux irréels, les hétérotopies sont des lieux réels et effectifs à l’intérieur d’une société. Les hétérotopies peuvent dans certains cas être utilisées pour la mise à l’écart de certaines catégories de population.

[4Citons parmi ces rapports, celui de l’IGAS intitulé Evaluation de l’accueil de mineurs relevant de l’ASE hors de leur département d’origine (IGAS RM2012-005P, février 2012) ; ou encore le rapport de l’Organisation internationale des migrations,
intitulé Children on the move, 2013 ; [également le rapport des sénateurs Sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés 2017.

[5Recommandation n° MDE/2013-179 du Défenseur des droits publié le 21/12/2012

[6Rapport d’Isabelle Debré, Les Mineurs Isolés Etrangers en France, Parlementaire en mission auprès du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, Mai 2010.

[7Terme désignant en République Démocratique du Congo les « enfants des rues ». Le phénomène s’est accru pendant la guerre avec le développement d’églises indépendantes, dites « de réveil » et la recrudescence de prédicateurs les accusant d’être « ensorcelés ». ce qui pousse leurs parents proches ou membres de la famille élargie à les chasser de chez eux

[8Le « fosterage », également appelé « confiage » est une pratique traditionnelle informelle dans laquelle des parents biologiques confie l’enfant dont ils sont les géniteurs à d’autres parents de leur choix afin qu’ils puissent l’élever au titre de parents de fosterage. Cette pratique, essentiellement observée en Afrique subsaharienne, est encadrée par des règles de droits et devoirs des protagonistes

[9Alain Tarrius (1992) emploie l’expression de « savoir-circuler » pour souligner la capacité de mobilisation par le migrant de son réseau migratoire, de ses connaissances, et la mise en place de stratégies de contournement pour se déplacer, migrer et circuler.

[10Bien que la loi du 4 mars 2002 soit venue organiser l’assistance et la représentation juridique des mineurs isolés avec la désignation de l’administrateur ad hoc en zone d’attente, la circulaire du 14 avril 2005 chargée d’appliquer ce mécanisme précise clairement que « cette procédure n’a ni pour objet ni pour effet de permettre une admission systématique sur le territoire français des mineurs, au titre notamment d’une procédure d’assistance éducative ».

[11En 2009, la Cour de cassation, la plus haute juridiction civile et pénale de l’ordre judiciaire français, a établi qu’ « un mineur placé en zone d’attente, située dans l’aéroport Charles-de-Gaulle de Roissy, se trouve de fait sur le territoire français »

[12Le maintien en zone d’attente est la règle de droit commun pour les mineurs isolés et ce, contrairement à l’article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) et à la jurisprudence européenne qui exigent que la détention soit exceptionnelle, l’ultime solution. Or, selon le rapport du 8 avril 2014 de Human Right Watch, sur les 8883 personnes maintenues en zone d’attente en 2012, 416 étaient des mineurs isolés.