L’Aigle et la Synagogue
Napoléon, les Juifs et l’État
Pierre Birnbaum
Editions Fayard, 2007

Et si l’Empire n’était pas pour rien ou plutôt pour beaucoup dans l’instauration et le retour incessant d’un racisme d’État ? Et si, pour le bicentenaire de sa mort, la commémoration, dite « éclairée » de Napoléon par un président, expert omnipotent, venait à confirmer cette terrible permanence, car comme il l’a formulé : « Napoléon Bonaparte est une part de nous » ? Dans son intervention à l’Institut, en Mai 2021, Emmanuel Macron trouvera d’ailleurs la place d’y inclure une référence positive à la convocation du « sanhédrin » située, avec l’avènement du concordat, parmi les grandes avancées unificatrices de l’État-nation !
La lecture du livre de Pierre Birbaum est ici incontournable pour démêler le vrai du faux de ces propos car la révision factuelle de l’histoire énoncée dans ce discours oblige à s’inscrire en faux en référence aux bienfaits napoléoniens afin d’établir la représentation ségrégative de la citoyenneté nationale que tend à perpétuer le pouvoir actuel. De quoi s’agit-il en effet ? Napoléon conseillé par les penseurs catholiques réactionnaires comme Bonald, décide, en 1807, de retirer aux Juifs l’égalité dans la citoyenneté apportée par la Révolution de 1789. Il entérine les préjugés antisémites dans l’air du temps et les cristallise dans une représentation du Juif essentialisé comme oriental, c’est-à-dire porteur de caractéristiques déclarées inconciliables avec les valeurs de la nation. Les voici donc mis à l’épreuve par une série de décrets qui les situent comme communauté dangereuse à mettre sous surveillance jusqu’à ce qu’elle se sépare des tares qu’il leur attribue. Nation dans la nation, au même titre que les Musulmans, l’Empereur déclare devant le Conseil d’état : « Je ne puis regarder comme Français ces Juifs qui sucent le sang des véritables Français » précisant par écrit le processus à suivre « Lorsqu’on les soumettra aux lois civiles, il ne leur restera plus, comme Juifs, que des dogmes, et ils sortiront de cet état où la religion est la seule loi civile, ainsi que cela existe chez les Musulmans et que cela a toujours été dans l’enfance des nations ». Et nul souci pour lui d’énoncer ses conceptions xénophobes au regard de populations nées bien avant lui sur le sol français.
Comprendre comment s’énoncent en 1806 les caractéristiques des ayants droit à la Nation en édictant les écarts d’identité qui en interdisent l’accès, ce legs de Napoléon précieusement analysé par Pierre Birbaum permet de mieux comprendre l’enracinement et la violence actuelle d’un racisme d’Etat qui refuse pourtant aujourd’hui de s’affirmer comme tel.