N°136

Dossier : exil au feminin

Rapport 2020 du Défenseur des Droits : la poursuite d’une politique de défense des droits et de lutte contre les discriminations

par Dominique RAPHEL

Le premier rapport de la Défenseure des Droits Claire Hédon s’inscrit dans la continuité des actions de son prédécesseur sur le plan de la politique en matière de défense des droits. Pour autant, le rapport de l’année passée est marqué par deux caractéristiques majeures : d’une part, la présentation de la nouvelle équipe construite autour de Claire Hédon, d’autre part l’examen de la protection et la promotion des droits et des libertés au temps de la crise sanitaire.
Si l’ensemble du document mérite une lecture attentive, nous avons retenu ici les principaux points relatifs à l’accueil des demandeurs d’asile et à la lutte contre les discriminations liées à l’origine.

L’accueil des demandeurs d’asile

Les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile
Le Défenseur des Droits, très régulièrement saisi à ces sujets, a recommandé au ministère de l’Intérieur, dans deux décisions du même jour :
De veiller à ce que l’effectivité de l’accès aux conditions matérielles d’accueil (CMA) soit garantie et d’assurer un accueil digne pour les demandeurs d’asile en mettant en adéquation les capacités d’accueil du DNA avec la demande d’hébergement et en veillant à l’effectivité de la perception de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) (décision n° 2020-150 du 10 juillet 2020) ;
De modifier les dispositions réglementaires du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui prévoient la possibilité de verser l’ADA par alimentation d’une carte de retrait ou de paiement pour mettre en place un système mieux adapté à la situation des demandeurs d’asile, à savoir une carte mixte ou la possibilité de versement sur le compte bancaire du demandeur s’il en détient un ou en espèces à défaut (décision n° 2020-147 du 10 juillet 2020).

La situation dans les CRA
Au regard de la situation sanitaire des personnes en CRA, le Défenseur des droits a préconisé la fermeture des CRA ou, à défaut, l’arrêt immédiat des placements dans quelque CRA que ce soit et le renforcement des mesures de protection des personnels comme des personnes retenues considérant les conditions de fonctionnement comme une atteinte disproportionnée aux droits au respect de la vie et de la protection de la santé.

L’accès aux guichets des demandeurs d’asile

En situation de confinement, le Conseil d’État a partagé l’analyse du Défenseur des Droits en ordonnant au ministre de l’Intérieur de rétablir en Île-de-France l’enregistrement des demandes d’asile dans les conditions sanitaires imposées par le Covid-19, et à l’OFII de rétablir sa plateforme téléphonique (ordonnance n° 440250, 440253 du 30 avril 2020).

La situation des mineurs non accompagnés
Le Défenseur des droits a alerté les autorités locales et le gouvernement sur la situation et la mise à l’abri des mineurs non accompagnés (MNA) qui, dans un certain nombre de départements, faisaient face à un service d’accueil fermé, conduisant à ce qu’ils soient de fait traités comme des étrangers adultes.

La mise en exergue du déplacement de la Défenseure des Droits
à Calais dans le rapport

Dans ses premières pages, le rapport accorde une attention particulière au déplacement de Claire Hédon à Calais. Réitérant des constats déjà formulés par l’institution, Claire Hédon a mis en exergue les atteintes aux droits fondamentaux les plus élémentaires dont sont victimes les exilés, leurs conditions de vie dégradantes et inhumaines, leurs difficultés d’accès à l’eau, à la nourriture, à l’hygiène, et leur état d’épuisement physique et mental. Pour autant, le juge administratif tout comme le juge des référés du Conseil d’Etat en appel, n’ont pas suivi son réquisitoire jugeant illégal l’arrêté préfectoral interdisant la distribution de denrées en certains lieux du centre-ville.

La lutte contre les discriminations et la promotion pour l’égalité

Des contrôles d’identité discriminatoires
Le Défenseur des Droits a recommandé la mise en place d’un dispositif de traçabilité des contrôles d’identité et d’un mécanisme de recours afin d’assurer l’effectivité de l’accès au droit et à la justice pour dénoncer les contrôles discriminatoires.

En 2020, le Défenseur des Droits est intervenu dans le cadre du recours intenté par 17 jeunes gens, pour la plupart mineurs, estimant avoir été victimes de pratiques discriminatoires lors de contrôles d’identité à répétition, effectués par des policiers, sur une période allant de 2013 à 2015. Il a relevé dans le cas d’espèce un caractère systémique dans un contexte de répétition des violations de procédures envers le groupe de jeunes gens du quartier d’origines maghrébine et africaine résultant d’instructions formelles d’éviction des personnes concernées de l’espace public : l’effet cumulatif de ces comportements crée un climat de harcèlement, d’exclusion et de discrimination. Dans ce contexte, le Défenseur des Droits faisait valoir que l’aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination imposait à l’État d’établir la légitimité et la proportionnalité de ses pratiques.

L’intelligence artificielle et les discriminations : un enjeu contemporain
Depuis quelques années, l’utilisation de procédés algorithmiques s’est accélérée y compris dans des domaines aussi essentiels que l’accès aux prestations sociales, la police et la justice, l’accès aux services publics ou encore les procédures d’embauche. Cette multiplication des usages n’est pas sans risque puisque les données sur lesquelles ils reposent sont la traduction mathématique de pratiques et comportements passés souvent discriminatoires et des discriminations systémiques opérant au sein de la société. Dans le cadre de systèmes dits intelligents, les biais tendent même à se renforcer au fil du temps et à davantage reproduire les discriminations. En juin 2020, à la suite d’un séminaire d’experts organisé en partenariat avec la CNIL, le Défenseur des Droits a publié un rapport « Algorithmes : prévenir l’automatisation des discriminations », sonnant l’alerte sur ces risques et la nécessité d’intervenir pour anticiper les effets discriminatoires des algorithmes et prévoir des référentiels de prévention, d’évaluation et d’intervention pour en contrôler les effets.

Les discriminations dans l’emploi
Face au faible impact des sanctions prononcées par les juridictions et à l’inertie de certains employeurs ou employeuses face aux cas de discriminations même les plus graves, la sanction effective et dissuasive des discriminations fondées sur l’origine est nécessaire. Le Défenseur des Droits est intervenu dans le cadre du dispositif de l’action de groupe dont il a pu constater un grand nombre d’incertitudes compliquant le déploiement du recours collectif. Il a ainsi exprimé dans son avis au Parlement n° 20-01 du 5 février 2020, quelques recommandations pour rendre la procédure plus effective et notamment d’élargir l’action de groupe aux associations, en matière d’emploi et d’accès aux biens et services et de créer un fonds de financement des recours collectifs en matière de discrimination.

Les discriminations fondées sur l’origine : un état des lieux alarmant

Publié en juin 2020, le rapport « Discrimination et origine : l’urgence d’agir » du Défenseur des Droits établit un constat sans appel. La prévalence des discriminations fondées sur l’origine affecte la vie de millions d’individus en France et représente un facteur préoccupant de fracture de la société française.
Les données officielles de la statistique publique et les études scientifiques permettent de documenter précisément l’ampleur de ces discriminations : surexposition au chômage, difficultés d’accès au logement et aux soins, contrôles policiers, inégalités scolaires etc. Les personnes d’origine étrangère, ou perçues comme telles, apparaissent désavantagées dans tous les domaines de la vie sociale.
Pourtant, les victimes de discriminations en raison de l’origine peinent à mobiliser les voies de recours. Dans l’emploi, par exemple, elles ne sont que 12 % à entamer une démarche. Les raisons en sont diverses : l’impact de la plainte sur l’environnement des personnes concernées, la difficulté à prouver la discrimination ou encore la faiblesse des sanctions à l’encontre des auteurs et des indemnités qu’ils sont condamnés à verser.
La lutte contre les discriminations en raison de l’origine n’arrive pas à s’inscrire durablement à l’agenda des politiques publiques et semble même s’être progressivement effacée au profit d’autres paradigmes tels que la promotion de la diversité ou la lutte contre la haine. Progressivement cantonnées à la politique de la ville, les discriminations liées à l’origine touchent cependant massivement l’emploi, le logement, l’éducation et les relations avec les services publics et les forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire.
Il est urgent que ces discriminations fassent l’objet d’une action publique ambitieuse à l’instar de ce qui est fait depuis quelques années en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.
Afin de produire des changements structurels et d’apporter une réponse globale aux discriminations systémiques, le rapport propose plusieurs leviers d’action :
• Approfondir et promouvoir les connaissances et les recherches sur le sujet, notamment par la mise en place d’un Observatoire des discriminations ;
• Accompagner la mise en place au sein des organisations professionnelles de plans d’action structurés mobilisant des objectifs clairs et évaluables, en s’appuyant sur des indicateurs non financiers, des méthodes d’action concrètes et transversales ;
• Assurer une meilleure effectivité de l’accès au recours en élargissant et clarifiant les modalités de mise en œuvre de l’action de groupe et en créant des dommages punitifs permettant d’assurer la fonction dissuasive de la condamnation judiciaire.

L’accès aux services publics des personnes étrangères
Les difficultés d’accès aux guichets préfectoraux du fait de procédures dématérialisées se traduisent par l’incapacité de certaines personnes à déposer une demande de titre de séjour. Certaines préfectures ayant décidé d’imposer la prise de rendez-vous sur internet, de telles démarches sont rendues impossibles lorsque les plannings mis en ligne sont saturés, au risque d’être éloignées du territoire à tout moment et subir des ruptures de droits ou perdre leur emploi.
Le Défenseur des Droits a considéré que de telles procédures entraient en contradiction avec les normes encadrant la saisine de l’administration par voie électronique et les droits de ses usagers, mais aussi avec les grands principes régissant les services publics que sont la mutabilité, la continuité et l’égalité, ainsi qu’avec le droit au respect de la vie privée et familiale (décision n° 2020-142 du 10 juillet 2020). Il a formulé plusieurs recommandations à l’attention du ministre de l’Intérieur et demande, en particulier, la mise en place systématique de voies d’accès aux guichets alternatives aux procédures dématérialisées. Dans l’attente, il a également interrogé chaque Préfet concerné et demandé la communication des décisions relatives à ces téléservices∎

Avec ce rapport 2020, le Défenseur des Droits démontre, qu’en dépit du changement de titulaire, l’institution indépendante demeure légitime dans sa mission de défense des droits.